Par Aurélien BAUDU, Professeur à l’Université de Lille (CRDP-ERDP) et Secrétaire général adjoint de la Société française de finances publiques
Après la controverse, l’hiver dernier, sur l’éventuelle mise sous tutelle budgétaire de la Ville de Paris, une nouvelle querelle financière vient nourrir la bataille juridico-politique entre la municipalité parisienne et l’État à propos des dotations aux collectivités locales. Le maire de Paris a déclaré : « nous sommes passés d’une dotation globale de fonctionnement de 900 M€ en 2015 à 0€ cette année », tout en reprochant à l’État de « ne pas respecter ses obligations constitutionnelles qui posent le principe de la libre administration des collectivités ». La Ville de Paris entend engager un contentieux en justice contre l’État.

L’augmentation du montant de la taxe foncière pour les propriétaires parisiens est-elle ainsi motivée par la baisse des dotations de l’État ?

Un ancien président du Conseil sous la IVe République rappelait que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… Lors des élections municipales de 2020, l’engagement de stabilité fiscale locale avait été pris avec les parisiens. Deux ans plus tard, au cours d’une séance du Conseil de Paris, le premier édile de la ville réaffirmait cette promesse avec force. Quelques mois plus tard, en novembre 2022, l’exécutif municipal parisien annonçait vouloir faire voter une hausse du taux de la taxe foncière, qui est passé de 13,5 % à 20,5 % en 2023. L’augmentation est significative. Elle a été politiquement critiquée par l’opposition municipale au Conseil de Paris avec pour principal argument : seule la mauvaise gestion financière vient justifier cet accroissement de la pression fiscale sur les propriétaires parisiens. Au préalable, il faut rappeler qu’au taux communal de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) s’ajoutent aussi celui des taxes annexes comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et celle mise en place contre les inondations (Taxe GEMAPI). Il faut peut-être préciser aussi qu’il y a une évolution automatique et nationale de la taxe foncière due à l’inflation, de l’ordre de 7%. Il faut ensuite souligner que le taux de 20,5 % demeure très faible par rapport à ce qui est observé ailleurs au plan national, ce qui laissait à la Ville de Paris une marge de manœuvre financière non négligeable étant donné que le taux moyen observé en France est nettement supérieur, d’environ 37% pour ce même impôt (48% à Lille en 2023 par exemple). Visiblement, l’arbitrage politique a donc été pris à Paris en faveur de l’usage du levier fiscal pour couvrir l’accroissement des charges publiques locales. En 2015, la Ville de Paris disposait déjà du plus important budget local français autour de 9 Md€. Au budget primitif de 2015, la Ville de Paris avait inscrite la somme de 923 M€ en dotation globale de fonctionnement (DGF), ce qui signifie que cette dotation ne représentait que 10% de son budget annuel, soit une part limitée des recettes de la Ville de Paris. L’extinction programmée de la DGF à Paris ne suffit donc pas à elle seule à expliquer cette hausse de la fiscalité foncière, mais elle n’y est pas totalement étrangère. Est-ce un défaut d’anticipation de la baisse des dotations de l’État ou une insuffisante maîtrise des charges de fonctionnement de l’administration municipale parisienne (études, entretien des équipements et de la voirie, subventions, etc.) ? Voilà plusieurs années que la Ville de Paris est confrontée à un besoin de financement croissant chaque année. L’augmentation de la masse salariale, liée à de nouveaux services publics locaux, à l’extension du patrimoine foncier, mais aussi à des décisions nationales (hausse du point d’indice, etc.), explique très certainement ce besoin de recettes nouvelles à Paris, qui est récurrent depuis une dizaine d’années. Des pistes ont déjà été explorées et le seront de nouveau pour les exercices à venir, comme l’augmentation de la taxe de séjour, la réforme des tarifs des services publics municipaux, avec la modification des tranches tarifaires pour les plus hauts revenus, la revalorisation des redevances versées par les occupants du domaine public parisien. Enfin, le fait que la Ville de Paris ait perdu, selon l’INSEE, en moyenne chaque année 12.400 habitants entre 2014 et 2020 n’est pas totalement étranger non plus à ces difficultés financières (CRC Ile-de-France, La Ville de Paris et sa Métropole, juillet 2022, 64 p.).

L’État ne remplirait-il donc pas ses obligations constitutionnelles ?

Dans cette affaire, il est important de rappeler ; qu’il y a une dizaine d’années, la participation des collectivités territoriales à l’effort de redressement des finances publiques avait été conciliée avec l’impératif de péréquation financière fixé à l’alinéa 5 de l’article 72-2 de la Constitution. Celui-ci dispose « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». La péréquation renvoie à une plus juste répartition financière entre les communes. C’est une forme de redistribution des ressources publiques destinée à doter chaque commune de la capacité de s’administrer librement. Marquée du sceau de la solidarité financière, la péréquation permet de prendre en compte les inégalités de fait (démographie, économie, géographie, etc.) entre les collectivités territoriales et de préserver une forme de cohésion entre celles-ci. De ce fait, la péréquation financière constitue un instrument essentiel de justice financière dans un État décentralisé, qui avait été initié par le Sénat lors de la révision constitutionnelle de 2003 (v. V. Sempastous, La péréquation financière en droit des collectivités territoriales, Dalloz, 2023, 544 p.). En effet, il existait de fortes disparités dans la situation financière des collectivités territoriales, majoritairement liées à l’écart de ressources, en particulier au niveau communal. Sous la XIVe législature (2012-2017), le législateur a donc décidé de mettre en œuvre ce mécanisme autour du principe selon lequel les communes « qui peuvent le plus doivent contribuer le plus ». Le renforcement de la péréquation permet donc que les collectivités les plus dotées, comme la Ville de Paris, participent davantage à l’effort financier, ce qui se traduit par des ajustements. D’une part, ces adaptations sont effectuées au titre de la péréquation verticale via les dotations de l’État vers les collectivités territoriales, dont le bénéfice peut être réduit dès lors que le potentiel financier de la commune est significatif. La Ville de Paris n’est donc pas la seule commune de France concernée par l’arrêté ministériel n’accordant aucune somme au titre de la dotation globale de fonctionnement. D’autre part, ces adaptations sont effectuées au titre de la péréquation horizontale, c’est-à-dire entre les collectivités territoriales. Ainsi le législateur a introduit un ajustement des modalités de prélèvement et de reversement du FPIC (Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales) et du FSRIF (Fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France) pour assurer une meilleure répartition et un meilleur fonctionnement de ces fonds. Par exemple, en 2022, au titre du FSRIF, la Ville de Paris a été contributrice à hauteur de 215,1 M€, sans en être bénéficiaire.

Ce contentieux a-t-il des chances d’aboutir ?

Le principe de libre administration des collectivités territoriales, prévu à l’article 72 de la Constitution, induit que les communes doivent pouvoir se gérer comme elles l’entendent, dans le respect des règles posées par le législateur. En particulier les collectivités doivent disposer de recettes suffisantes pour financer leurs actions, au titre de son autonomie de gestion. Il faut rappeler que plusieurs voies contentieuses sont envisageables dans cette affaire. En premier lieu, les montants constatés par l’arrêté ministériel du 17 avril 2023 portant notification des attributions individuelles de dotation globale de fonctionnement (DGF) aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale au titre de l’exercice 2023 en application de l’article L. 1613-5-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) peuvent ici faire l’objet d’un recours contentieux devant le Tribunal administratif de Paris dans un délai de deux mois courant à compter de sa publication (JORF n°0110 du 12 mai 2023). La Ville de Paris a donc contesté devant le juge administratif le calcul effectué par la Direction générale des collectivités locales (DGCL), sous l’autorité du ministre de l’intérieur, de la DGF fixée à 0€ pour l’année 2023 à Paris. Au regard de la complexification accrue ces dernières années des modalités de détermination de la DGF, une erreur n’est jamais à exclure. Il appartiendra au juge administratif de l’identifier si tel est éventuellement le cas. En second lieu, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut être posée dès lors que la Ville de Paris soutient que la disposition législative au fondement de cet arrêté ministériel serait contraire à la Constitution. Avant qu’elle ne soit transmise au Conseil constitutionnel, ce qui est un long cheminement, encore faut-il que la question présente un caractère sérieux aux yeux du juge administratif. Si on peut s’interroger sur l’intelligibilité du dispositif, auquel plus personne ne comprend grand-chose, à part quelques fonctionnaires spécialisés, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques a déjà été considéré comme ne présentant pas un caractère sérieux par le Conseil d’État dans une affaire similaire l’an dernier (CE 3e et 8e ch. réunies, 22 juillet 2022, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, Req. n°464270). C’est pourquoi la Ville de Paris se borne à affirmer, à l’appui de son grief, que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales, parce que l’absence de versement en 2023 d’une somme au titre de la DGF aurait pour conséquence la dégradation de sa capacité d’autofinancement brute. D’une part, la question n’est pas nouvelle, et il appartiendra à la Ville de Paris de démontrer l’existence d’un lien permettant d’établir sérieusement que la perte financière résultant des dispositions contestées serait d’une ampleur telle qu’elle serait susceptible d’entraver sa libre administration ou de porter atteinte à son autonomie financière, pour soutenir effectivement que les articles 72 et 72-2 de la Constitution ont été méconnus par le législateur. Au regard de ce qui a été souligné en amont, c’est donc loin d’être gagné… surtout à la lumière de l’impératif de péréquation financière posé par le législateur qui place la Ville de Paris devant une exigence de solidarité financière par rapport aux communes aux finances plus modestes ! Il n’est pas du tout certain que les règles fixées par la loi sur le fondement du dernier alinéa de l’article 72-2 de la Constitution viennent restreindre les ressources de la Ville de Paris au point de dénaturer le principe de libre administration de celle-ci, tel qu’il est défini par l’article 72 de la Constitution (Cons. const., 29 déc. 2013, décis. n°2013-685 DC, §64).