Par Haritini Matsopoulou – Professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris-Saclay – Expert du Club des juristes
Dans le cadre de la procédure devant la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, à l’issue de laquelle le garde des Sceaux a été renvoyé devant ladite Cour pour prise illégale d’intérêts, le ministre de la Justice a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité au principe de séparation des pouvoirs de l’absence de dispositions particulières régissant les perquisitions effectuées au sein d’un ministère. L’assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel, en estimant qu’elle présente « un enjeu institutionnel au regard du principe de séparation des pouvoirs », dès lors qu’un ministère est un « lieu d’exercice de l’action gouvernementale ».

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tend à contester les modalités d’exécution des perquisitions dans les locaux d’un ministère. Selon quelles règles se déroulent ces opérations ?

Alors que le législateur a prévu des règles particulières pour la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, il n’a pas estimé nécessaire de soumettre les actes d’investigation, tels que les perquisitions effectuées au sein d’un ministère, à un régime spécifique. A cet égard, l’article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République indique que « la commission d’instruction procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le code de procédure pénale et spécialement celles relatives aux droits de la défense ».

Il en résulte donc que les perquisitions accomplies, au cours de l’instruction, au sein d’un ministère doivent être conduites conformément aux dispositions des articles 95 à 97 du code de procédure pénale. Ces textes, qui renvoient aux règles régissant les perquisitions effectuées dans le cadre d’une enquête de flagrance, précisent les heures légales pendant lesquelles ces opérations peuvent avoir lieu (entre 6 h du matin et 21 h du soir ; art. 59 C. proc. pén.), les formalités requises pour leur accomplissement (présence de l’occupant des lieux ou, en cas d’impossibilité, d’un représentant de son choix ou de deux témoins de « régularité ») ainsi que les modalités de saisie des éléments de preuve découverts sur les lieux perquisitionnés.

En dehors de ces règles générales, les perquisitions réalisées au sein d’un ministère peuvent justifier le recours aux dispositions spécifiques de l’article 56-4 du code de procédure pénale, qui doivent recevoir application dès lors que de telles opérations sont effectuées dans un lieu « abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale ». En particulier, elles doivent être accomplies par un magistrat, en présence du président de la Commission du secret de la défense nationale ou d’un de ses représentants. La liste des lieux bénéficiant d’une telle protection est établie de façon précise et limitative par arrêté du Premier ministre.

Dans le cadre de la procédure à l’issue de laquelle le garde des Sceaux a été renvoyé devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts, la commission d’instruction a fait usage, à l’occasion d’une perquisition effectuée au sein du ministère de la Justice, des dispositions de l’article 56-4 du code de procédure pénale, car certains des bureaux s’y trouvant, dont celui du ministre de la Justice, étaient mentionnés dans cette liste. En particulier, la perquisition en cause a été réalisée par « les trois magistrats de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République », assistés par « une vingtaine d’enquêteurs de la section de recherches de la Gendarmerie de Paris » et les membres de la Commission du Secret de la Défense Nationale.

Quels sont les points de droit soulevés par la QPC transmise par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 17 février 2023 ?

La question prioritaire de constitutionnalité conteste « les dispositions des articles 56, 57, alin. 1er, et 96 du Code de procédure pénale, en ce qu’elles autorisent la perquisition au sein du siège d’un ministère, lieu d’exercice du pouvoir exécutif au sens de l’article 20 de la Constitution, sans assigner de limites spécifiques à cette mesure, ni l’assortir de garanties spéciales de procédure permettant de prévenir une atteinte disproportionnée à la séparation des pouvoirs ». En particulier, en l’absence de dispositions spécifiques régissant les perquisitions effectuées dans les locaux d’un ministère, le requérant reproche au législateur d’avoir méconnu le principe de la séparation des pouvoirs, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et l’article 34 de la Constitution qui impose au législateur de fixer les règles concernant la procédure pénale.

La question prioritaire de constitutionnalité soulève donc le « grief d’incompétence négative », dès lors que le législateur aurait omis « d’assortir un dispositif relevant de sa compétence de garanties suffisantes pour assurer la protection d’un principe constitutionnel », à savoir celui de séparation des pouvoirs.

A l’appui de ces arguments, le demandeur fait valoir que l’autorité judiciaire dispose « de la liberté totale de prendre connaissance et de saisir de nombreux documents présents dans les locaux des ministères », qui « ne sont pas nécessairement couverts par le secret défense, lequel en outre n’a pas pour objet de préserver la séparation des pouvoirs ». Ainsi, une perquisition effectuée au sein du ministère de la Justice peut conduire à la saisie de nombreux documents, tels que des projets de nomination de magistrats, des circulaires sur l’organisation de la magistrature, des remontées d’informations, qui « n’entrent pas dans la catégorie du secret défense, mais qui possèdent une sensibilité certaine ». De tels documents peuvent être saisis par la justice, « sans que puisse être notamment vérifiée – par un représentant du pouvoir exécutif – l’utilité de la saisie pour la manifestation de la vérité ».

Enfin, le requérant invoque, dans les mémoires spéciaux, que l’atteinte portée à la séparation des pouvoirs et la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence affectent « manifestement les droits et libertés garantis par la Constitution aux titres desquels figurent les droits de la défense et le droit au procès équitable ».

Quels sont les enjeux soulevés par cette question prioritaire de constitutionnalité ?

Différentes solutions pourraient être envisagées. Dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel ferait droit aux arguments du requérant et déclarerait le dispositif inconstitutionnel, cette déclaration aurait pour conséquence de priver de fondement légal la décision attaquée, par laquelle, la commission d’instruction de la Cour de justice de la République a jugé régulière la perquisition réalisée au ministère de la Justice. La déclaration d’inconstitutionnalité pourrait donc conduire à l’annulation de cette décision pour défaut de fondement juridique.

Le Conseil constitutionnel pourrait également opter pour une abrogation différée du dispositif en cause, en appréciant les conséquences qu’emporterait une abrogation immédiate. Dès lors que l’abrogation prononcée crée un vide juridique, la Haute juridiction pourrait faire le choix d’en reporter la date afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée. Tel était le cas de la décision n° 2015-506 QPC  du 4 décembre 2015, par laquelle, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions des articles 56 et 57 du Code de procédure pénale, en estimant que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence en s’abstenant de prévoir des garanties nécessaires à assurer le respect du « principe d’indépendance des juridictions, qui est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, et dont découle le principe du secret de délibéré ». Le Conseil constitutionnel a reporté au 1er octobre 2016 la date de cette abrogation, affirmant que « la remise en cause des actes de procédure pénale pris sur le fondement des dispositions déclarées inconstitutionnelles méconnaîtrait l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et aurait des conséquences manifestement excessives ». La lacune législative a finalement été comblée par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, ayant imposé qu’un ensemble de garanties entoure désormais les perquisitions dans les locaux d’une juridiction ou au domicile d’une personne exerçant des fonctions juridictionnelles (art. 56-5 C. proc. pén.).

Avis de M. Desportes, Premier avocat général.

Rapport de Mme Dard, Conseillère, assistée du Service de documentation, des études et du rapport.

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