Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas, expert du Club des juristes

Le modèle existant

Une mesure de sûreté consiste en la limitation d’une ou plusieurs libertés, infligée à une personne dont on craint qu’elle ne commette des infractions ou qu’elle ne trouble l’ordre public, alors que, et c’est ce qui la distingue de la peine, cette personne n’a pas été condamnée pénalement ou que, l’ayant été, elle a entièrement purgé sa peine. Si elle n’a pas été condamnée, elle est présumée innocente et si elle l’a été et que sa peine est achevée, elle ne doit plus rien à la société. Et cependant, elle doit, par exemple, se présenter régulièrement aux autorités, les aviser de ses voyages, ne pas exercer certains métiers, etc.

Ce sont donc des soupçons de dangerosité conçus à l’égard d’un citoyen qui fondent le prononcé de telles mesures dont les variétés les plus célèbres, en même temps que les plus sévères, sont la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté instituées par la loi du 25 février 2008 (art. 706-53-13 à 706-53-22 du Code de procédure pénale). Elles sont applicables à des personnes qui ont été condamnées à quinze ans ou plus de réclusion criminelle à raison de certains crimes parmi les plus graves comme l’assassinat d’un mineur ou les tortures et actes de barbarie, si la personnalité de ces condamnés fait craindre une récidive. La rétention de sûreté est tout simplement un prolongement de l’incarcération ; la surveillance de sûreté comprend une série de limitations de libertés qui sont aussi celles du sursis probatoire (répondre à des convocations, demander l’autorisation d’un juge avant de changer d’emploi ou de résidence, ne pas fréquenter certains lieux ou certaines personnes etc. : art. 132-44 et 132-45) auxquelles peut s’ajouter l’assignation à domicile.

Imitation du modèle à l’usage des anciens terroristes

Mme Yaël Braun-Pivet a rédigé une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (AN doc. n° 2754) dont l’objet est d’appliquer une forme de surveillance judiciaire à ces condamnés, alors qu’ils ont subi des condamnations bien moins graves que celles qui les exposeraient à cette surveillance, mais qui sanctionnent des infractions terroristes dont la longue liste figure aux articles 421-1 à 421-8 : il peut en effet s’agir de délits, comme le vol, le blanchiment ou le délit d’initié destinés à préparer une entreprise terroriste. Il suffit, quant au quantum de la peine prononcée contre les personnes visées, qu’elle consiste en un emprisonnement correctionnel, si court soit-il ou, bien sûr, une peine criminelle. Même les mineurs peuvent subir l’application des mesures de sûreté projetées.

Il s’agit, selon l’exposé des motifs, d’éviter que ces condamnés ne soient remis en liberté sans qu’aucune surveillance ne s’exerce sur eux. La proposition vise en particulier les combattants islamistes qui ont participé à la guerre de Syrie et dont on peut craindre que, malgré leur emprisonnement ou à cause de lui, ils ne se soient endurcis dans leurs convictions. Il existe bien sûr des surveillances administratives fondées sur la compilation de fichiers de police, mais Mme Braun-Pivet estime qu’elles ne sont ni assez sévères ni assez prolongées.
Sa proposition de loi a été examinée et amendée, le 17 juin 2020, par la Commission des lois de l’Assemblée nationale (AN doc. 3116).

L’état actuel du texte

La « particulière dangerosité » de l’ancien condamné réside dans une « adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur et une probabilité très élevée de commettre l’une de ces infractions ». Ce trait désigne même les petites mains des attentats terroristes, quoiqu’on ne puisse pas leur reprocher d’avoir exécuté personnellement ces crimes, et les possibles anciens combattants de Syrie condamnés pour association de malfaiteurs.

L’autorité compétente pour ordonner les mesures de sûreté est celle qui peut appliquer la rétention et la surveillance de sûreté : la juridiction régionale de la rétention de sûreté qui est composée de trois magistrats d’une cour d’appel. La proposition de loi désignait le tribunal de l’application des peines.

Les mesures restrictives de libertés comprenaient, selon la même proposition, le placement sous surveillance électronique mobile, mais la commission des lois a craint que le Conseil constitutionnel ne le juge disproportionné. Il l’a remplacé par « une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté » ; et le texte ajoute un alourdissement de la mesure, selon lequel « cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider ». Les autres mesures sont empruntées au sursis probatoire : obligation de se présenter aux autorités, interdictions de fréquentation de certains lieux ou personnes, etc. (art. 706-25-15, I C. proc. Pén.).

La commission a aussi réduit la durée maximum de ces mesures telle qu’elle était fixée par la proposition : d’abord prononcées pour un an elles peuvent être renouvelées jusqu’à dix ans si les faits pour lesquels l’assujetti fut condamné constituaient un crime ou un délit faisant encourir dix ans d’emprisonnement (cinq ans si c’est un mineur au moment des faits), cinq ans dans les autres cas (trois ans pour le mineur).

L’inexécution des mesures de sûreté consomme un nouveau délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende (art. 706-25-18). Elle menace celui qui ne réside pas dans l’établissement d’accueil pour l’acquisition des valeurs de la citoyenneté.

Rétroactivité ?

Une question préoccupante est l’application future de cette institution aux terroristes qui ont déjà été condamnés et qui sont actuellement détenus. Or un principe constitutionnel et conventionnel du droit pénal est l’interdiction des lois rétroactives et, par hypothèse, la future loi, si elle est votée, devrait s’appliquer à des condamnés pour des faits antérieurs à son entrée en vigueur. Mme Braun-Pivet se rassure sur ce point en considérant la décision rendue par le Conseil constitutionnel après le vote de la loi du 25 février 2008 : il avait censuré l’application rétroactive de la rétention de sûreté, et avait épargné la disposition qui en usait de même à l’égard de la surveillance de sûreté (Cons. const. 21 févr. 2008, déc. 2008-562 DC). Mais, comme l’a senti la Commission de lois, il existe encore le risque que le Conseil ne juge les mesures trop lourdes et donc disproportionnées, surtout à l’égard des mineurs.