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Le retour des djihadistes français en France : un choix politique que le droit français permet sans imposer

Par Farah Safi – Professeur de droit privé à l’Université Clermont Auvergne – Directrice du master Droit pénal et sciences criminelles – Directrice de l’IEJ de Clermont-Ferrand

Mardi 5 juillet, 16 femmes et 35 enfants ayant suivi un mari ou un père parti faire le djihad ont atterri en France après avoir été exfiltrés de camps kurdes au nord-est de la Syrie. Des considérations sécuritaires et humanitaires ont pu présider à une telle décision qui permet à la France de s’aligner sur la position de plusieurs autres pays européens qui ont déjà procédé au rapatriement de leurs nationaux.

La France est-elle tenue juridiquement de rapatrier ses ressortissants partis pour le djihad ? 

La réponse à cette question est a priori simple : aucun texte ne prévoit une obligation pour les autorités françaises de juger ses nationaux et donc de les rapatrier. Il s’agit donc, plus d’un choix politique que d’un choix juridique.  Toutefois, on le sait, des règles de compétence existent et sont souvent interprétées d’une manière extensive, afin de permettre aux juridictions françaises d’être compétentes à chaque fois que cela est possible et, surtout, à chaque fois que la France est concernée d’une manière ou d’une autre, que ce soit par un rattachement territorial ou par un critère lié à la personnalité (nationalité de l’auteur ou de la victime de l’infraction).

C’est ainsi que l’article 113-2 du code pénal permet de retenir la compétence des juridictions françaises dès lors qu’un des « faits constitutifs » de l’infraction a eu lieu sur le territoire de la République. Cela comprend donc la réalisation d’un acte préparatoire en France, comme c’est le cas, par exemple, pour l’achat en France d’un billet d’avion. De même, des poursuites en France sont possibles à l’encontre du complice d’un acte terroriste commis sur le territoire de la République puisque la Cour de cassation a toujours considéré que « la juridiction compétente pour juger le fait principal l’est aussi pour juger le complice, quels que soient sa nationalité et le lieu où les actes de complicité ont été accomplis ».

En outre, il est évidemment possible de faire jouer le mécanisme dit de la personnalité active prenant comme critère de rattachement la nationalité de l’auteur de l’infraction. C’est d’autant plus possible que l’article 113-13 du code pénal, issu de la loi du 21 décembre 2012, accorde compétence aux juridictions françaises de juger, en matière de terrorisme, les infractions commises à l’étranger non seulement par un Français, mais également par un résidant habituel en France. La volonté du législateur de saisir ces actes est d’ailleurs tellement forte que la condition de réciprocité d’incrimination disparait dans ce domaine.

La question peut également être posée dans l’autre sens : la France peut-elle refuser de juger ses nationaux ? Là aussi, le droit n’est pas d’un grand secours pour permettre, même aux terroristes, d’être jugés dans des conditions respectueuses des droits et libertés fondamentaux. En effet, si la résolution 2178 adopté par le Conseil de sécurité de l’ONU le 24 septembre 2014 impose aux Etats membres de faire en sorte que leurs ressortissants auteurs d’actes terroristes puissent être jugés, elle n’impose en aucun cas à ces Etats de les juger sur leurs territoires. C’est donc plutôt sur le terrain des droits fondamentaux qu’il convient de se placer pour répondre à cette question. En refusant de rapatrier les djihadistes Français qui se trouvent dans des camps d’opérations terroristes, la France respecte-t-elle ses engagements internationaux et européens ? Plus précisément, ce refus n’entraîne-t-il pas, de facto, une violation du droit d’être jugé par une juridiction impartiale et indépendante, du droit à un procès équitable ainsi que des droits de la défense ?  Refuser de rapatrier et donc de juger ses nationaux tout en étant conscient des conditions dans lesquelles ces ressortissants français sont détenus et jugés à l’étranger ne correspond-il pas à une sorte d’« extradition indirecte » ou à une acceptation tacite du traitement qui leur est infligé à l’étranger ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité s’agissant des enfants des djihadistes français qui se trouvent à l’étranger. Des voix se sont d’ailleurs levées pour dénoncer la politique du « cas par cas » du Gouvernement et réclamer le retour de tous les enfants français tenus dans les camps. C’est ainsi que la défenseuse des droits, Madame Claire Hédon, a pu estimer que « chaque jour passé sur place met en danger la vie de ces enfants exposés à des traitements inhumains et dégradants ». A ce titre, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui lie la France interdit la torture ainsi que les peines et traitements inhumains ou dégradants.

Sur quelle base juridique la France peut-elle décider de rapatrier ses ressortissants partis pour le djihad ?

Ce rapatriement se fait plus dans le cadre de négociations politiques et diplomatiques que dans celui d’une procédure juridique. En effet, il ne s’agit ici ni d’une procédure d’extradition, ni d’une procédure d’expulsion. Autrement dit, la justification de ce type de rapatriement relève du domaine de la politique et non du droit. Cela est d’autant plus vrai que, d’un côté, il semble que les autorités kurdes formulent avec de plus en plus d’insistance des demandes de rapatriements des ressortissants français et, d’un autre côté, des associations, des avocats et des organisations internationales tirent de plus en plus la sonnette d’alarme quant aux conditions de vie notamment des femmes et enfants détenus sur ces territoires. Ces appels peuvent d’ailleurs être mis en parallèle avec ceux manifestés pour dénoncer la situation des Français condamnés à mort en Irak (voir notamment l’avis de la CNCDH du 28 janvier 2020).

Il n’en reste pas moins que, et par l’intermédiaire de l’opportunité des poursuites, il est tout à fait possible de justifier ce rapatriement par l’existence d’une procédure en France à l’encontre de ces djihadistes. Puisque la loi française est applicable, il suffit alors de relever une qualification pénale à leur encontre pour que des poursuites soient engagées et qu’une procédure soit à l’origine d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de recherche. Nombreuses sont en effet les qualifications pénales qui sont susceptibles d’être applicables. Cela est d’autant plus vrai que le droit pénal s’apparente, aujourd’hui, notamment en matière de terrorisme, à un droit préventif, ce qui signifie que la répression n’est désormais plus toujours conditionnée par la réalisation d’actes matériels portant atteinte à l’ordre ou à la sécurité publique. Le simple risque d’atteinte peut suffire pour aller sur le terrain de la répression.

Justifier le rapatriement par la volonté de la France de juger, sur son territoire, ses nationaux est d’autant plus possible que l’article 113-13 du code pénal exclut l’application de l’autorité de la chose jugée en matière de terrorisme. Cela signifie que les djihadistes français de retour en France peuvent faire l’objet de poursuites pénales devant les juridictions françaises alors même qu’ils ont déjà été jugés à l’étranger.

A quelles condamnations s’exposent ces ressortissants français en France et notamment les femmes de djihadistes ? 

En plus de la qualification générale de l’incrimination de l’article 421-1 du code pénal permettant de poursuivre ceux qui ont commis ou tenté de commettre des infractions pénales dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, ou encore de l’incrimination de crimes contre l’humanité, on pense, avant tout, à l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste incriminée à l’article 421-2-1 du code pénal qui réprime « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels » d’un acte de terrorisme. On le voit, le manque de précision des faits matériels incriminés par ce texte, ainsi que la référence à la préparation d’un acte de terrorisme permet de réprimer facilement, dès le stade des actes préparatoires, les djihadistes français revenus en France. Dès lors, l’achat d’un billet d’avion, l’achat de matériel, le soutien logistique ou autre, permettent sans difficulté de leur appliquer la loi française.

On pense, ensuite, à l’article 421-2-6 du code pénal qui réprime l’entreprise terroriste individuelle. Cette incrimination permet, à son tour, de saisir des comportements qui restent loin de la réalisation de l’acte terroriste lui-même, et qui couvrent le stade de la préparation. Est ainsi puni le fait de préparer la commission d’infractions terrorisme à travers par exemple la détention ou la fabrication d’objets ou de substances de nature à créer un danger pour autrui, le fait de recueillir des renseignements sur des lieux ou des personnes permettant de mener une action terroriste, le fait de s’entrainer au maniement des arme ou encore le simple fait de séjourner à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.

On pense enfin, s’agissant notamment des femmes qui ne sont pas forcément combattantes, à l’incrimination de l’article 421-2-4-1 qui punit « le fait, par une personne ayant autorité sur un mineur, de faire participer ce mineur à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels » d’un acte de terrorisme.

Toutefois, il convient de garder en tête que tout français ayant séjourné sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes n’est pas forcément redevable à la justice française. On pense notamment aux mineurs mais également à de nombreuses femmes qui sont plus victimes qu’auteurs d’infractions.

S’agissant des Français de retour en France mais ne faisant pas l’objet de poursuites ni de condamnations pénales, le législateur a mis en place un système de surveillance et de contrôle administratif renforcé. Par exemple, le ministre de l’intérieur peut prononcer une interdiction de fréquentation, une obligation de déclaration de domicile, voire une assignation à résidence à l’encontre de ces personnes (art. L. 225-2 et L. 225-3 du CSI). A cela s’ajoutent toutes les mesures administratives de prévention de terrorisme comme les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) ou encore la surveillance des données de connexion et des URL. Ces mesures devraient rassurer ceux qui craignent les conséquences que peuvent engendrer ces rapatriements sur la sécurité de la France.

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