Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), Expert du Club des juristes

Des manifestations se sont déroulées le samedi 17 juillet après que le chef de l’État eut annoncé, le 12 juillet, l’instauration d’un passeport sanitaire qui sera exigé à l’entrée de certains lieux et notamment les restaurants et de l’obligation vaccinale à une partie de la population. Le passeport contient « le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 ». L’exigence de la production de ce document existe déjà en vertu de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la sortie de la crise sanitaire et en exécution de laquelle, le Premier ministre a publié un décret n° 2021-699 du 1er juin modifié six fois : son article 47-1 énumère les endroits que l’on ne peut d’ores et déjà pas fréquenter sans présenter le passeport. Le Président n’a donc fait qu’annoncer l’extension de l’obligation à l’entrée de nouveaux établissements d’une disposition déjà en vigueur, outre l’obligation vaccinale.

C’est l’objet du projet de loi n° 4386 enregistré au bureau de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2021 et adopté par elle dans la nuit du 22 au 23 juillet (TA n° 654).

Que recouvre précisément l’élargissement de l’obligation de présenter un passeport sanitaire ?

La loi du 31 mai 2021 habilite actuellement le Premier ministre à imposer la présentation du passeport sanitaire pour l’accès « à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels » et ils sont énumérés par l’article 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié pour la dernière fois par le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021. Il est en vigueur. Le projet de loi allonge la liste des lieux et établissements qui, si la loi est votée, comprendra de surcroît les restaurants et débits de boissons, les établissements de santé, les transports à longue distance, les grands magasins et les centres commerciaux s’étendant sur une certaine surface à déterminer par décret.

Certes, ces nouvelles dispositions auxquelles les restaurateurs et les commerçants seront soumis sont moins attentatoires à la liberté du commerce que ne l’était la fermeture complète de leurs établissements, appliquée pendant les confinements. Néanmoins, ces entrepreneurs sont très préoccupés par la manière concrète dont ils devront exercer les contrôles de leurs clients. Ils sont déjà contraints de refuser la visite de certaines personnes : les mineurs ne doivent être admis dans les établissements de jeux (art. 14 et 19 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959) ni dans les cinémas qui projettent des films qu’il leur est interdit de voir (art. R. 432-3 C. cinéma) ; mais si la présence d’un mineur est facile à détecter, il n’en va pas de même de celle d’une personne non vaccinée. Les exploitants visés par la loi craignent de devoir exercer un contrôle désagréable et coûteux à l’entrée de leur établissement ; les restaurateurs et cafetiers qui disposent d’une vaste terrasse extérieure se demandent comment ils devront traiter l’importun qui s’y installe : il est probable que les tribunaux interpréteront la disposition légale comme une interdiction de le servir.

Quels sont les publics ciblés par l’obligation vaccinale ?

L’obligation de recevoir un vaccin est, par l’article 5 du projet de loi, imposée à un grand nombre de personnes, qui peuvent propager la covid 19 parce qu’elles sont occupées à des professions en relation avec des populations à risque : ce sont toutes les professions en lien avec la santé énumérées avec beaucoup de minutie, y compris les ambulanciers, les travailleurs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et même les artistes qui viennent, à domicile, distraire les seniors et handicapés ; s’ajoutent à cette liste tout le personnel, civil et militaire, affecté à la sécurité civile, les sapeurs-pompiers en tête dont les syndicats ont pourtant protesté.

Quelles sont les sanctions encourues par les récalcitrants ?

La loi du 31 mai 2021 prévoit déjà des sanctions pénales pour les manquements aux obligations qu’on vient de décrire et le projet de loi y ajoute des sanctions civiles pour les salariés.

Les sanctions pénales

Les personnes dépourvues du passeport sanitaire qui pénétreraient dans les lieux qui leur sont interdits s’exposent à une amende contraventionnelle de la 4ème classe : cette sanction est déjà établie par l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique et elle est rappelée dans le projet de loi qui introduit un paragraphe D dans l’article 1er, II de la loi du 31 mai 2021. Les exploitants de mêmes établissements qui accueillent ces importuns sont menacés, eux, d’une amende plus lourde de la cinquième classe.

Les réfractaires à la vaccination et les employeurs qui leur confieraient des travaux s’exposent aux mêmes sanctions pénales (art. 8 du projet de loi)

Ce qui est nouveau, en revanche, est la répression de la réitération de la contravention par les exploitants d’établissement et les employeurs : après trois verbalisations dans un délai de trente jours, le quatrième manquement constitue un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 9.000 € d’amende. L’avant-projet de loi prévoyait l’application de cette peine dès la première infraction ; il fulminait aussi une amende de 45.000 € que le Conseil d’État a jugée trop sévère, mais l’emprisonnement reste prévu.

Il est très probable qu’aucun restaurateur ou employeur n’ira en prison, mais l’intérêt de la référence à un emprisonnement est procédural : elle permet en effet aux officiers de police judiciaire d’utiliser les moyens coercitifs de l’enquête de flagrance : garde à vue, interrogatoire, saisies, interdiction de s’éloigner, déferrement au procureur, comparution immédiate pour l’exemplarité.

Les sanctions civiles

Les sanctions civiles établies sont prévues à l’égard des salariés des établissements dont l’accès est désormais subordonné au passeport sanitaire (art. 1er, II, C modifié de la loi du 31 mai 2021), aux agents publics titulaires et contractuels et aux professionnels assujettis à l’obligation vaccinale (art. 7 du texte adopté).

Les salariés et fonctionnaires des établissements à l’accès desquels le public est subordonné à la détention du passeport sanitaire sont assujettis à la même obligation. S’ils en sont dépourvus, leur employeur devra suspendre leur contrat de travail, et sans rémunération ; après trois jours, il les convoquera pour examiner les moyens de régulariser la situation, par exemple en les affectant à un poste non soumis à l’obligation de la détention de ce document ; et après l’équivalent de deux mois de journées travaillées sans passeport, un licenciement pour juste cause pourra être prononcé après observation des règles du Code du travail.

Les professionnels soumis à l’obligation vaccinale s’exposent aux mêmes sanctions, mais avec une période transitoire. Dès la publication de la loi, ils devront présenter un passeport sanitaire à défaut de quoi ils subiront le sort qu’on vient de décrire à propos des salariés et fonctionnaires des établissements à accès réglementé. À compter du 15 septembre 2021, ces professionnels ne pourront plus exercer leur activité.

Telles sont les rigueurs dont les sénateurs devront, à leur tour, apprécier la légitimité.

Voir aussi à propos de l’impôt mondial sur les multinationales :

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