Par Michel Degoffe – Professeur de droit public à l’Université Paris Cité
La crise énergétique a pris la France à contretemps. Alors que l’industrie nucléaire assure 67% de la production d’électricité, l’État s’est engagé à réduire rapidement cette place avec la loi relative à la transition énergétique de 2015 qui prévoyait une réduction de cette part à 50% à l’horizon 2025 (échéance reportée à 2035 par la loi relative au climat de 2019). Conformément à ces engagements, quelques jours avant son départ, le président de la République, François Hollande avait ordonné la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim la subordonnant toutefois à des conditions à la réalisation incertaine (la mise en service de l’EPR de Flamanville que l’on attend toujours). Emmanuel Macron a, au contraire, ordonné cette fermeture sans conditions. Dans le même temps, l’Union européenne fixe des objectifs, la neutralité carbone d’ici 2050, qui vont augmenter de manière exponentielle la consommation électrique. Un seul exemple, l’Union européenne a décidé qu’il ne serait plus fabriqué de véhicules à moteur thermique à compter de 2035. A terme donc, le parc automobile fonctionnera à l’électrique ou à l’hydrogène.

Pour répondre à cette crise, le président de la République a donc changé son fusil d’épaule. Dans son discours de Belfort du 10 février 2022, il annonce que la France devra produire 60% d’électricité de plus qu’aujourd’hui. Cet objectif passe par la relance de la politique nucléaire (il souhaite que 6 EPR nouveaux soient construits et 8 autres à terme). Mais cela nécessite aussi une accélération du développement des énergies renouvelables. D’où le dépôt d’un projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables que l’Assemblée nationale a adopté en première lecture il y a quelques jours.

Quels sont les objectifs en matière d’énergies renouvelables fixés par l’Union Européenne ?

La politique énergétique de la France s’inscrit dans des objectifs arrêtés par l’Union européenne. Il suffit de se reporter au titre préliminaire au code de l’énergie qui fixe les objectifs de cette politique énergétique : la France s’assigne l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il s’agit donc de la reprise de l’ambition affirmée par l’Union européenne dans son paquet climat. Neutralité carbone, cela signifie donc réduire les émissions de gaz à effet de serre ce qui requiert la réduction drastique de l’utilisation de l’énergie fossile (pétrole, gaz). Cela passe également par des économies d’énergie, d’où par exemple, la politique de rénovation énergétique des bâtiments (responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre) qui entraînera à terme l’exclusion du marché des logements les plus énergivores. Seule discordance entre l’Union européenne et la France, la part singulière de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité en France. Cette part devrait être saluée puisque l’énergie nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre. Mais les choses ne sont pas aussi simples car plusieurs États européens sont hostiles au nucléaire. La France a dû d’ailleurs batailler ferme pour que le nucléaire soit classé énergie verte dans la taxonomie européenne. Si cette énergie en avait été exclue, les moyens d’accéder aux prêts bancaires auraient été rendus difficiles ou coûteux alors que la relance du nucléaire annoncée par le président exigera justement des investissements considérables.

Quelles sont les principales mesures envisagées dans ce projet de loi ?

Le gouvernement justifie le dépôt de son projet de loi par les objectifs ambitieux de développement des énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, hydroélectricité, méthanisation) affirmés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (la dernière version date de 2021 et la nouvelle est en préparation) et dans le paquet européen Fit for 55 qui fixe pour objectif à l’horizon 2030 40% d’énergies renouvelables dans la consommation finale. Pour atteindre ces objectifs, il faut assouplir la réglementation qui encadre l’installation d’ouvrages de production d’énergies renouvelables tout en prenant en considération l’acceptabilité sociale. Le gouvernement est conscient, en effet, que l’éolien, par exemple, n’a plus le vent en poupe, les contentieux se multiplient. Dans ce but, le projet de loi rend plus aisée la révision des documents d’urbanisme nécessaires pour rendre possibles les projets (passage de la procédure de révision à la procédure de modification simplifiée). Il facilite la régularisation par le juge des autorisations environnementales irrégulières. L’autorisation environnementale a été créée en 2017 pour fusionner plusieurs polices administratives spéciales. Par exemple, l’implantation d’un parc éolien nécessitait plusieurs autorisations (au titre de la police des installations classées, des polices de l’eau, de l’urbanisme). En vertu du principe d’indépendance des législations, chaque autorité de police devait se prononcer séparément ce qui retardait la réalisation des projets. D’où la création d’une autorisation unique, l’autorisation environnementale. En pratique, elle n’a pas supprimé les retards. Aussi, le projet de loi prévoit-il un régime dérogatoire plus souple pendant une courte période. Autre assouplissement : certains ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable seront reconnus par la loi comme répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Une telle reconnaissance rendra plus aisée l’autorisation de porter atteinte à des espèces protégées (art. L. 411-1, code de l’environnement). Le projet de loi renforce également les obligations pour les entreprises qui construisent des parkings d’y installer des ombrières avec des panneaux photovoltaïques. Il abaisse le seuil (de 1000 m2 à 500 m2) à partir duquel celui qui construit un bâtiment à usage de bureau ou industriel doit y installer des panneaux photovoltaïques. Manifestation de la volonté de faire en sorte que le développement de l’énergie renouvelable ne se fasse pas au détriment d’autres usages, le projet de loi comporte des dispositions sur l’agrovoltaïsme, c’est-à-dire la pose de panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles sans remettre en cause cette affectation agricole.

En revanche, alors que le Sénat avait, dans un premier temps, voté une disposition en ce sens, le texte voté par l’Assemblée nationale n’introduit pas un droit de veto au profit du maire pour s’opposer à l’implantation d’ouvrages producteurs d’énergie renouvelable comme les éoliennes par exemple. Ce droit de veto souvent souhaité par les élus aurait mis en péril l’objectif affiché par le projet de développer l’éolien puisque les populations sont désormais fréquemment hostiles au déploiement des parcs éoliens.

Comment ce projet de loi s’articule-t-il avec la concertation nationale sur la stratégie énergétique ayant eu lieu de septembre à décembre 2022 ? Quelle place laisse-t-il aux propositions citoyennes sur ce sujet ?

La situation politique conduit le gouvernement à marcher sur des œufs. Bien que ne disposant que d’une majorité relative, il a obtenu le vote du projet de loi d’accélération des énergies renouvelables grâce notamment au soutien des députés socialistes et à l’abstention des verts. Cette situation politique incertaine explique sans doute pourquoi le gouvernement a déposé de manière séparée un projet de loi portant sur le renouvelable et un autre sur le nucléaire, alors que le président de la République avait annoncé dans son discours de Belfort précité que la politique énergétique doit marcher sur ses deux jambes. Mais l’association des deux relances aurait pu coaguler les oppositions et faire échec à l’adoption du texte.

La participation citoyenne donne lieu aux mêmes ambiguïtés. Le président de la République a chargé la Commission nationale du débat public d’organiser un débat sur le nucléaire. Rappelons que cette autorité administrative indépendante, créée par la loi Barnier de 1995, doit permettre aux citoyens de se prononcer sur l’opportunité d’une politique avant que celle-ci ne soit mise en œuvre. Mais quels peuvent être les effets pratiques de ce débat dès lors qu’au préalable, le président de la République a annoncé une relance ambitieuse de la politique nucléaire ?

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