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Le projet de loi « Darmanin » peut-il contribuer efficacement à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ?

Par Serge Slama – Professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, CRJ - Fellow à l’Institut convergences migrations (ICM) - Co-directeur du Master droit des libertés

Le 1er février 2023, à l’issue du conseil des ministres, le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » a été déposé au Sénat. Il doit être examiné en procédure accélérée. Ce projet, dont des préversions ont fuité depuis septembre dernier, a déjà été au cœur du débat annuel sur les politiques d’asile et d’immigration qui s’est tenu au Parlement les 6 et 13 décembre 2022 et de la diffusion le 26 janvier des statistiques annuelles d’immigration. Présenté conjointement par les ministres de l’Intérieur, G. Darmanin, et du Travail, O. Dussopt dans un entretien au Monde, ce texte est censé reposer sur un équilibre. Mais, très dépendant de l’attitude des Républicains, le Gouvernement trouvera-t-il une majorité pour assurer son adoption ? En même temps, intervenant quatre ans après la dernière réforme d’ampleur dans ce domaine, ce texte donne l’impression que quoi qu’il en soit, qu’il soit adopté ou non, il ne parviendra ni à améliorer l’intégration ni à assurer un contrôle plus efficace de l’immigration…

Quelle a été la genèse de ce projet de loi « Darmanin » ? 

S’il est adopté, le projet « Darmanin » serait, selon notre décompte, la vingtième réforme d’ampleur de la législation sur l’asile et l’immigration depuis 19801 et, selon l’avis du Conseil d’État, le « huitième projet de loi majeur » réformant le CESEDA adopté en 2005 et recodifié en 2021. Ce texte intervient quatre ans, à peine, après l’adoption de la loi « Collomb » du 10 septembre 2018 qui, déjà, se fixait comme objectifs, selon son intitulé, de parvenir à une immigration « maîtrisée », un droit d’asile « effectif » et une intégration « réussie ».

Pourtant, la loi de 2018, comme les trois lois antérieures adoptées sous le mandat Hollande, n’a donné lieu à aucun bilan sérieux de la part du Gouvernement. C’est le Conseil d’État lui-même qui souligne, dans son avis, comme il l’avait déjà fait en 2018, qu’il aurait souhaité « trouver » dans les documents préparatoires présentés par le Gouvernement « les éléments permettant de prendre l’exacte mesure des défis à relever dans les prochaines années ». Il regrette aussi l’absence de « diagnostic d’ensemble des principales mesures législatives prises en matière d’immigration et d’asile ces dernières années », d’éléments statistiques fiables ou de premier bilan de la loi « séparatisme » de 2019, dont 6 dispositions concernaient les étrangers .

Cette absence d’évaluation réelle des législations sur l’immigration est d’autant plus regrettable que l’actuel ministre de l’Intérieur a eu le temps de préparer son texte puisque le dépôt de celui-ci a été repoussé à plusieurs reprises. Une partie du projet de loi reprend d’ailleurs un texte qui avait été préparé avant l’élection présidentielle, suivant les préconisations du Conseil d’État de 2020 de simplification du contentieux des étrangers.

Le projet aurait donc gagné à une réelle remise à plat de ce droit profondément dysfonctionnel, comme en témoigne les rapports accablants de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Par exemple, il aurait pu s’efforcer de placer l’étranger ou le demandeur d’asile, en leur qualité d’administrés, au cœur d’un service public de l’accueil et de se donner les moyens matériels et humains nécessaires. Ainsi, malgré les décisions de Section du 3 juin 2022 sur l’illégalité des procédures de dématérialisation des demandes de titres de séjour en l’absence de dispositif de substitution, le projet ne contient absolument aucune solution pour y remédier.

Quelles sont les dispositions du projet Darmanin qui vous paraissent les plus critiquables ?   

L’économie générale du texte est critiquable mais on peut évoquer pêle-mêle :

– Les dispositions visant à soumettre, dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (CIR), à la réussite à un test de français (niveau A1 ou A2) la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle (CSP), ce qui risque d’avoir des effets discriminatoires sur certaines populations immigrées, particulièrement féminines.

– L’assouplissement des conditions d’éloignement des étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public par notamment l’élargissement des cas de figure dans lesquels certaines catégories (jeunes arrivés avant l’âge de 13 ans, parents d’enfants français, conjoints de français, etc.) ne sont plus protégées de manière quasi-absolue contre l’expulsion ou encore contre l’extension des peines d’interdiction du territoire français.  Alors que ces mesures d’éloignement (OQTF liées à l’ordre public, arrêtés d’expulsion, interdictions judiciaires du territoire français) concernent actuellement quelques milliers d’étrangers (350 arrêtés d’expulsion, environ 4000 OTF et plus de 2000 OQTF liées à l’ordre public, souvent pour des étrangers détenus), le texte change d’échelle et cette « double peine » décuplée pourrait concerner plusieurs dizaines de milliers d’étrangers, notamment par le fait que l’exception à la protection légale ne vaudra plus en cas de condamnation définitive pour des crimes ou des délits punissables de cinq ans ou plus d’emprisonnement et non, comme aujourd’hui, une condamnation ferme au moins égale à cinq ans. Cela va aussi complexifier le contentieux puisque la protection de ces catégories ne sera plus automatique mais relèvera de l’appréciation, au cas par cas, du risque d’atteinte disproportionnée à l’article 8 CEDH, s’agissant d’étrangers ayant d’importantes attaches avec la France.

– Est encore plus critiquable, et probablement contraire à la Constitution, le fait d’autoriser le recours à la coercition pour le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie des étrangers en séjour irrégulier ou contrôlés à l’occasion de leur franchissement de la frontière alors qu’ils ne satisfont pas aux conditions d’entrée sur le territoire. Il est étonnant que le Conseil d’État ne s’y soit pas opposé alors qu’une telle contrainte par corps imposée est proprement inadmissible et qu’un tel comportement est déjà pénalement sanctionné (art. L.821-2 et L.822-1 et L. 824-2 du CESEDA)2.

– le projet réintroduit aussi, avec des précisions sur les comportements répréhensibles, des dispositions de la loi « séparatisme », qui avaient été censurées par le Conseil Constitutionnel. Elles visent à permettre de refuser ou retirer un titre de séjour pour un comportement manifeste de rejet des « principes et valeurs de la République française » et, plus largement, conditionner la délivrance de tout document de séjour à la signature, par l’étranger, d’un acte d’engagement à ces principes et valeurs3. Mais, bien entendu, comme on ne peut, en matière de police administrative, procéder par voie contractuelle, ce dernier engagement n’aura, comme le note le Conseil d’État dans son avis, « pas d’autre effet que d’obliger l’étranger à s’engager à respecter des principes et règles qui s’imposent à tous indépendamment de tout engagement ».

Autres dispositions redoutables, le fait de systématiser les refus de visa pour les étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF, et ce même sans qu’ils n’aient fait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français ; la possibilité de réaliser dans les zones frontalières des « visites sommaires » pour tous les véhicules, y compris les voitures particulières ; le développement des vidéo-audiences et des audiences hors les murs pour les tribunaux administratifs ou le JLD ou encore le régime d’OQTF en détention, etc.

Malgré leur dureté, toutes ces dispositions, qui utilisent les mêmes recettes que celles déjà utilisées depuis une trentaine d’années d’affaiblissement des droits des étrangers, ne devraient toutefois pas parvenir à renforcer significativement l’efficacité des dispositifs.

Pour autant, ce projet fait-il progresser le droit des étrangers sur certains aspects ? 

On peut mettre au crédit du Gouvernement d’une part, les dispositions visant à mettre fin à la présence de mineurs de 16 ans dans les centres de rétention administrative. Il a fallu pour cela pas moins de 9 condamnations de la France par la Cour de Strasbourg depuis 2012 et deux promesses non tenues (Hollande en 2012 et le groupe LREM en 2018). Mais rien ne justifie que les mineurs de 16 à 18 ans ne soient pas concernés. Et qu’en sera-t-il, dans l’ordonnance visant à adapter le projet à l’Outre-mer, de Mayotte (3500 enfants retenus) ?

D’autre part, probablement instruit de l’expérience concernant les protégés temporaires d’Ukraine, le texte prévoit que le marché du travail sera accessible aux demandeurs d’asile originaires de pays bénéficiant « d’un taux de protection internationale élevé », à l’exclusion de ceux relevant de procédures prioritaires ou « Dublin ». Avec la loi de 2018, celui-ci n’était accessible qu’après 6 mois de procédure devant l’OFPRA et n’a bénéficié qu’à…  2,3% des demandeurs d’asile. Selon l’étude d’impact (p.82), avec un taux de protection minimal de 50%, en bénéficieraient les Afghans, les Érythréens et les Syriens, soit environ 13 000 primo-demandeurs majeurs (19% des premières demandes).

On peut aussi mettre au crédit du Gouvernement la volonté de durcir les sanctions contre l’habitat indigne (marchands de sommeil) ou encore la création d’une carte de séjour « talent-professions médicales et de la pharmacie » au bénéfice des professionnels de santé « praticiens diplômés hors Union européenne » (PADHUE), même si ce statut est, selon le Conseil d’État, complexe et difficile à articuler avec les procédures déjà existantes.

1à l’exclusion des lois portant spécifiquement sur la nationalité et sans prendre en compte les nombreuses lois qui ont modifié ponctuellement le statut des étrangers (comme des lois sur le terrorisme, sécuritaires, sur le séparatisme ou encore les violences faites aux femmes ou certaines lois sociales ou budgétaires)

2 v. toutefois Cons. constit, déc. n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023Syndicat de la magistrature et autres, [Placement ou maintien en détention des mineurs et relevés signalétiques sous contrainte

3 L’article L. 412-7 du CESEDA prévoirait : « L’étranger qui sollicite un document de séjour s’engage à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers »

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