Par Stéphane Detraz, Maître de conférences HDR à l’Université Paris-Saclay
Miguel B., un naturopathe exerçant à Paris et à Cachan, est poursuivi en justice après la mort d’une personne, atteinte d’un cancer, à qui – selon ce qui est rapporté – il aurait préconisé de suivre un protocole de jeûne et de purges, là où les médecins envisageaient la mise en œuvre d’une chimiothérapie. A l’orée du procès, une plainte est déposée concernant un autre décès, intervenu dans des circonstances particulières ; il n’est pas exclu qu’une information judiciaire soit ouverte en conséquence.
Quelles infractions reproche-t-on au naturopathe ?
Les faits dont est saisi le tribunal correctionnel de Paris à l’encontre de Miguel B. (dans la première affaire) sont qualifiés par les poursuites d’exercice illégal de la médecine et d’usurpation de titres. Il s’agit de deux délits distincts mais voisins.
Le premier est défini à l’article L. 4161-1 du Code de la santé publique comme le fait d’agir en médecin sans en avoir le titre ou bien en abusant de ce titre. Tout particulièrement, le texte vise le fait de prendre part ou de se livrer personnellement, et de manière habituelle, à des actes médicaux tels que des diagnostics, des traitements de maladies, des consultations ou, plus généralement, les actes prévus dans la nomenclature fixée par arrêté du ministre de la Santé, sans être titulaire des diplômes ou titres (valables en France) qui sont exigés pour l’exercice de la profession de médecin. Est également interdit par l’article L. 4161-1, entre autres variantes du même délit, le fait, pour une personne détenant effectivement de tels diplômes ou titres, d’exercer sans être inscrite à un tableau de l’ordre des médecins ou alors qu’elle fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’exercice. L’on comprend sans difficulté l’esprit de cette incrimination, surtout dans la première des deux formes ainsi exposées : en vue de garantir l’ordre public sanitaire, il convient de réserver l’accomplissement des actes médicaux à ceux qui ont les compétences pour ce faire, condition qui implique une formation adéquate sanctionnée, notamment, par un diplôme reconnu par l’État. Peuvent donc être condamnés pour exercice illégal de la médecine les individus qui ne sont pas des médecins au sens de la loi, sans que l’on ait besoin de se prononcer sur leurs connaissances et talents allégués de guérisseurs, qu’important leur éventuelle formation scientifique dans tel ou tel domaine de la biologie humaine et nonobstant le fait qu’aucune conséquence préjudiciable ne se soit produite pour les personnes qui ont été en contact avec les intéressés : le fait de ne pas être médecin, alors que l’on se comporte comme tel, est suffisant à constituer l’infraction.
Le délit d’usurpation de titres est quant à lui établi à l’article 433-7 du Code pénal. Il s’agit d’une infraction qui n’est pas réservée au domaine médical, puisqu’elle concerne tous les titres attachés à une profession réglementée par l’autorité publique ou à un diplôme officiel ou une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique. Mais le titre de médecin est naturellement compris dans cette formule générale, comme d’ailleurs le confirme l’article L. 4162-1 du Code de la santé publique, qui renvoie au texte précité du Code pénal pour punir l’usage sans droit de la qualité ou d’un diplôme de médecin (notons que le texte, contrairement à d’autres, par exemple celui qui concerne les avocats, n’envisage pas expressément le fait d’utiliser une qualité ou un diplôme créant une « confusion » avec ceux de médecin ; il ne l’exclut pas nécessairement pour autant). Eu égard à cette condition d’absence de titre adéquat, l’infraction en question ressemble donc fortement à l’exercice illégal de la médecine. Mais elle s’en distingue nettement puisqu’elle se commet par le simple fait d’utiliser indûment (même à l’oral) le titre de médecin : il n’est pas besoin pour cela d’accomplir en sus des actes médicaux. De même, l’exercice illégal de la médecine peut être l’œuvre d’une personne qui ne se prévaut aucunement du titre de médecin.
Le tribunal correctionnel de Paris aura donc à décider si les éléments constitutifs de ces deux infractions sont réunis dans le cas de Miguel B., qui, est-il rapporté, se présenterait publiquement comme médecin-chercheur et spécialiste en médecine moléculaire. Le cas échéant, l’un seul des deux délits pourrait être finalement retenu.
Quelles sanctions le naturopathe encourt-il de ce chef ?
L’usurpation du titre de médecin, en ce qu’il s’agit d’une infraction qui, en elle-même, n’a pas de conséquences tangibles, est punie simplement d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. L’exercice illégal de la médecine, aux effets plus concrets, donne lieu quant à lui à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (ces sanctions ne se cumulant pas avec celles de l’infraction précédente lorsque la même personne commet les deux délits concomitamment). S’y ajoutent des peines complémentaires, dont la publication de la décision de condamnation et l’interdiction d’exercer une ou plusieurs professions régies par le Code de la santé publique ou toute autre activité professionnelle ou sociale à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
L’on pourrait a priori estimer que ces sanctions sont bien légères lorsque, comme dans l’affaire qui nous occupe, il est question de décès. Mais si elles sont mesurées, c’est logiquement dû au fait, comme il a été dit, que les infractions qu’elles répriment n’impliquent pas intrinsèquement que des victimes en pâtissent de facto. Si l’on souhaite punir plus sévèrement ceux qui se substituent aux médecins ou se font passer pour eux, dans des conditions telles qu’il en résulte non plus seulement un danger pour la santé publique, mais plus encore des conséquences pour tel ou tel, il convient de fonder les poursuites et la condamnation sur d’autres textes d’incrimination, adaptés à ces conséquences : il s’agirait alors de reprocher aux intéressés non plus simplement d’empiéter sur les attributions des médecins, mais, par ce moyen-là, de provoquer la mort ou d’occasionner des blessures.
Peut-on envisager de reprocher au naturopathe d’autres infractions, plus sévèrement réprimées ?
De fait, le cas de Miguel B., tel qu’il est relaté dans les médias, donne à penser à d’autres infractions que l’exercice illégal de la médecine et l’usurpation du titre. L’homicide involontaire, tout d’abord, qui est incriminé à l’article 221-6 du Code pénal, et qui fait encourir à tout le moins trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, consiste à causer la mort d’autrui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, autrement dit de manière non intentionnelle. Or, il n’est pas exclu que le fait d’adresser à autrui des instructions sur la manière de faire face à une maladie, même en étant de bonne foi, soit constitutif d’un comportement imprudent dans le cas où ces instructions sont dangereuses ; dès lors, si, en s’y conformant, leur destinataire décède, la qualification pénale d’homicide involontaire est possible. Il n’importe d’ailleurs dans ce cas que la victime ait agi de son plein gré et qu’elle soit matériellement l’auteur de sa propre mort : l’on peut se rendre coupable d’homicide involontaire de manière indirecte, en conduisant autrui au trépas par des informations, des conseils, des directives qui se révèlent mortifères. Les journaux relatent à cet égard la réticence du parquet à faire valoir l’article 221-6 du Code pénal, en raison précisément de l’accueil favorable que la personne décédée avait réservée aux méthodes de Miguel B., car une telle attitude pourrait « couper » le lien de causalité entre, d’une part, le fait, pour ce dernier, d’avoir formulé les recommandations litigieuses et, d’autre part, le décès ultérieur de l’intéressé. Mais une telle analyse ne paraît guère fondée, dès lors que l’homicide involontaire est punissable – mais à des conditions différentes il est vrai – qu’il résulte d’une faute directe ou indirecte (par création de la situation dangereuse). Plus sérieuse est en revanche la question de l’existence même du lien de causalité : pour condamner un prévenu du chef d’homicide involontaire, il faut que soit établie de manière certaine, d’un point de vue scientifique, la relation de cause à effet entre l’action ou l’inaction qu’on lui reproche et la mort de la victime. Pour autant, le fait de hâter le décès d’autrui est répréhensible : se rend coupable d’homicide involontaire celui qui, par sa faute, entraîne la mort d’une personne par ailleurs atteinte d’une maladie incurable. Il en va de même, a fortiori, lorsque le malade, par exemple atteint d’un cancer, avait des chances de guérir.
Outre l’homicide involontaire, il convient d’observer que l’article 223-15-2 du Code pénal punit l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due notamment à une maladie, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (hypothèse dite des dérives sectaires), lorsque cet abus conduit la victime à un acte ou à une abstention qui lui sont « gravement préjudiciables ». Il est donc clair que l’emprise psychologique exercée sur un malade, qui se solde par la mort de ce dernier, peut être réprimée sur le fondement ce texte, auquel cas sont encourus un emprisonnement de trois ans d’emprisonnement et une amende de 375 000 euros, outre les peines prévues à l’article 223-15-3.
Enfin, le délit de non-assistance à personne en péril, que l’article 223-6 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, n’est pas à exclure. Mais il suppose un « péril », c’est-à-dire un danger grave et, surtout, imminent, condition qui se concilie assez mal avec l’hypothèse d’une personne dont l’état de santé se dégrade peu à peu.
En toute hypothèse, le tribunal correctionnel de Paris, qui n’est saisi que de faits d’exercice illégal de la médecine et d’usurpation de titre, ne peut s’intéresser qu’à ces faits-là. Il a certes le loisir, pour les juger, de retenir finalement d’autres qualifications pénales que celles que le parquet lui présente ; mais il ne peut, pour ce faire, tenir compte de faits matériels supplémentaires, qui ne sont pas visés dans l’acte de poursuite (en tous les cas sans l’accord de la personne poursuivie). Il lui est donc interdit, en l’occurrence, d’attraire dans le procès le fait consistant à causer, favoriser ou ignorer la mort d’autrui. Un tel fait pourrait en revanche être poursuivi à la faveur d’autres procédures, concernant d’autres personnes, menées contre le naturopathe.