Le vendredi 11 octobre, le Conseil constitutionnel a entériné le principe de gratuité à l’université. Une décision en désaccord avec le gouvernement qui avait décidé en novembre 2018 d’augmenter les droits d’inscription universitaires pour les étudiants étrangers extracommunautaires.

Décryptage par Fabrice Melleray, Professeur des universités à l’École de droit de Sciences Po, Membre du Club des juristes.

« La notion de modicité devra être définie par le Conseil d’État qui va maintenant apprécier si l’arrêté du 19 avril 2019 satisfait à cette condition »

Quelle est l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité à laquelle a répondu le Conseil constitutionnel ?

L’arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’Enseignement supérieur a suscité de vives contestations. Ses opposants ne se sont pas indignés de la poursuite du gel des droits d’inscription de droit commun, fixés à des montants très faibles : 170 € en licence et 243 € en master. Ils ont par contre protesté contre l’application aux étudiants étrangers en mobilité internationale (et non d’ailleurs, comme on l’écrit  souvent un peu vite, à tous les étudiants étrangers non ressortissants d’un des États membres de l’Union européenne) de droits d’inscription sensiblement plus élevés mais toujours nettement inférieurs au coût réel de la formation (coût évalué en moyenne, même si le calcul est difficile, à environ 11 000 €) : 2770 euros en licence et 3770  euros en master.

La contestation de cet arrêté devant le Conseil d’État, compétent en premier et dernier ressort, a donné aux organisations étudiantes requérantes l’opportunité de déposer une question prioritaire de constitutionnalité contre l’une des dispositions législatives prévoyant la perception de droits d’inscription par les établissements d’enseignement supérieur public. Il s’agit du troisième alinéa de l’article 48 de la loi de finances pour l’exercice 1951 du 24 mai 1951 qui dispose que des arrêtés du ministre intéressé et du ministre du Budget fixent « les taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État ».

Estimant que la disposition litigieuse était applicable au litige, constatant qu’elle n’avait jamais été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, et considérant enfin que la question présentait un caractère sérieux, le Conseil d’État a décidé de saisir le Conseil constitutionnel par une décision de renvoi du 25 juillet 2019.

 Qu’a dit le Conseil constitutionnel ?

À s’en tenir au dispositif de sa décision du 11 octobre 2019, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif législatif querellé puisqu’il affirme sa conformité à la Constitution. La lecture des motifs de la décision incite toutefois à très sensiblement nuancer cette analyse. Le Conseil constitutionnel a en effet, sur le fondement de l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 (qui dispose que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État »), affirmé que « l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public ». Mais il a immédiatement assorti cette exigence d’un important bémol, considérant qu’elle « ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ». Et, ajoute le Conseil constitutionnel, la fixation par le pouvoir réglementaire national des droits d’inscription au sein des établissements publics d’enseignement supérieur doit être opérée « dans le respect des exigences de gratuité de l’enseignement public et d’égal accès à l’instruction ».

Quelles sont les interrogations que suscite cette décision ?

L’application du principe de gratuité à l’enseignement supérieur public n’allait nullement de soi. On aurait parfaitement pu lire séparément les deux phrases de l’alinéa 13 du préambule de 1946 et considérer que si l’égal accès à l’instruction vaut aussi pour l’enseignement supérieur, il en va différemment de la gratuité dès lors qu’il y avait de très solides arguments permettant de considérer que l’enseignement supérieur ne constitue par un « degré » de l’enseignement public et que cette notion de degré désigne, comme dans le Code de l’éducation d’ailleurs, exclusivement les écoles maternelles et élémentaires (« premier degré ») d’une part et les collèges et  lycées (« second degré ») d’autre part.

Mais le Conseil constitutionnel a fait un choix différent tout en réservant aux autorités compétentes la faculté de prévoir des « droits d’inscription modiques ». Outre que cet ajout au texte inconditionnel de la Constitution peut surprendre, la notion de modicité devra être définie par le Conseil d’État qui va maintenant apprécier si l’arrêté du 19 avril 2019 satisfait à cette condition. Va-t-il retenir une définition objective (avec un seuil valable in abstracto) ou subjective (suivant les ressources ou le niveau de fortune des étudiants) de cette notion ? Va-t-il considérer, comme semble l’y inviter le Gouvernement, que des droits inférieurs au coût du service sont modiques ? Cela reviendrait dans les faits à limiter l’effet pratique de l’affirmation du principe de gratuité. Va-t-il considérer, conformément au sens commun de l’expression, que seuls des droits très peu élevés satisfont cette exigence ? Cela pourrait notamment conduire à une remise en cause de l’augmentation des droits des étudiants en mobilité internationale.

De la réponse du Conseil d’État à cette question dépendront les effets de la décision du Conseil constitutionnel sur les universités de droit commun d’une part et sur les établissements publics d’enseignement supérieur pratiquant une politique tarifaire plus volontariste d’autre part. Pour les premières, les droits d’inscription ne représentant aujourd’hui qu’environ 2% de leurs ressources. Doit-on les condamner à ne pas pouvoir à l’avenir augmenter leurs ressources et ainsi à rester dans une situation de sous-financement,  dès lors qu’il est très probable que les dotations étatiques n’augmenteront pas suffisamment pour leur permettre d’assumer leurs obligations de service public dans les meilleures conditions ? Pour les seconds, une conception stricte de la modicité pourrait avoir des conséquences très dommageables sur leur modèle économique et les inciter à trouver le moyen d’y échapper, par exemple au moyen d’une transformation en établissement d’utilité publique qui les ferait sortir du champ de l’enseignement supérieur public et donc de celui de l’exigence de gratuité.

La décision du 11 octobre 2019 pourrait ainsi avoir des effets considérables sur l’enseignement supérieur français et la question du financement et de l’organisation de celui-ci méritait peut-être mieux que cette décision incertaine.

Pour aller plus loin :

Par Fabrice Melleray.