Par Elise Letouzey, Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne

L’anniversaire de la loi Leonetti du 22 avril 2005 est l’occasion d’un regard sur le droit concernant la fin de vie : si cette loi a posé la première pierre de l’édifice, la succession des textes n’épuise ni les questions ni les difficultés techniques et pratiques de mise en œuvre des soins palliatifs. L’équilibre est en effet délicat à trouver entre le refus d’une obstination déraisonnable et l’interdiction d’une euthanasie active. Ce dernier rempart est sur le point d’être remis en cause.

Quel bilan peut-on établir de l’application de la loi Leonetti ?

L’enjeu de la fin de vie est considérable. En France une personne sur deux meurt à l’hôpital. La loi Leonetti en date du 22 avril 2005 a constitué une étape majeure. Jusqu’alors, il n’existait pas de cadre législatif sur la fin de vie, seule était prévue la possibilité pour le patient un refus des soins. L’un des objectifs de la loi est d’interdire l’obstination déraisonnable (aussi appelée acharnement thérapeutique), c’est-à-dire la réalisation d’actes médicaux lorsque ces derniers sont inutiles ou qu’ils sont disproportionnés ou bien encore lorsqu’ils n’ont pour finalité que le maintien artificiel en vie, selon une définition biologique. Ce caractère d’obstination déraisonnable est établi par le médecin et l’équipe médicale.

La notoriété de certains mécanismes instaurés par la loi est encore à renforcer. Un sondage réalisé en février 2021[1] montre que seul 18% de la population a rédigé des directives anticipées. Ces directives permettent à toute personne d’exprimer, par avance, la volonté de poursuivre, de limiter, d’arrêter ou de refuser des traitements ou actes médicaux qui pourraient être réalisés sans que la personne ne puisse à ce moment-là exprimer sa volonté en raison d’un accident ou d’une maladie grave. Ainsi, la loi Leonetti de 2005 infuse lentement au sein de la société et au sein du corps médical : son terrain d’application concerne d’abord l’équipe médicale et ce n’est que de manière résiduelle que les juges judiciaires ou administratifs peuvent être saisis. L’affaire Vincent Lambert a tragiquement illustré les difficultés matérielles que peut susciter l’application de la loi (v. billet sur la procédure pénale engagée à la suite de son décès). Ces difficultés, conjuguées aux inégalités face à l’accès aux soins palliatifs, conduisent à retrouver régulièrement dans les tribunes ou les rapports sur ce sujet la formule selon laquelle on meurt mal en France.

C’est notamment la raison pour laquelle le législateur a remis l’ouvrage sur le métier : la loi Leonetti de 2005 n’est pas isolée et il faut désormais parler d’un corpus législatif avec la loi dite Claeys-Leonetti. Cette loi du 2 février 2016, intitulée « Loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », a complété le dispositif d’accompagnement de la fin de vie en prévoyant la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cette nouvelle étape législative affine le dispositif existant sans pour autant autoriser l’euthanasie (« bonne mort » en grec) qui consiste en une aide médicale active à mourir. Si toutes les implications de la mise en œuvre effective de ce corpus n’ont pas encore été mesurées, l’hyperactivité législative concerne aussi la fin de vie.

Quelles sont les nouvelles étapes du droit de la fin de vie ?

La volonté de modifier à nouveau le droit positif résulte notamment du constat de deux pratiques : le recours à des pratiques d’euthanasie clandestines et le recours à des services étrangers dans des pays dotés d’une législation plus accommodante. La comparaison avec les États voisins tels que la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, les Pays-Bas ou encore très récemment l’Espagne conduit les français qui le souhaitent et le peuvent à quitter la France pour recourir à une euthanasie active. Arguant d’une hypocrisie sur le sujet de la fin de vie en France, les tenants d’une euthanasie active proposent de laisser le choix lorsque le pronostic vital est engagé.

L’actualité parlementaire en la matière est vivace et expose à une forme d’emballement : une proposition de loi « visant à garantir et renforcer le droit des personnes en fin de vie » a été déposée le 26 janvier 2021 par le député Jean-Louis Touraine, mais surtout une proposition de loi portée par Olivier Falorni a été débattue en commission des lois de l’Assemblée nationale. Le texte « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie », issu du travail réalisé en commission a été discuté le jeudi 8 avril 2021 dans le cadre d’une niche parlementaire, c’est-à-dire d’une fenêtre dans l’ordre du jour de l’Assemblée nationale laissée à la disposition d’un groupe parlementaire. À cette occasion, le texte a pu être présenté, mais il a conduit au dépôt de milliers d’amendements dans une logique d’obstruction parlementaire. Au cours de cette journée de débats, seul l’article premier de la proposition a été adopté. Cela permettra la poursuite de l’examen du texte mais compte tenu du chemin législatif restant à parcourir, son adoption définitive d’ici la fin de la législature est peu probable. Elle est à tout le moins le signe d’une volonté politique qui transcende les partis tant les discussions ont révélé des divisions internes au sein des groupes parlementaires.

Que contient cette proposition de loi discutée le 8 avril 2021 à l’Assemblée nationale ?

La proposition prévoit la consécration d’une assistance médicalisée active à mourir. Techniquement, le dispositif concernerait une personne (majeure et capable) en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou que la personne juge insupportable. Il faudrait alors que la personne malade sollicite expressément le recours à cette assistance médicale active à mourir La décision de faire droit à la demande du patient serait prise par une équipe médicale après vérification de son consentement et devra donner lieu à un rapport établi a posteriori. La loi permettrait la prescription par un médecin d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par ce même médecin. Le dispositif serait envisageable dans le cadre des directives anticipées.

À côté de ces propositions, des amendements ont aussi été adoptés permettant par exemple, en l’absence de directives anticipées, d’organiser un ordre de consultation des membres de la famille par le médecin (en premier le conjoint, concubin ou partenaire de PACS, à défaut celui des enfants, et à défaut enfin l’avis des parents de la personne concernée sera recueilli). Cet amendement, faisant écho à l’affaire Vincent Lambert qui avait conduit à une opposition de la famille sur la décision à prendre, participe à combler les lacunes des lois Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016. Toutefois, il ne faudrait pas que la vitesse du Parlement devienne précipitation sur un sujet aussi complexe et technique. En effet, les réponses appellent une réflexion apaisée qu’une journée de discussion parlementaire pourrait ne pas épuiser.

 

[1] Sondage réalisé par l’institut BVA, l’enquête a été réalisée par téléphone en janvier 2021 auprès d’un échantillon de 902 Français âgés de 50 ans et plus, considéré comme représentatif de cette population, V. site internet du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie : https://www.parlons-fin-de-vie.fr/.

 

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