Par Olivier Beaud – Professeur de droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas – Directeur-adjoint de l’Institut Michel Villey
Dans un message diffusé le 21 mars sur le réseau social Facebook, une habitante du Pas-de-Calais a comparé le Président de la République à une « ordure ». Publié la veille de l’entretien télévisé d’Emmanuel Macron portant sur la réforme des retraites, ce message lui vaudra d’être interpellée et placée en garde à vue, tel que révélé par le journal La Voix du Nord. D’après la presse, celle-ci comparaîtra le 20 juin prochain pour « injure publique envers le président de la République par parole, écrit, image ou moyen de communication par voix électroniques », a indiqué le procureur de Saint-Omer, Mehdi Benbouzid.

Pour quelle(s) raison(s) cette personne a-t-elle été interpellée et sera-t-elle jugée le 20 juin 2023 ? Sur quel(s) fondement(s) ?

Il est difficile de répondre à votre première question tant la présentation des faits dans la presse est loin d’être claire. Tantôt on nous dit que la femme qui a mis sur sa page Facebook un commentaire particulièrement virulent à l’égard du Président de la République, Emmanuel Macron, se verrait reprocher une « insulte » au chef de l’Etat, tantôt on nous dit qu’elle aurait été interpellée pour un « outrage contre une personne dépositaire de l’autorité publique ». Il s’agit de deux délits très différents, le premier est celui d’insulte publique, prévu et réprimé par la loi du 29 juillet 1881 (loi sur la liberté de la presse) au même titre que la diffamation. Il relève du droit pénal spécial. Le second délit est prévu par le Code pénal et il est passible, à la différence de l’insulte publique, d’une potentielle peine de prison.

Ce qui est ici particulièrement intrigant est la longue garde à vue de l’intéressée. Si celle-ci a vraiment été interpellée pour le cas de l’insulte, ce type de délit ne permet pas la garde à vue car il n’est passible que d’une peine d’amende. Si c’est au titre de l’outrage, la garde à vue est tout aussi injustifiée car le délit d’outrage contre une personne dépositaire de l’autorité publique ne correspond pas du tout aux faits de l’espèce. A supposer que les faits rapportés par la presse aient été rapportés correctement, on est en droit d’avoir des doutes sur la façon dont le Parquet de Saint-Omer a ici agi.

Que risque-t-on à insulter le Président de la République sur les réseaux sociaux ?

Il faut d’abord partir de l’hypothèse initiale selon laquelle l’expression de tout usager des réseaux sociaux tombe sous le coup de la loi relative à la liberté de la presse. Il n’y a pas de différence, en droit, entre écrire dans un journal et écrire sur sa page Facebook dès lors que celle-ci est rendue publique. En effet, la loi de 1881 vaut pour tous les moyens de « publication », c’est-à-dire par quelque support de communication ou de média que ce soit, ce qui recouvre aussi bien l’imprimé que l’internet.

Quiconque est accusé d’avoir insulté le président de la République sur les réseaux sociaux, risque de subir les rigueurs du droit pénal de la presse. Dans la loi relative à la liberté de la presse dont j’ai parlé plus haut, le régime de l’insulte est calqué sur celui de  la diffamation à propos de laquelle l’article 31 de la loi détermine les personnes contre lesquelles peut être commise l’injure publique : il s’agit de propos « envers le président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition. » Quant à l’insulte, elle est prévue à l’article 33 de la même loi et la personne qui l’aurait commis « par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d’une amende de 12 000 euros. »

Il faut en effet comprendre que la liberté d’expression n’est pas une liberté absolue. Les délits tels que la diffamation et l’insulte en répriment logiquement les abus.

Le Chef de l’Etat bénéficie-t-il d’une protection pénale particulière ?

Selon le journal Le Monde, le procureur de Saint-Omer aurait affirmé que l’auteur de l’insulte relevait d’un article de la loi sur liberté de la presse qui serait « propre au président ». Une telle assertion est tout simplement erronée dans la mesure où l’abrogation du délit d’offense au président de la République par la loi du 5 août 2013 a eu pour effet, si l’on peut dire, de rabaisser le chef de l’Etat au rang de ses ministres ou, plus symbolique encore, au rang d’un simple citoyen désigné comme juré. C’est ce qui ressort de l’article 31 précité. C’est le principe d’égalité devant la loi pénale qui justifie ici ce rabaissement de la fonction présidentielle qui a perdu de sa majesté (même si l’offense n’a jamais été, contrairement à ce que l’on dit, un crime de lèse-majesté). Bref, le président de la République a perdu son privilège qui était de jouir d’une protection pénale bien plus importante en pouvant invoquer l’offense

Le président de la République a perdu, avec la disparition de l’offense, le régime particulier et très protecteur dont il bénéficiait. Ce délit avait en effet pour particularité de ne pas être défini et en vertu de la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il pouvait y avoir offense envers le chef de l’Etat alors même qu’il n’y avait ni injure ni diffamation. C’est un changement capital.  Le simple fait sous la présidence gaullienne d’être « irrévérencieux » contre la personne même du chef d’Etat pouvait conduire à une poursuite et à une condamnation qui était presque automatique, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation.

La seconde modification importante résultant de l’abrogation de l’offense est d’ordre procédural. Auparavant, sous le régime de l’offense, le chef de l’Etat n’agissait pas par lui-même car c’était le Parquet, le ministère public, qui était seul habilité à poursuivre au nom du chef de l’Etat. Désormais, c’est au président de la République qu’il incombe d’agir. Pour que l’action publique soit mise en mouvement, il doit personnellement déposer une plainte. On se doute bien, compte tenu du nombre aujourd’hui impressionnant d’insultes à l’égard du chef de l’Etat, qu’il ne va pas utiliser ce droit que la loi lui donne.

Finalement, on reste surpris par les multiples erreurs qui parsèment les commentaires sur toutes ces affaires concernant les attaques contre le Président de la République. On lit par exemple que le délit d’offense a été « utilisé à six reprises sous la présidence du général de Gaulle, puis tombé en désuétude jusqu’au mandat de Nicolas Sarkozy ». Il y a deux erreurs dans la même phrase. Sous le général de Gaulle, il y a eu des centaines de procès pour offense au chef de l’Etat, entre les procès contre la presse et les éditeurs, et les procès contre des paroles publiques jugées offensantes. Quant au délit d’offense, il a été utilisé à quelques reprises sous la présidence de Georges Pompidou, et c’est Valéry Giscard d’Estaing qui, fraîchement élu en 1974, a décidé de ne pas l’appliquer, suivi dans sa pratique de non-application par François Mitterrand, Jacques Chirac, et François Hollande.