Par Agnès Roblot-Troizier – Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne – Directrice de l’École de droit de la Sorbonne
Le Conseil constitutionnel a rejeté, mercredi 3 mai, la seconde demande de Référendum d’initiative partagée (RIP) portant sur l’âge légal de départ à la retraite. En déclarant non conforme à la Constitution la proposition de loi, le Conseil constitutionnel retient une conception restrictive de la notion de réforme.

Pour quelle(s) raison(s) le Conseil constitutionnel a-t-il rejeté la seconde demande de Référendum d’Initiative Partagée ?

Comme dans sa décision 2023-4 RIP du 14 avril dernier, le Conseil constitutionnel déclare non conforme à la Constitution la proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans, et ferme ainsi la voie au RIP sur ce sujet.

Le motif de cette décision tient en une phrase : « la proposition de loi ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale ». Cet article précise en effet qu’un référendum ne peut être organisé qu’à la condition de porter sur « l’organisation des pouvoirs publics, sur les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ou tendant à autoriser la ratification » de certains traités. Selon le Conseil, fait défaut cette condition tenant à l’objet du référendum.

Le Conseil constitutionnel a examiné les deux articles de la proposition de loi. Le premier réécrit l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale afin de prévoir que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite ne peut être supérieur à soixante-deux ans. Il constate qu’à la date à laquelle il a été saisi de la proposition de loi, soit le 13 avril 2023, « l’interdiction de fixer l’âge légal de départ à la retraite au-delà de soixante-deux ans n’emporte (…) pas de changement de l’état du droit », dans la mesure où, à cette date, l’âge légal était encore fixé à 62 ans. La circonstance que dès le lendemain, soit le 14 avril, le Président de la République ait promulgué la loi fixant l’âge légal à 64 ans n’y change rien puisque le Conseil constitutionnel prend en considération l’état du droit au jour de l’enregistrement de sa saisine.

Il pourrait être objecté que ce premier article de la proposition de loi vise à modifier l’état du droit en ce qu’il fixe un plafond indépassable à 62 ans. Mais, comme dans sa décision RIP d’avril, le Conseil rappelle que « le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum ». Ainsi, la contrainte qui résulterait de cette disposition n’est que fictive : ce que le législateur a décidé, par voie parlementaire ou référendaire, le législateur, quel qu’il soit, peut le défaire. A tout point de vue donc, ce premier article de la proposition de loi n’emporte pas de changement de l’état du droit et, à ce titre, ne peut être qualifié de « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution.

L’article 2 de la proposition de loi subit le même sort. Il prévoit d’augmenter de 9,2 % à 19,2 % le taux d’imposition à la contribution sociale généralisée des revenus du patrimoine et des produits de placement et d’en affecter le produit à la branche vieillesse et veuvage du régime général de la sécurité sociale. Le Conseil constate que l’article 2 a donc « pour seul effet d’abonder le budget d’une branche de la sécurité sociale en augmentant le taux applicable à une fraction de l’assiette d’une imposition existante dont le produit est déjà en partie affecté au financement du régime général de la sécurité sociale ». Cette rédaction – « seul effet », « fraction de l’assiette », « imposition existante », « déjà affecté en partie » – met l’accent sur la faible portée novatrice de la disposition. Si, à l’évidence, le Conseil constitutionnel ne pouvait affirmer que cet article 2 ne modifie pas l’état du droit, il entend démontrer qu’il ne le modifie qu’à la marge et ne constitue donc pas une « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution.

La décision RIP du 3 mai dernier rappelle, en creux, ce que doit être une proposition de « réforme » : elle doit avoir vocation à modifier substantiellement l’état du droit existant. Reste à identifier ce qu’est une modification substantielle… Il faudra d’autres décisions RIP pour préciser les contours de la notion de « réforme », dont le Conseil retient à l’évidence une conception restrictive.

Son raisonnement est-il identique à celui de sa décision 2023-4 RIP du 14 avril 2023 ?

Les deux décisions sont très similaires et de nombreux paragraphes sont rédigés à l’identique. On y retrouve l’énoncé des dispositions constitutionnelles et organiques applicables déterminant les conditions de conformité à la Constitution d’une proposition de loi référendaire d’initiative partagée. On y retrouve également, comme l’avait initié la décision du 14 avril, les références aux précédentes décisions rendues en matière de RIP.

Le raisonnement du Conseil constitutionnel, s’agissant de l’article 1er de la proposition de loi interdisant de fixer un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans, est parfaitement identique à celui suivi dans la décision RIP précédente : absence de changement de l’état du droit à la date d’enregistrement de la saisine du Conseil, absence de caractère contraignant du plafond d’âge.

La décision diffère naturellement s’agissant de l’article 2 de la proposition (cf. son §10) ; elle n’innove pas pour autant. Le Conseil constitutionnel reprend un raisonnement qu’il avait retenu à propos d’une proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Dans sa décision 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, il a jugé que la proposition de loi a « pour seul effet d’abonder le budget de l’État par l’instauration (…) d’une mesure qui se borne à augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés ». Il en avait déduit que la proposition de loi ne porte pas sur une réforme relative à la politique économique de la nation, au sens de l’article 11 de la Constitution. On retrouve une motivation similaire dans la décision RIP du 3 mai dernier. C’est bien l’effet limité de la mesure fiscale qui conduit le Conseil à l’exclure du champ de l’article 11 de la Constitution.

Ces deux décisions n’excluent pas qu’une proposition de loi ayant un objet purement fiscal puisse constituer une réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale, et c’est au demeurant ce que précise le commentaire « institutionnel » de la décision RIP de 2022. Mais une mesure purement fiscale ne constitue une « réforme » qu’à condition d’affecter les objectifs traditionnels de la politique concernée ou d’emporter une modification suffisamment importante de la structure de la fiscalité. Or, pour le Conseil, une simple augmentation d’un taux d’imposition ne remplit pas cette exigence.

Quelles sont les conséquences de cette décision ?

Cette décision a une première conséquence : celle de fermer la voie référendaire. Elle ne l’est pas définitivement, mais pour un an. En effet, l’article 11 de la Constitution précise qu’une proposition de loi référendaire d’initiative partagée « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Pendant un an donc, toute demande de RIP portant sur l’âge légal de départ à la retraite qui, par construction, emporterait abrogation de la loi du 14 avril 2023, serait déclarée non conforme à la Constitution. Reste donc la voie parlementaire et tel est l’objet de la proposition de loi déposée récemment par le groupe LIOT. Cependant, comme l’a parfaitement expliqué Jean-Jacques Urvoas ici même, elle a fort peu de chances d’aboutir. Cette dernière tentative clora donc la séquence de la réforme des retraites.

Sans revenir sur l’ensemble du processus qui a conduit à l’adoption de cette réforme dont le parcours mouvementé a été largement commenté ici et ailleurs, il peut être relevé qu’il est rare qu’une réforme mobilise autant d’instruments constitutionnels différents, tant dans le processus d’adoption de la loi, que dans sa contestation. Seule une voie n’a pas encore été explorée : celle de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle consisterait à invoquer la violation des droits et libertés garantis par la Constitution par une ou plusieurs dispositions de la loi portant réforme des retraites, à l’occasion d’une instance, y compris celle née de la contestation de la légalité des décrets pris pour son application. Pour l’essentiel, les critiques contre cette loi qui ont été présentées au Conseil constitutionnel concernaient la procédure d’adoption. En outre, les motifs et le dispositif de la décision DC du 14 avril 2023 ne portent pas examen de l’ensemble des dispositions de la loi ; la décision est très claire sur ce point : « Le Conseil constitutionnel (…) ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision » (§120). Dans ces conditions, la porte de la QPC n’est pas totalement fermée. L’ouverture est étroite, mais on peut compter sur l’imagination des justiciables et de leurs conseils pour identifier quelles pourraient être les violations des droits fondamentaux résultant de l’application de la réforme des retraites.

A plus long terme, la décision RIP du 3 mai et celles qui l’ont précédée pourraient avoir une autre conséquence : celle de la désaffection pour cette procédure. La rigueur avec laquelle le Conseil constitutionnel examine les propositions de loi référendaire d’initiative partagée, notamment en optant pour une conception restrictive de leur objet réformateur, pourrait bien avoir pour effet de désintéresser les parlementaires et les citoyens de cette procédure. Après la réforme constitutionnelle de 2008 introduisant cette procédure, tout a été fait, on le sait, pour en rendre l’usage si ce n’est impossible, au moins particulièrement difficile. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne fait que confirmer cette tendance. L’avenir du RIP est donc incertain.

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