Par Hugues Périnet-Marquet, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Le droit français des changements d’usage, aujourd’hui contenu dans les articles L 631-7 et suivants de Code de la construction et de l’habitation, a pour origine principale une législation de l’immédiat après-guerre qui visait à éviter la diminution du parc de logements. Profondément réformé par une ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005, il subordonne, dans les villes de plus de 200 000 habitants et de la petite couronne parisienne (même si d’autres peuvent décider d’appliquer ce dispositif) à autorisation tout changement d’usage d’un local qui au 1er janvier 1970 était à usage d’habitation ou qui a fait, depuis, l’objet d’une autorisation d’urbanisme lui donnant cette destination. La loi ALUR du 24 mars 2014 a étendu ce dispositif en considérant comme un changement d’usage soumis à autorisation le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile. La Ville de Paris a donc utilisé cette règlementation pour lutter contre ce type de location popularisé par la plate-forme Airbnb. La rigueur des sanctions en la matière a poussé les avocats de plusieurs propriétaires poursuivis à soulever divers moyens de défense, notamment l’illégalité de cette règlementation au regard du droit européen et en particulier de la directive 2006/123 sur les services. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2021 sont venus, de ce point de vue, répondre à trois questions.

La réglementation des changements d’usage, telle que mise en place par la Ville de Paris, est-elle conforme aux exigences du droit européen ?

Cette interrogation, soulevée par une société poursuivie par la ville de Paris pour avoir fait des locations de courte durée sans respecter la procédure de changement d’usage avait été transmise le 15 novembre 2018 (pourvoi n° 17–26156) par la troisième chambre civile à la CJUE.  Cette dernière a considéré, le 22 septembre 2020 (Cali appartement SCI et HK contre procureur général près la cour d’appel de Paris aff C724/18 et C 727/18), que la réglementation française du changement d’usage était justifiée dans son principe et a renvoyé aux juridictions nationales pour apprécier si la proportionnalité des mesures prises au titre de l’article L 631-7 existait bien.

La troisième Chambre civile devait, notamment, apprécier la pertinence, à cet égard, de la procédure de compensation mise en place par la Ville de Paris. On pouvait se poser quelques questions à la lecture de l’arrêt de la CJUE, au regard, en particulier, de la pertinence des secteurs de compensation renforcée qui obligent à transformer deux fois plus de surface de bureau en habitation que l’on ne transforme d’habitation.

La  Cour de cassation, dans deux arrêts du 18 février 2021 (arrêt n°195 n°17-26.156 et arrêt n°199 n°19-11.462), considère , au vu de la réponse de la CJUE, que l’article 631-7 est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l’objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Il satisfait donc aux exigences de l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123.

La Cour de cassation considère notamment, qu’il est possible d’éviter la  double compensation. Elle indique, en effet, que le quantum de la compensation porte, dans le secteur de « compensation renforcée », sur des locaux de surface équivalente si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux. Elle considère également que « ce dispositif est compatible avec le maintien d’une activité de location de locaux meublés à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile dès lors que, même dans les secteurs de compensation renforcée, il ne fait pas obstacle à l’exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d’habitation et à la possibilité de satisfaire à l’obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d’autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d’autres mécanismes, tel l’achat de droits dits de « commercialité  » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du « parc de logement de longue durée ». Cette conception peut paraître sévère pour les propriétaires concernés. Elle montre que la troisième chambre civile a pris la mesure de l’impérieuse nécessité de décourager tout changement d’usage dans les secteurs où la pression des bureaux est la plus forte.

Que faut-il entendre par location répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ?

La Cour de cassation devait également statuer sur l’argument soulevé selon lequel sa réglementation française n’était pas suffisamment claire et intelligible au regard des exigences de l’article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2006/123, notamment quant à la définition des locations de courte durée prévues par le texte.  Pour apporter une réponse positive à cette question, la Cour n’hésite pas, dans les arrêts n°195 (n°17-26.156) et n°198  (n°19-13.191) à préciser elle-même le sens qui doit être donné à la loi.  En combinant les dispositions des article L 631-7 et L 632-1 du code de la construction, elle indique qu’hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

Elle adopte donc une conception relativement large puisque, sauf quelques exceptions légales, elle considère comme de courte durée toute location de moins d’un an. Elle n’a donc pas totalement repris le critère des meublés de tourisme définis à l’article L 324-1-1 du code du tourisme. Elle applique d’ailleurs cette définition dans l’arrêt 198 en considérant que constitue un changement d’usage soumis à autorisation le fait que le même logement ait été loué deux fois, pour une durée de quatre mois et de six mois, par deux sociétés différentes mais pour le même salarié. Airbnb est donc loin de constituer le seul exemple d’application de la règlementation qui est, en l’espèce, plutôt sévèrement appréciée.

A quel moment apprécier l’usage d’habitation ?

La Cour de cassation confirme, dans le troisième arrêt numéro 198 (n°19–11 462), son interprétation stricte de l’article L 631-7 qui précise qu’un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 (déjà dans le même sens Cass 3e civ 28 novembre 2019 n° 18-23769 ; Cass 3e civ 28 novembre 2019 n° 18-24157 ; Cass 3e civ 28 mai 2020, n°18-26.366). Elle considère donc qu’un formulaire H2, c’est-à-dire correspondant à un usage d’habitation, rempli en 1978, ne peut être une preuve suffisante de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970, même si le loyer indiqué était celui de 1970, conformément aux exigences de rédaction du formulaire. Elle retient, de même, que l’absence de mention de travaux dans le formulaire n’est pas de nature à prouver qu’au 1er janvier 1970 le bien était à usage d’habitation. Elle persiste dans son interprétation stricte de la date du 1er janvier 1970, peu important que, par la suite, le bien ait pu avoir, dans les faits, un usage d’habitation. Elle se montre ici respectueuse du texte dans la mesure où celui-ci précise que les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, ce qui implique, a contrario, qu’en l’absence de délivrance d’une telle autorisation, seul doit être retenu l’usage existant en 1970, quelle qu’ait été l’évolution postérieure de l’occupation du bâtiment.

Même si son point de vue n’est pas retenu sur ce dernier aspect, la Ville de Paris ne peut donc qu’être satisfaite de voir sa règlementation du changement d’usage validée. Plus de 400 dossiers d’infraction, suspendus en l’attente de ces décisions, vont pouvoir aboutir et la Ville souhaite, dans un souci de meilleure efficacité, faire passer les effectifs du bureau de la protection des locaux d’habitation de 20 à 35 personnes. Même après la fin du COVID, les beaux jours des locations de courte durée à Paris ne reviendront donc pas.