Par Julien Padovani, Maître de conférences en droit public à l’École de droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 7 septembre 2023, le Conseil National de la Refondation (CNR) fêtait sa première année d’existence. Les oppositions ont refusé de participer à cette réunion à la portée inconnue et au fonctionnement incertain.

Le CNR a pourtant organisé de multiples concertations regroupant citoyens et acteurs de la société civile, dans toute la France et sur Internet, afin d’échanger et de construire des « propositions » d’évolution concernant des sujets d’importance (éducation, santé, climat, numérique ou encore logement). Pour autant, le retentissement de ces réunions reste particulièrement faible.

Pour mieux comprendre le CNR et les enjeux qui l’entourent, Julien Padovani, Maître de conférences en droit public, a accepté de répondre à nos questions.

Quelles sont les missions du CNR et en quoi est-ce qu’il s’inscrit-il dans la perspective d’une reconfiguration de la place des citoyens dans la production normative ?

D’après le discours officiel, le CNR « est une nouvelle méthode partenariale pour bâtir des consensus sur une lecture commune de la situation du pays et des solutions concrètes autour de sujets essentiels pour le quotidien de nos concitoyens et l’avenir de la France » (brochure du point d’étape du 7 sept. 2023, site internet du CNR). Il a pour but de conduire « des acteurs de la société civile organisée et de la puissance publique à partager des diagnostics sur l’état du pays, à co-construire des stratégies nationales portant sur les grandes transitions […] et à produire des solutions innovantes […] en matière d’éducation, de santé, de plein-emploi ou encore de transition écologique à l’échelle des bassins de vie » (site internet du HCP). Par-delà le langage managérial mobilisé qui laisse perplexe au regard de l’objectif de démocratisation poursuivi par le CNR, sa création repose sur l’idée d’une plus grande participation des citoyens à la vie publique. Elle répond à la volonté des citoyens de « participer à la prise de décision » et d’être « acteur de ce qu’est l’action publique » (E. Macron, vidéo de présentation, site internet CNR).

Il convient pourtant d’être lucide quant à la qualité démocratique de cette instance : contrairement à ce que la communication politique laisse penser et en dépit d’une méthode qualifiée de nouvelle, il ne s’agit pas de permettre au citoyen d’être directement associé à la décision publique. Il ne dispose pas plus qu’avant d’une initiative législative (laquelle n’appartient qu’au Gouvernement et aux parlementaires en vertu de l’article 39 de la Constitution). Plus largement, son rôle dans la production normative est très modeste. Il ne s’agit ni plus, ni moins, que d’une instance de démocratie consultative, ambitionnant de « prendre le pouls » de l’opinion publique, voire de tenter de réduire l’espace existant entre les représentants et les représentés. Le CNR s’inscrit donc, de ce point de vue, dans le prolongement du grand débat national, des conventions citoyennes pour le climat et la fin de vie ainsi que du CESE nouvelle version. Or, rien n’oblige juridiquement les pouvoirs publics à prendre en compte les avis produits par ces instances.

Quel est le statut juridique du Conseil national de la refondation ?

Le CNR semble être un objet juridique non identifié, sans véritable support juridique. À peine existe-t-il un décret du 29 juillet 2022 relatif aux attributions de M. Olivier Veran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique. L’article 1er dispose qu’il « organise et anime les travaux » du CNR. Il faut également mentionner l’arrêté du 14 septembre 2022 relatif à la composition du cabinet de la Première ministre portant nomination de M. David Djaiz en tant que conseiller en charge du CNR. Aucun texte ne concerne l’établissement du CNR ou son organisation. Même le rattachement de l’instance au Haut-Commissariat au Plan (ci-après HCP) et la nomination de M. François Bayrou en tant que secrétaire général du CNR (dont on a connaissance par voie de presse) ne font l’objet d’aucun formalisme, du moins pour ce qui est publié. La mise en place du CNR se matérialise donc seulement par le discours politique, en particulier celui tenu le 8 septembre 2022 par le Président de la République à Marcoussis.

Il ne s’agit pas de céder au juridisme mais un tel manque d’encadrement peut surprendre car s’il peut aisément se concevoir s’agissant d’entités marquées par la confidentialité, il s’agit là d’un projet ambitieux pour les institutions. À titre de comparaison, le Conseil économique social et environnemental (ci-après CESE), dont certaines des missions sont similaires, trouve son fondement juridique dans la Constitution (titre XI) complétée par l’ordonnance du 29 déc. 1958 portant loi organique relative au CESE.

Cette absence d’encadrement juridique est d’autant plus étonnante que, dans le contexte actuel, le droit tend à tout innerver et la légitimité des décisions politiques repose bien souvent sur ce dernier. Ce vide s’explique sans doute par la volonté du pouvoir politique d’échapper aux formes et procédures susceptibles de ralentir et d’entraver son action, ce qui reflète une certaine pratique du pouvoir, hostile à la délibération, ce qui est à souligner vu l’ambition du projet.

Une telle instance avait-elle sa place dans nos institutions ?

La question se pose à la fois sur le plan de l’efficacité mais aussi de la légitimité du CNR. Il est encore trop tôt pour mesurer l’efficacité de son action, c’est-à-dire sa capacité à répondre aux objectifs visés, même si l’on peut relever, si l’on en croit les chiffres avancés par la documentation produite par le CNR, que la mobilisation des pouvoirs publics et de la société civile organisée est importante. Il reste que les initiatives précédentes du président de la République en la matière n’ont pas été très efficaces et l’on se demande bien en quoi le CNR constituerait un meilleur canal de consultation du peuple que les précédents, tant que manquent la volonté et la capacité des pouvoirs publics de transformer celles-ci en décisions. À ce titre, la symbolique de l’acronyme CNR n’est pas une garantie lorsque l’on pense au devenir des Cahiers de doléances du Grand débat national.

L’on peut alors se demander s’il était légitime de créer une nouvelle instance au vu des objectifs visés. La démocratie consultative française ne manque pas d’outils et l’on peut rappeler qu’à l’initiative de l’actuel Président de la République, le CESE fut réformé lors du précédent quinquennat pour, d’après la communication officielle, constituer le forum de la République, nouveau « carrefour des consultations publiques » et « conseil de la participation citoyenne ». Il eût été plus logique, dans cette perspective, d’adosser le CNR au CESE plutôt qu’au HCP.

La question de la légitimité du CNR se pose alors : est-ce un simple complément à l’existant ou une véritable concurrence, en particulier vis-à-vis du Parlement ? La thèse de la concurrence avait été soutenue par ceux qui refusaient de participer au CNR, le président du Sénat Gérard Larcher estimant qu’il s’agissait d’une « forme de contournement du Parlement » (courrier au président de la République, 26 août 2022). Il existe sans doute un risque de confusion, notamment à travers la volonté de l’Exécutif de superposer des « représentations ». Toutefois, juridiquement parlant, rien ne s’oppose, sous la Ve République, à ce que des instances intermédiaires réfléchissent à l’avenir du pays, notamment en sondant le peuple, ce qui, d’ailleurs, peut constituer une source d’informations utile au pouvoir normatif.

La légitimité de cette instance (et des autres telles que les conventions citoyennes) se pose sans doute, en revanche, lorsqu’on laisse croire que ses acteurs sont des représentants ou que les solutions qu’elle produit prendront automatiquement la voie de projets ou de propositions de lois, voire seront votées telles quelles. Cela ne peut pas être le cas dans le cadre de la Constitution française, en l’état. L’une des solutions que propose le régime démocratique de la Ve République, alliant efficacité et légitimité, est celle du recours au vote du peuple, à savoir le referendum, même si, là aussi, personne ne peut en contraindre l’initiative et s’il n’est pas exempt de reproches du point de vue démocratique, en particulier s’agissant du risque de détournement plébiscitaire.