Par Frédéric Peltier, Avocat Peltier Juvigny Marpeau & Associés, Expert du Club des Juristes

Il faut se réjouir que l’État ait soutenu les entreprises privées de leurs recettes d’exploitation à cause de la crise sanitaire du Covid-19 par l’octroi massif de crédits, avec le fameux PGE (prêt garanti par l’État) mis en place en quelques jours seulement. Sans cette respiration artificielle, nombre d’entreprises auraient été fauchées sur place. Et si elles pouvaient résister quelques semaines à l’impensable atonie économique, notamment en recourant au chômage partiel largement subventionné par l’État, leur redémarrage post confinement était pour la plupart inenvisageable sans un soutien bancaire sponsorisé par l’État.

Les entreprises en difficulté ont été tenues à l’écart des 100 milliards de PGE octroyés à ce jour

Par un décret en date du 12 juin 2020, l’État providence au soutien des entreprises a encore été renforcé. Un dispositif d’aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de Covid-19 vient désormais en complément du PGE. Ce dispositif est destiné aux entreprises qui n’ont pas convaincu les banques de leur capacité de rembourser un PGE, elles sont légion. En réalité, cette nouvelle aide sous forme d’avances remboursables et de prêts à taux bonifié est destinée aux entreprises qui souffraient déjà avant la pandémie.

Les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas obtenu un PGE suffisant pour financer leur exploitation, y compris après l’intervention du médiateur du crédit, si elles justifient de perspectives réelles de redressement de leur exploitation et qu’elles ne font pas l’objet d’une procédure collective, pourront donc sonner cette fois directement à la porte de l’administration, car la décision d’octroi du crédit sera une décision administrative et non une décision bancaire.

Le critère d’attribution de l’aide de trésorerie prend d’ailleurs un peu d’indépendance ou de hauteur diront certains, au regard des critères de scoring ou d’analyse financière. Le décret précise ainsi que sera pris en compte le positionnement économique et industriel de l’entreprise, comprenant son caractère stratégique, son savoir-faire reconnu et à préserver, sa position critique dans une chaîne de valeur, ainsi que l’importance de l’entreprise au sein du bassin d’emploi local. Politique et macro-économie reprennent donc le leadership dans cette action de l’État qui va affecter des fonds publics au soutien financier de l’économie. D’ailleurs le calcul du montant maximum du prêt fixé à deux années de masse salariale fixe clairement le cap, c’est par le crédit que le gouvernement entend sauver l’emploi en France.

Seulement, voilà, il faut être réaliste, bon nombre d’entrepreneurs et de sociétés commerciales, et pas seulement les plus petites, qui vont bénéficier de ces prêts exceptionnels, sont en train de découvrir que dans ce fameux monde d’après, il va falloir travailler pour sa banque, c’est-à-dire pour rembourser un prêt qui n’a rien d’autre financé que du temps suspendu dans le vide.

Quelles perspectives pour les entreprises dans les mois et années à venir ?

Pour le nouveau système d’aides, certes les taux d’intérêts seront modestes et la durée de remboursement relativement longue (jusqu’à 10 ans), avec un différé d’amortissement (jusqu’à 3 ans). Ces caractéristiques du prêt visent bien entendu à limiter l’affectation des cash-flow futurs au paiement du remède financier du Covid-19. Le décret du 12 juin prévoit aussi que le Ministre chargé de l’économie pourra prendre des arrêtés de rééchelonnement. Il va donc se transformer en conciliateur dans les prochaines années. Cependant, le principal prêté est de l’argent qu’il faudra gagner, et pour certains secteurs d’activité ce qui a été perdu ne se rattrapera jamais. Le contraire est d’ailleurs sans doute l’exception.

Il y a une certitude avec cette injection massive de crédits bancaires pour sauver l’économie, c’est que la valeur des entreprises est passée dans la dette. Pour beaucoup d’entre-elles, le capital, la valeur des actions ou des parts sociales s’est évaporée, dévorée par la perte des capitaux propres. Lorsque la capacité bénéficiaire future d’une entreprise ne sert qu’à rembourser la dette, le capital ne vaut plus rien. Ainsi, ce sont les créanciers qui sont les vrais propriétaires des entreprises surendettés, et tôt ou tard ils prennent les clés. Dans cette situation aussi exceptionnelle, il est impératif que l’État protège les entrepreneurs qui n’ont pas forcément les disponibilités pour renforcer les capitaux propres qui sont la véritable assurance de leur activité contre l’adversité. C’est sans doute le volet qui manque au dispositif pour permette la recapitalisation des entreprises par des dispositifs fiscaux, voire des financements qui assureront l’indépendance financière et capitalistique des TPE-PME.

Même en transformant le financement de la trésorerie en financement à long terme, ce qui inverse l’ordre des choses, il y aura des défaillances d’entreprises dans les mois et années à venir, qui porteront la trace du Covid-19, c’est une certitude. La dette Covid-19 sera donc inexorablement rabotée, au moins partiellement, par le droit des faillites qui éteint les créances des débiteurs qui ne peuvent pas rembourser. Le quoi qu’il en coûte passera aussi par des liquidations judiciaires, des plans de continuation, des plans de cession, autant de procédures collectives d’apurement du passif des sociétés qui vont redistribuer nombre d’actifs commerciaux et industriels à ceux qui auront été épargnés par le Covid-19, et qui pourront rependre les restes de ceux que la dette n’aura pas pu sauver, mais aura accompagné la chute comme, un soin palliatif accompagne la mort.

Il faut donc obligatoirement se tourner vers le droit des entreprises en difficultés pour imaginer le monde d’après. L’objectif numéro un, la sauvegarde de l’emploi, sera réaffirmé haut et fort, à n’en point douter.

Le Prix Nobel Jean Tirolle a pu écrire en d’autres temps que cette priorité pouvait avoir pour effet pervers de freiner la création d’emplois d’entreprises saine et rentable en renchérissant le coût global du crédit. Mais aujourd’hui il n’y a aucune raison de sacrifier les entreprises qui « flottent » en temps normal, parce qu’elle « couleraient » face à une crise sanitaire sans précèdent. La conséquence de cette priorité de la sauvegarde de l’emploi qui est absolument essentielle au plan humain, mais aussi peut être pour éviter une nouvelle chute de la consommation et de la croissance, c’est-à-dire une spirale déflationniste, doit donc reposer sur l’acceptation du sacrifice possible, voire probable d’une partie de cette dette d’urgence qui a été injectée pour sauver les meubles. Le droit des procédures collectives doit donc plus que jamais fixer sa priorité pour demain. S’il s’agit de protéger les créanciers, tendance qui s’imposait de plus en plus avant le Covid-19, le monde d’après sera bien plus dur que le monde d’avant.

 

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