Par Thomas Herran, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

Le 1er juin, le Parquet européen, première autorité judiciaire de l’Union européenne compétente en matière pénale, est entré en fonction. Cet organe indépendant, dirigé par la magistrate roumaine Laura Codruța Kövesi, est chargé de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Dans quel contexte le Parquet européen a-t-il été créé ?

La création du Parquet européen n’a pas été un long fleuve tranquille. Sa création a été longue et particulièrement mouvementée. L’idée de créer un tel organe est née à la fin des années 90. Un groupe d’experts, dirigé par Mireille Delmas-Marty, professeure française de droit, avait fait la proposition de créer un procureur européen dans un rapport consacré à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Il était mis en avant que la coopération judiciaire classique entre les États membres ne permettait pas de lutter efficacement contre la fraude aux budgets de l’Union européenne. Or les enjeux financiers sont colossaux puisque le budget annuel de celle-ci s’élève à peu près à 150 milliards d’euros ; la rigueur budgétaire actuelle, qui appelle un contrôle des dépenses publiques, impose des moyens efficaces pour réprimer les auteurs de fraudes aux budgets européens.

Pourtant, malgré la nécessité d’une telle création, il aura fallu près de 25 ans au Parquet européen pour voir le jour, après plusieurs rebondissements. Si la proposition du groupe d’experts a rapidement séduit la Commission européenne, qui publia dès 2001 un Livre vert sur « la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen », plusieurs obstacles s’étaient érigés. Le premier était juridique : il n’existait aucun fondement juridique permettant la création d’un tel organe à l’époque. Il fut levé par le traité de Lisbonne qui a introduit à l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne une base juridique. Cette disposition prévoit que le Parquet peut être institué à l’unanimité du Conseil – organe composé des ministres de la Justice de l’ensemble des États membres. Le second obstacle était politique : plusieurs États se sont opposés à la création du Parquet, avortant ainsi les premières initiatives. Finalement, son institution a été rendue possible par une coopération renforcée, qui est une procédure législative permettant de prendre un acte qui s’applique, non à l’ensemble des États membres, mais seulement à ceux qui ont accepté d’y participer : sont donc concernés 22 États sur les 27 qui composent l’Union européenne.

Cette longue et difficile gestation s’explique aisément : la création d’une autorité judiciaire européenne dotée d’une compétence en matière pénale implique un transfert de pouvoir des États vers l’Union européenne dans un domaine régalien, intimement lié à la souveraineté nationale. C’est pour cette raison que les États s’étaient montrés réticents à un tel projet et sa concrétisation est le fruit de compromis.

Comment le Parquet européen fonctionne-t-il ?

Le compromis apparaît notamment dans le fonctionnement du Parquet européen. Ce dernier a la particularité d’être une autorité judiciaire européenne présentant des ramifications dans chaque État. Le règlement portant création du Parquet le décrit comme une « structure unique à structure décentralisée ». Cette structure implique l’existence de deux niveaux : un bureau central et des procureurs européens délégués.

Outre les services administratifs, la partie centrale réunit le chef du Parquet européen et les procureurs européens, chacun représentant un État participant. En son sein, il y a plusieurs organes : le collège, chargé d’élaborer la politique pénale du Parquet et les stratégies globales ; les chambres permanentes, chargées de surveiller les enquêtes et les poursuites dans des affaires déterminées.

Les procureurs européens délégués se situent au niveau décentralisé, c’est-à-dire au niveau des États. Ce sont des procureurs nationaux spécialement nommés qui agissent, au nom du Parquet européen et en toute indépendance, dans les États membres. Ils assurent la direction et le contrôle des enquêtes et exercent, le cas échéant, les poursuites contre les auteurs d’infractions devant les juridictions nationales. Pour garantir l’indépendance des procureurs européens délégués, ils sont en situation de détachement, de sorte qu’ils ne sont pas soumis à leur hiérarchie nationale et agissent uniquement sous le contrôle des chambres permanentes.

En confiant les missions opérationnelles aux procureurs délégués, dont l’action est réalisée conformément aux consignes des chambres permanentes, la souveraineté des États est préservée puisque techniquement, ce sont des procureurs « nationaux » qui restent les acteurs opérationnels sur le territoire des États. Par ailleurs, les auteurs des infractions seront poursuivis devant les juridictions pénales des États membres et non pas devant une juridiction européenne.

Quelles sont les prérogatives du Parquet européen ?

Le Parquet européen, par l’intermédiaire des procureurs délégués, exerce les fonctions traditionnelles du Procureur de la République et du Procureur général. Il dirige les enquêtes de police et assure les poursuites devant les juridictions de jugement.

Sa création a conduit à un aménagement de la procédure pénale française introduit par la loi du 24 décembre 2020. Cette loi est venue reconnaître aux procureurs délégués certaines prérogatives qui appartiennent traditionnellement dans la procédure française au juge d’instruction (interrogatoires, confrontations, commissions rogatoires…). Les mesures restrictives et privatives de liberté relèvent de la compétence du juge des libertés et de la détention.

Ces changements, relativement spectaculaires dans notre procédure pénale, sont tout de même encadrés par la compétence du Parquet européen qui se limite à certaines  infractions (abus de confiance, détournement, escroquerie, corruption, blanchiment et des quelques délits douaniers) portant atteinte aux recettes perçues, aux dépenses exposées ou aux avoirs qui relèvent du budget de l’Union européenne, des budgets de ses institutions, organes et organismes ou des budgets gérés et contrôlés directement par eux. Le Parquet ne peut exercer ses pouvoirs dans d’autres domaines. Par ailleurs, sa compétence n’étant pas exclusive, les autorités nationales demeureront compétentes lorsque l’organe européen ne se saisit pas de l’affaire. Dans la même idée, sa compétence s’exercera pour des infractions présentant une certaine gravité, mesurée au regard du montant du préjudice pour l’Union européenne. Il est vrai que certains appellent de leur vœux un élargissement de la compétence du Parquet à d’autres formes de criminalité, telles que la criminalité organisée ou le terrorisme transfrontaliers. Mais il est fort probable que le domaine du Parquet européen reste limité à ces seules infractions de nombreuses années le temps qu’il démontre sa réelle utilité.

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