Par Jean-Pierre Marguénaud – Agrégé de Droit privé et sciences criminelles – Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé vendredi 27 janvier 2023 le nouveau plan du gouvernement pour lutter contre la maltraitance animale. L’appréciation de ces annonces permettra de les situer au regard de la récente loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et par rapport à la discipline émergente que constitue le droit animalier.

Que faut-il retenir des nouvelles mesures en faveur de la lutte contre la maltraitance animale annoncées par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ?

Le 27 janvier 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé  depuis les locaux de la SPA de Chamarande dans l’Essonne, d’une part  que  4 000 policiers et gendarmes spécialement formés seraient mis en place dans les commissariats et les brigades de gendarmerie pour prendre les plaintes et enquêter sur les maltraitances infligées aux animaux ; d’autre part que, en la matière, 9 antennes régionales de police judiciaire et de gendarmerie existeront bientôt en France métropolitaine et ultramarine. Il s’agit là d’un second pas dans la même direction après celui accompli le 27 octobre 2022 par le même ministre qui avait annoncé la création, effective depuis le 2 janvier 2023, d’une division d’enquêteurs chargés spécifiquement de la maltraitance animale composée de 15 officiers et gendarmes spécialisés.

Malgré les critiques de la part du monde politique et du milieu associatif : « c’est trop tard et c’est trop peu ! » a-t-on pu entendre à peu près en ces termes ici ou là et quelles que soient les réserves que l’on pourrait porter sur le profil politique du ministre de l’Intérieur, il faut toutefois saluer, du point de vue du droit animalier, les mesures que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin vient d’annoncer et que l’on pourrait appeler « Les annonces de Chamarande » pour aider à en reconnaître la pertinence.

Il faut se féliciter déjà de ce qu’elles aient été inscrites dans le sillage de la révolution théorique introduite dans le Code civil par la loi du 16 février 2015. Pour les justifier, le ministre a en effet déclaré que les animaux sont des êtres vulnérables, doués de sensibilité qui méritent notre protection » ; ce qui est pratiquement la reprise de la première phrase de l’article 515-14 du Code civil devenue en moins de 10 ans une antienne, un leitmotiv qui, on vient de le vérifier, imprègne de plus en plus régulièrement l’action publique.

Quel est le cadre juridique actuel relatif à la lutte contre la maltraitance animale ? La loi de 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale est-elle satisfaisante ?

Il faut se réjouir aussi de ce que « les annonces de Chamarande » assurent en quelque sorte le service après-vote de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes. Cette loi portée par M. Loïc Dombreval et quelques autres députés de bonne volonté de la majorité d’alors ; défendue par le Gouvernement de l’époque et en particulier par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, et largement soutenue par la plupart des oppositions du moment, est à la fois entachée de quelques défauts techniques et limitée dans sa portée en raison de considérations politiques qui ont été prises pour éviter d’aborder certains sujets qui pourraient causer de la controverse auprès des chasseurs, des éleveurs et des amateurs de corrida.

Dans le champ restreint où elle a été cantonnée, il faut reconnaître cependant qu’elle a réalisé des avancées hautement significatives. Elles concernent l’amélioration des conditions de détention  des animaux de compagnie et des équidés  notamment  grâce à des mesures traduisant un remarquable  effort de sensibilisation à l’idée qu’un animal n’est pas un jouet : exigence avant l’acquisition d’un certificat d’engagement et de connaissance des besoins spécifiques de l’animal convoité ; interdiction de l’offre de cession en ligne d’un animal de compagnie ; interdiction de toute cession d’un animal de compagnie à un mineur…Elles tiennent aussi la promesse de la ministre Barbara Pompili d’organiser, suivant un calendrier réaliste, la fin de l’exploitation  à fin de divertissement des animaux sauvages  spécialement mais pas seulement dans les cirques itinérants ou les delphinariums. Elles se traduisent surtout par un considérable renforcement de l’arsenal répressif destiné à lutter contre la maltraitance animale : aggravation des peines encourues ; autonomie du délit d’atteintes sexuelles ; transformation en délit de la contravention d’animalicide volontaire ; création de nouvelles infractions visant par exemple à empêcher la diffusion sur Internet d’images relatives à la commission d’actes de cruauté, de sévices graves ou d’atteintes sexuelles sur des animaux domestiques ou assimilés.

Un tel renforcement de la voie répressive pour lutter contre la maltraitance animale est sûrement louable et bienvenu. Il risque cependant d’être théorique et illusoire comme le montre l’exemple de l’abandon volontaire. Lorsque, pour la première fois, la loi du 10 juillet 1976 l’a incriminé, elle l’a fait sous la menace d’une peine d’emprisonnement dont le maximum était de 6 mois et d’une peine d’amende ne pouvant pas dépasser l’équivalent de 230 euros. Depuis, les maximums encourus ont été portés à deux ans d’emprisonnement et à l’équivalent de 30 000 euros d’amende par la loi du 6 janvier 1999 et, désormais, à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende grâce à la loi du 30 novembre 2021. Autrement dit, le maximum des peines d’emprisonnement par les auteurs d’abandon volontaire de leur animal de compagnie a été multiplié par 4 puis par 6 ; celui de l’amende par des cents et des milles. Or rien n’indique que ces aggravations spectaculaires ont entraîné la moindre diminution du fléau. C’est en réalité la crédibilité de l’amélioration de la protection des animaux par la voie répressive qui est en jeu : à quoi bon se glorifier d’avoir augmenté les peines si rien n’est jamais fait pour qu’elles soient concrètement appliquées ?

C’est ici que « les annonces de Chamarande » prennent tout leur sens et même une dimension historique. Peu importe le trop tard ou le trop peu, la dissimulation de reculades sur l’abolition de la corrida ou sur le dimanche sans chasse : elles apportent le maillon qui manquait à la chaîne de la répression de la maltraitance animale. Il reste bien entendu à discuter le point de savoir si ce chaînon est déjà assez solide ou s’il faut déjà songer à le forger en acier inoxydable et s’il dispensera de chercher une amélioration de la protection des animaux par des moyens civils tels que, par exemple, la reconnaissance d’une personnalité juridique technique à certains animaux. Il n’en reste pas moins indiscutable que les mesures annoncées le 27 octobre 2022 et le 27 janvier 2023 ici regroupées sous la dénomination « annonces de Chamarande » ne sont pas juste quelques petits pas de plus : elles ouvrent une démarche dont il faudra veiller à ce qu’elle se poursuive activement. Le droit animalier et ses acteurs de plus en plus nombreux aideront à l’efficacité de cette veille.

Le droit animalier doit-il encore évoluer ?

Ce droit qui s’attache à faire mieux prendre en compte la sensibilité des animaux, de tous les animaux y compris les sauvages vivants à l’état de liberté naturelle, dans l’élaboration et la mise en œuvre des règles destinées à les protéger ou à protéger les humains contre eux, n’en est encore, en France tout du moins, qu’à la première phase de son émergence. Il lui reste encore tant et tant à faire pour que l’on prenne vraiment au sérieux des questions jugées risibles et ridicules il y a moins d’un quart de siècle. Il s’affirmera aussi en portant un regard approfondi et utilement décalé sur les interrogations essentielles qui concernent tous les êtres sensibles y compris les êtres humains : la vie et la mort, la douleur et le bonheur, la servitude et la liberté…

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