Par Emmanuel Tawil, Maître de conférences (HDR) à l’Université Paris II et Membre de la Commission consultative des cultes

La récente publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, présidée par M. Jean-Marc Sauvé, ancien Vice-président du Conseil d’État, a reposé la question du secret professionnel des ministres du culte, qui intègre la protection du secret de la confession.

La polémique est partie d’une phrase du président de la Conférence des Évêques de France sur la nécessité pour les prêtres de respecter la loi de Dieu, qu’il a pourtant immédiatement précisée dans un communiqué de presse rappelant qu’en matière de secret professionnel, les catholiques respectent strictement le Code pénal de la République lorsqu’ils estiment que les ministres du culte catholique ne sont jamais tenus de violer le secret de la confession. Convoqué par le ministre de l’Intérieur pour s’expliquer sur ses propos, le président de la Conférence des Évêques de France a été contredit par le ministre de la Justice.

Les prêtres sont-ils tenus de dénoncer les faits de pédophilie appris en confession ?

S’agissant des faits appris en confession, le principe est que le prêtre est tenu d’en conserver le secret, sauf à engager sa responsabilité pénale sur le fondement de l’article 226-13 du Code pénal qui dispose : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

La jurisprudence de la Cour de cassation applique ce principe aux ministres du culte depuis un arrêt du 30 novembre 1810[1]. Suivant cette jurisprudence constante « les ministres du culte sont tenus de garder le secret sur les révélations qui ont pu leur être faites à raison de leurs fonctions »[2]. La chambre criminelle de la Cour de cassation a encore rappelé en 2002, « l’obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur ministère »[3].  Cette obligation de secret est plus large que le simple secret de la confession. Elle s’étend à l’ensemble des confidences reçues dans le cadre d’activités pastorales[4]. Par exemple, il ressort d’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 29 mars 1989 qu’est concerné l’ensemble des personnes qui, en raison de leurs fonctions dans l’Église catholique, sont amenées à connaître des dossiers traités par les officialités[5]. En revanche, n’est pas soumis au secret professionnel un évêque qui apprend autrement que par confidence les maltraitances dont s’est rendu coupable un prêtre exerçant dans son diocèse[6].

Par ailleurs, le Code pénal prévoit l’obligation de signaler tout crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets ou dont les auteurs sont susceptibles de récidiver (art. 434-1) ainsi que les mauvais traitements ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne vulnérable (art. 434-3). Ces deux textes précisent toutefois, s’agissant d’une personne tenue au secret professionnel par l’article 226-13, qu’elle peut signaler les faits en question, mais qu’elle n’est pas tenue de le faire.

En conséquence, en l’état du droit et de la jurisprudence, il n’y a lieu à discussion : lorsqu’un prêtre apprend en confession des faits constitutifs de crimes ou de délits sur mineur, il peut les dénoncer et passer outre son obligation de respecter le secret professionnel sans craindre une sanction pénale ; mais il ne peut pas être sanctionné pénalement s’il ne le fait pas. En revanche, celui qui n’est pas tenu par le secret professionnel, ce qui est le cas de l’évêque ou du vicaire général qui, s’il apprenait dans le cadre de son activité de gouvernement qu’un prêtre a commis des actes pédophiles, serait tenu de le dénoncer. Conformément à ces principes, la Conférence des Évêques de France estime que doit être dénoncé au Parquet « tout fait appris dans le cadre d’une enquête canonique ou reconnu de manière non spontanée »[7].

Telle demeure d’ailleurs, jusqu’à ce jour, la position de la Chancellerie, puisque la circulaire du 11 août 2004 constate : « Il apparaît donc que l’absence de dénonciation par une personne tenue au secret professionnel de mauvais traitements ou de privation infligés à des mineurs de 15 ans ou à une personne vulnérable ne puisse être sanctionné pénalement, et que, là encore, le signalement de tels faits aux autorités soit une simple faculté, ouverte par l’article 226-14 du Code pénal. »[8]

Que prévoit le droit canonique pour le prêtre qui viole le secret de la confession ?

Le canon 983 §1 du Code de droit canonique dispose que « le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, pour quelque cause que ce soit. » Une note de la Pénitencerie apostolique du 29 juin 2019, approuvée par le Pape François, a récemment rappelé « l’inviolabilité du sceau sacramentel ». La sanction en cas de violation de cette règle est prévue par le canon 1388 §1 du Code de droit canonique qui punit très sévèrement le confesseur qui violerait le secret de la confession : « Le confesseur qui viole directement le secret sacramentel encourt l’excommunication latae sententiae réservée au Siège apostolique. »[9]

L’excommunication[10] prévue par le canon 1388 §1 est la plus grave des sanctions en droit canonique. Elle interdit notamment de participer à la célébration de l’Eucharistie et aux autres cérémonies du culte, de célébrer les sacrements ou les sacramentaux, de recevoir les sacrements et de remplir des fonctions ecclésiastiques.

Cette sanction est latae sententiae, ce qui se traduit littéralement par « la sentence étant déjà prononcée »[11]. Une telle sanction atteint le prêtre auteur du délit automatiquement, dès qu’il commet le délit.

Néanmoins, il faut bien préciser que le seul secret protégé par le canon 1388 §1 est celui reçu dans le cadre de la confession. Ce canon ne s’applique pas aux confidences reçues autrement, par exemple dans le cadre de l’accompagnement spirituel, ou aux informations apprises dans l’exercice de ses responsabilités et de son activité pastorale.

Le rapprochement du Code pénal et du Code de droit canonique a pour conséquence une absence d’injonction contradictoire entre le droit canonique et le droit français, puisque le prêtre catholique ne doit jamais choisir entre être sanctionné par les juridictions pénales françaises, d’une part, et être atteint par une excommunication latae sententiae qui le priverait de l’exercice de ses fonctions sacerdotales, d’autre part.

Comment rendre obligatoire, sous peine de sanction pénale, la dénonciation des crimes et délits appris en confession ?

Deux solutions sont envisageables. La première consisterait à ce que la jurisprudence écarte l’application du secret professionnel pour les ministres du culte. Par ricochet, les ministres du culte ne bénéficieraient plus de l’exception prévue par les articles 434-1 et 434-3. Une telle évolution renverserait une jurisprudence constante depuis 1810.

L’autre solution est une intervention du législateur pour exclure explicitement les ministres du culte soit de l’obligation de secret professionnel, soit du bénéfice de l’exception prévue par les articles 434-1 et 434-3 du Code pénal. Une réaction émotionnelle, comme celle suscitée par le Rapport de la Commission Sauvé, pourrait conduire à l’adoption d’une disposition législative allant dans ce sens.

L’intérêt concret et les modalités de mise en œuvre pratique d’une telle réforme sont pour le moins incertains. Lorsqu’il reçoit la confidence, le prêtre est en colloque singulier avec le pénitent. Comment, en pratique, le parquet pourrait-il être amené à savoir qu’il a été dépositaire sous le sceau du secret des faits en cause ? Le seul qui puisse dénoncer le prêtre qui n’a pas fait la révélation d’un délit ou d’un crime est celui est à l’origine de la confidence, qui peut être soit l’auteur du délit ou du crime, soit la victime elle-même. En effet, le prêtre, en confession, est parfois le premier à recevoir la parole d’une victime d’abus sexuel, première voie d’accès à la vérité. L’on ajoutera que la victime ou l’auteur d’un crime ou d’un délit contre des mineurs qui se confesse à un prêtre n’est pas nécessairement connu de ce dernier et qu’aucun prêtre ne demande une carte d’identité à celui qui vient se confesser…

Concrètement, en cas de modification des articles 226-13, 434-1 ou 434-3 du Code pénal visant à rendre obligatoire la violation du secret de la confession, tout prêtre risquerait en permanence d’être confronté à la menace d’une peine de prison sanctionnant la réception d’un secret qu’il n’a pas sollicité, le cas échéant confié par un inconnu, et qu’il ne peut divulguer sans être atteint par une excommunication latae sententiae lui interdisant d’exercer son ministère. Ce serait quelque peu kafkaïen.

L’on comprend donc mal ce qui justifierait une telle évolution de notre droit, alors qu’un très récent rapport d’information du Sénat sur l’obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs a conclu qu’il fallait « préserver les règles actuelles qui garantissent un équilibre satisfaisant entre respect du secret professionnel et obligations de signalement des mauvais traitements sur mineurs. »[12]

[1] Sur l’ensemble du sujet, B. du Puy-Montbrun, La détermination du secret chez les ministres du culte, Paris, 2012, Salvator, 477 pages.

[2] Crim. 4 décembre 1891, DP 1892. 1. 139.

[3] Crim. 17 décembre 2002, Bull. n°231 p. 845. J

[4] Crim. 4 décembre 1891, DP 1892. 1. 139.

[5] Crim. 29 mars 1989, L’Année canonique 1989, p. 221, note Echappé.

[6] Trib. corr. Caen, 4 septembre 2001, Mgr Pican, D. 2001. IR 2771 ; D. 2001, 3454, chron. Mayaud ; L’Année canonique 2001, p. 285, note Echappé.

[7] Directives pour le traitement des cas d’abus sexuels commis par des clercs à l’égard de mineurs, adoptées par les évêques de France, modifiées par la Congrégation pour la doctrine de la Foi (mai 2013) et mises à jour, Bulletin officiel de la Conférence des Evêques de France, n° 60 ter – 9 octobre 2018, § 19.

[8] Circulaire relative au secret professionnel des ministres du culte et aux perquisitions et saisies dans les lieux de culte, NOR : JUSD0430163C, Bulletin officiel du Ministère de la Justice, n° 95 (1er juillet – 30 septembre 2004).

[9] Cette norme n’a pas été modifiée par la constitution apostolique Pascite gregem Dei du 23 mai 2021, qui réforme le droit canonique pénal et entrera en vigueur le 8 décembre 2021. Seule la numérotation aura changé, le délit étant désormais réprimé au canon 1386.

[10] A. Borras, L’excommunication dans le nouveau code de droit canonique, Paris, Desclée, 1987, 350 pages.

[11] J. Werckmeister, Petit dictionnaire de droit canonique, Cerf, 1992, p. 127.

[12] Rapport d’information n° 304 (2019-2020) de Mmes M. Carrère, C. Deroche, M. Mercie et M. Meunier, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 5 février 2020, p. 42.

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