Par Carole Hardouin-Le Goff – Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Panthéon Assas – Responsable du Master Protection de l’enfance – Directrice des études de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris
La loi en cours d’élaboration crée un nouveau chapitre IV bis au sein du Code de l’action sociale et des familles intitulé « Aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales », comprenant les articles L. 214-8 A à L. 214-10. Devançant quelque peu, à certains égards, le « pack nouveau départ » annoncé par le gouvernement, et faisant suite à une expérimentation menée dans le Nord, cette proposition de loi, votée à l’unanimité en première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale, répond, sous la forme d’une aide financière d’urgence, à ce fléau persistant des violences conjugales, lesquelles ont hélas augmenté de 20 % en 2021 par rapport à 2020.

Quel est l’objectif de cette proposition de loi ?
La nouvelle pierre qui s’ajoute aujourd’hui à l’édifice de la lutte contre les violences conjugales a pour objectif d’aider les victimes de violences commises par un conjoint, un concubin ou un partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité à quitter définitivement le domicile commun, à sortir de l’emprise économique exercé par le conjoint violent et à éviter ainsi « les faux départs » qui menacent leur survie. Parce qu’elles sont très souvent dépendantes financièrement, la proposition de loi attribue donc une aide universelle – car accessible sans conditions de ressources – d’urgence à ces victimes pour leur permettre de faire face aux dépenses contraintes suscitées par leur départ. Certes, l’expulsion du conjoint violent du domicile conjugal est le principe en droit mais vu l’urgence, il est très difficile voire dangereux pour ces victimes d’attendre l’aboutissement des procédures judiciaires pour ce faire.

Quelle forme cette aide peut-elle prendre ?

La proposition de loi énonce en premier lieu que toute personne victime de violences conjugales doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement adapté à ses besoins. Concrètement, cet accompagnement peut consister en une aide financière qui se décline de deux façons : elle peut tout d’abord prendre la forme d’un prêt à taux zéro rapidement octroyé par les organismes débiteurs des prestations familiales (essentiellement les caisses d’allocations familiales). En ce qui concerne le remboursement de ce prêt d’urgence, il pourra être mis à la charge de l’auteur des violences – et c’est là un dispositif très intéressant – grâce à la mise en place d’une nouvelle peine complémentaire posée à l’article 222-44-1 du Code pénal, si celui-ci a été définitivement condamné par la juridiction pénale au titre de violences volontaires. Hormis le cas des violences n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail ou ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à 8 jours, il s’agira d’une peine obligatoire, même si, afin de garantir le principe d’individualisation de la peine, le juge correctionnel pourra écarter son prononcé par décision spécialement motivée selon les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur. Le remboursement de ce prêt d’urgence par l’auteur des violences conjugales peut encore devenir la modalité d’une composition pénale ou d’un classement sous condition au sens des articles 41-2 et 41-1 du Code de procédure pénale tels qu’amendés par l’Assemblée nationale. Dans tous ces cas, un plafond de 5 000 euros est prévu quant au remboursement du prêt par l’auteur des violences afin de respecter le principe constitutionnel de légalité et de proportionnalité des peines.

Si le remboursement du prêt d’urgence incombe en revanche à son bénéficiaire, des remises ou réductions de créance peuvent lui être consenties si sa situation est précaire et pour ne pas le mettre en situation de surendettement. Toutefois, un tel remboursement ne pourra lui être demandé tant que les faits de violences donnent lieu à une procédure pénale en cours.

A côté de ce prêt d’urgence – et c’est là l’apport essentiel des amendements de l’Assemblée nationale – selon la situation financière et sociale de la victime et en tenant compte de la présence d’enfants à charge, l’aide financière d’urgence peut revêtir la forme d’un don non remboursable.

La présence d’enfants à charge constituera aussi un critère susceptible de moduler le montant de l’aide, de même que l’évaluation des besoins de la victime dans la limite de plafonds. Le versement total de l’aide ou d’une partie, pour ne pas perdre l’objectif de la proposition de loi, devra bien entendu intervenir dans un délai rapide de trois jours ouvrés à compter de la réception de la demande (qui peut exceptionnellement être porté à cinq jours si la victime n’est pas connue de l’organisme débiteur des prestations familiales).

Tout paiement indu de l’aide d’urgence sera récupéré par remboursement intégral de la dette par le bénéficiaire, en un ou plusieurs versements, dans un délai fixé par décret qui ne peut dépasser douze mois. En cas de non-remboursement, les sommes allouées sont récupérées par les organismes débiteurs des prestations familiales au moyen de retenues sur des prestations sociales à venir.

En toute cohérence, la proposition de loi prévoit, en outre, de modifier l’article 88 du Code de procédure pénale afin de dispenser les victimes de violences conjugales de la procédure de consignation lorsqu’elles souhaitent se porter partie civile. Certes, c’est là lever un frein financier à leur constitution de partie civile. Néanmoins, l’on peut craindre ici une atteinte au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi puisque seule une catégorie ciblée de victimes est ici concernée.

Comment les victimes de violences conjugales seront-elles orientées vers cette aide ?

L’article 2 de la proposition de loi crée un nouvel article 15-3-2-1 dans le Code de procédure pénale et innove en précisant qu’en cas de dépôt de plainte, la victime de violences conjugales devra être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte (ou, sous son contrôle, par l’assistant d’enquête) de la possibilité de demander cette aide universelle d’urgence, ce qui sort indéniablement de son champ naturel de compétences. De plus, par souci de simplification, au moment de ce dépôt de la plainte sinon du signalement adressé au procureur de la République, avec l’accord de la victime, un formulaire simplifié de demande pourra être transmis à l’organisme débiteur compétent lequel est censé, dès réception de la demande, et de nouveau avec l’accord exprès du demandeur, transmettre au président du conseil départemental afin d’offrir, en outre, à la victime, pendant six mois à compter du premier versement de l’aide, les droits et aides accessoires au revenu de solidarité active ainsi qu’un accompagnement social et professionnel adapté. Il est prévu que dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, le gouvernement remette au parlement un rapport jaugeant précisément ce dispositif à travers une évaluation territorialisée du nombre de demandes d’aide d’urgence transmises par les services de police judiciaire, du nombre et de la nature des interventions des travailleurs sociaux et de la recevabilité des demandes transmises dans ce cadre.

Quelles sont les conditions définies dans la proposition de loi permettant de bénéficier de cette aide ?

L’aide universelle d’urgence n’est pas soumise à conditions de ressources, ni au pouvoir discrétionnaire des conseils d’administration des organismes débiteurs. Elle dépend toutefois de trois critères d’octroi alternatifs. L’aide d’urgence peut d’abord être délivrée en cas d’ordonnance de protection au sens du titre XIV du livre Ier du Code civil, rendue par le juge aux affaires familiales et attestant desdites violences. S’agissant de ce premier critère d’octroi, l’on peut souligner que le nombre de telles ordonnances est encore très limité aujourd’hui, ce qui, à s’en tenir à cette seule condition, rendrait trop restrictif l’accès à l’aide universelle d’urgence. Dès lors, l’aide pourra être également délivrée en cas de dépôt de plainte pour des faits de violences conjugales. A l’origine du texte, il était précisé que la plainte devait concerner une infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement, ce qui s’est, là encore, avéré trop réducteur. Les termes de « violences conjugales » qui sont aujourd’hui préférés, incluent donc potentiellement plusieurs infractions commises sur une personne par son conjoint ou ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité (Pacs) ou concubin comme par exemple les homicides, viols ou agressions sexuelles, violences volontaires, menaces de mort, harcèlements, atteintes à la vie privée ou injures. Reste que nombre de victimes de violences conjugales n’osent pas porter plainte d’où un troisième critère d’octroi pour ne pas exclure celles qui n’osent pas accomplir d’elles-mêmes des démarches judiciaires. Ainsi, l’aide pourra aussi être accordée en cas de signalement des violences adressé au procureur de la République par une tierce personne, notamment par un professionnel de santé.

Cette proposition de loi donnera lieu à une seconde lecture devant le Sénat le 16 février prochain. A suivre…

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