Par Valérie-Odile Dervieux, Présidente de la chambre de l’instruction, cour d’appel de Paris

La comparution physique devant son juge et les droits de la défense

L’article 706-71 du code de procédure pénale fixe les conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle notamment pour les audiences de la chambre de l’instruction relatives au contentieux de la détention provisoire.

Le Conseil Constitutionnel vient de déclarer, dans une décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020, les dispositions de l’article 706-71 alinéa 4 du code de procédure pénale non conformes à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pourquoi ?

Parce-qu’elles permettent le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle, devant la chambre de l’instruction, lors d’audiences relatives à une demande de mise en liberté dans un cadre criminel, sans faculté d’opposition pour le détenu. Or, en matière criminelle, un détenu provisoire peut rester un an sans voir physiquement son juge.

Ce n’est pas une surprise puisque, par décision n°2019-802 QPC du 20 septembre 2019, le Conseil avait déclaré contraire à la Constitution le même texte (qui résultait alors de l’ordonnance n°2016 -636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale1), pour les mêmes motifs :
« La garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication relève du respect des droits de la défense ».

Effet Corona/Papillon ?

En reprenant dans la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice des dispositions déjà jugées contraires à la constitution et en les visant dans l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, le législateur a-t-il pris le risque de fragiliser la procédure pénale « sous corona » ?

De fait, les article 5 et 19 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, étendent les possibilités de recours à la visioconférence par référence expresse aux dispositions de l’article 706-71 du CPP.
Il s’agit, comme le précise la circulaire du 26 mars 20202, de permettre le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant le juge des libertés et de la détention et l’ensemble des juridictions pénales (autres que les juridictions criminelles) sans l’accord, voire malgré l’opposition, des parties.

D’où les questions :

Le recours étendu à la visioconférence, notamment pour les demandes de mise en liberté, dans le cadre d’une ordonnance du 25 mars 2020 qui prévoit aussi, dans ses articles 15 et 16, la disparition des audiences de prolongation de détention provisoire via des prorogations de plein droit, est-il juridiquement fragilisé par la décision du Conseil Constitutionnel ?

Madame la ministre de la Justice, lors de la séance des questions à l’Assemblée nationale du 29 avril 2020, a déclaré3 transmettre, le jour même, au Conseil d’État un projet d’ordonnance permettant le retour, à partir du 11 mai, « aux dispositions du code de procédure pénale, dans des conditions adaptées ». La ministre a évoqué exclusivement la nécessité de limiter dans le temps le recours à la prolongation de plein droit de la détention provisoire.

Elle n’a fait aucune allusion aux autres dispositions dérogatoires de l’ordonnance du 25 mars 2020 et notamment à celles relatives à l’utilisation extensive des moyens de tenir une audience « dématérialisée ».

Le Conseil Constitutionnel, par sa décision du 30 avril 2020, a- t- il voulu aussi faire passer un « message »4 ?

 

[1] www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019802QPC.htm
[2] circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2020/03/cir_44950.pdf
[3] 01:36:05–02:00:01 : videos.assemblee-nationale.fr/video.8989858_5ea963aef17bf.questions-au-gouvernement—mercredi-29-avril-2020-29-avril-2020
[4] Notons que l’abrogation immédiate des mots « la chambre de l’instruction » est reportée au 31 octobre 2020

 

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