Par Béatrice Parance – Professeure à l’Université Paris 8 Vincennes Saint Denis
Alors que le 8 juin dernier (voir Article sur notre Blog), le Parlement européen avait rejeté une grande part des propositions législatives du Paquet Climat au motif que les textes proposés n’étaient pas suffisamment ambitieux, deux semaines d’intenses négociations en coulisse ont permis de dégager un accord sur la majorité des propositions, entériné lors du vote du 22 juin. Dans le prolongement, le Conseil des ministres de l’Union européenne s’est lui-même prononcé le 28 juin en faveur de ces dispositions avec néanmoins quelques nuances.

Quels sont les points d’équilibre qui ont permis de parvenir au vote favorable du Parlement européen du 22 juin ?

Soulignons d’entrée que ce texte de compromis est le fruit d’un accord entre les principales forces du Parlement européen, soit le parti populaire européen (PPE), les sociaux-démocrates (SD) et Renew Europe (parti centriste). Cet accord s’inscrit dans un contexte très particulier de fortes tensions sur le marché de l’énergie en raison de la guerre ukrainienne. Le communiqué de presse du Parlement précise en ce sens que ces dispositions constituent « une étape importante dans la perspective de se passer bien avant 2030 des combustibles fossiles coûteux et polluants fournis par la Russie ».

Le compromis porte sur trois législations clés pour la poursuite du « Fit for 55 », soit la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, avant l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Premièrement, dans le cadre de la révision du système d’échange des quotas d’émissions de GES, les députés se sont mis d’accord sur une réduction des émissions de 63 % d’ici 2030, et non plus seulement 61 % comme auparavant. En outre, il a été admis que la disparition des quotas gratuits s’échelonnerait de 2027 à 2032, avec une étape en 2030 concernant la moitié des quotas. Enfin les bénéfices tirés de ces mesures devraient être spécifiquement affectés à l’action pour le Climat au sein des Etats membres, ce qui est un point majeur de l’acceptation sociale de telles mesures. Souvenons-nous à cet égard que la taxe carbone à l’origine de la révolte des Gilets jaunes en France devait intégrer le budget général de l’Etat sans connaitre d’affectation particulière à la lutte contre le dérèglement climatique, ce qui avait contribué au sentiment qu’il ne s’agissait là que d’un impôt supplémentaire sous couvert de lutte contre les émissions de carbone.

Deuxièmement, ce vote entérine la création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) dont le calendrier est accéléré : il serait instauré dès 2023 pour être pleinement opérationnel en 2026. Ce mécanisme prévoit l’augmentation du coût d’importation de produits qui ne respectent pas les critères européens en matière d’émission de carbone et vise à lutter contre le risque de fuite de carbone, soit le déplacement de la production hors de l’Union européenne vers des pays aux politiques climatiques plus souples. Le député européen Pascal Canfin s’est réjoui de l’adoption d’une telle taxe qui constitue une première mondiale. Au-delà des secteurs envisagés par la Commission européenne pour être soumis à un tel mécanisme (sidérurgie, raffineries, ciment, produits chimiques de base organiques et engrais), le Parlement souhaiterait l’étendre aux secteurs des plastiques, de l’hydrogène et de l’ammoniac, ainsi qu’aux émissions indirectes soit celles provenant de l’électricité utilisée lors des processus de fabrication. De plus, les députés sont favorables à la mise en place d’une autorité européenne centralisée pour le MACF afin d’éviter toute tentation de forum shopping de la part des importateurs, et afin que les revenus générés par le mécanisme soient utilisés au soutien des pays les moins avancés pour décarboner leurs industries manufacturières, dans le prolongement des dispositions de l’Accord de Paris.

Troisièmement, le Parlement a voté en faveur de la création d’un fonds social climat dédié à la mise en œuvre d’une transition énergétique juste en aidant les personnes les plus exposées à la précarité énergétique et à l’augmentation des coûts de la mobilité en raison de la transition énergétique. Ce fonds vient répondre au souci politique majeur d’inclusion des plus défavorisés dans la transition écologique et énergétique, dont les coûts sont lourds à assumer. Les sommes engagées devraient être affectées aux ménages, aux micro-entreprises et aux usagers des transports les plus impactés par la transition vers la neutralité climatique, sous forme d’incitations fiscales, de subventions ou de prêts à taux zéro.  Il pourrait ainsi s’agir de compenser directement l’augmentation des prix des transports routiers ou des combustibles de chauffage, mais aussi de financer des investissements en matière de rénovation des bâtiments, d’énergies renouvelables ou de développement de transports en commun. Ces trois textes forment un ensemble cohérent et essentiel pour l’atteinte des objectifs européens.

Ces points d’équilibre sont-ils ceux retenus par les conseils des ministres de l’énergie et de l’environnement lors du sommet luxembourgeois des 27 et 28 juin ?

Il s’agissait là du dernier sommet européen des ministres de l’énergie et de l’environnement sous la présidence française de l’Union européenne, ce qui explique que la pression était très forte pour parvenir à un accord sur le Paquet Climat, sujet d’autant plus majeur dans le contexte politique de la guerre en Ukraine. Le Conseil est parvenu à des accords sur les principaux points de la stratégie, ce qui constitue une avancée significative.

Néanmoins, un point de déception se situe dans le rythme de création du MACF et de disparition des quotas gratuits qui s’échelonnerait dans la décision du Conseil sur la période 2026-2035, alors que le Parlement entendait que tout soit réalisé au plus tard en 2032, soit quatre ans plus tôt, différence non négligeable.

En revanche, le montant important alloué au fonds social pour le climat, soit 59 milliards d’euros sur la période 2027 à 2032 est un véritable motif de satisfaction, alors que les Etats qualifiés de frugaux (Allemagne, Pays-Bas, Suède et Danemark) exerçaient toute leur influence pour le réduire. Les positions retenues par le Conseil devront maintenant donner lieu à des négociations avec le Parlement européen afin de parvenir à un accord définitif.

Du point de vue français, ces objectifs paraissent-ils réalistes ou trop ambitieux ?

La réponse se trouve dans le dernier rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat intitulé « Dépasser les constats, Mettre en œuvre les solutions » rendu public le 29 juin 2022. Cette instance d’expertise y souligne que si des efforts certains de réduction des émissions ont été accomplis à l’échelle française, ils sont encore nettement insuffisants pour espérer respecter les objectifs français. Ainsi, il est apprécié que sur les 26 orientations de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), seuls 6 bénéficient de mesures au niveau requis pour l’atteinte des budgets carbone. D’autant que faisant le lien avec le paquet climat européen, le Haut Conseil rappelle qu’il va imposer une accélération sans précédent de la baisse des émissions dans tous les secteurs d’activités. Nous ne sommes ainsi pas au bout du chemin…