Par Elise Letouzey – Maitre de conférences en droit privé – Université de Picardie Jules Verne
Le statut unitaire du lanceur d’alerte créé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique vient d’être modifié par la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte contre les risques de sanctions et de poursuites civiles et pénales auxquelles il s’expose. Les jeunes racines de l’alerte à la française ont ainsi vocation à durablement s’implanter dans le paysage juridique. Les modifications apportées, qui entreront en vigueur le 1er septembre 2022, traduisent une volonté concrète et réelle d’amélioration d’un statut faisant encore figure de jeune pousse dans le droit français.

Pourquoi modifier le statut du lanceur d’alerte cinq ans après sa création ?

La loi du 21 mars 2022 connaît une double inspiration. D’une part, elle vise à améliorer le statut du lanceur d’alerte en modifiant la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016 qui posé un cadre de protection du lanceur d’alerte. À ce titre, le rapport parlementaire d’évaluation de l’impact de la loi Sapin II du 7 juillet 2021 a souligné les insuffisances du dispositif peu mobilisé jusque-là : le statut du lanceur d’alerte était en effet complexe et difficile à obtenir car conditionné au respect d’une procédure restrictive. D’autre part, il appartenait au législateur de transposer la directive européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, à savoir les atteintes au budget de l’Union mais aussi aux secteurs du transport, de l’environnement, des marchés publics, des services financiers, de la consommation ou encore de la concurrence.

Si le droit français demeure le lointain voisin du whistleblower américain fondé sur le False Claims Act de 1863, les modifications apportées par la loi nouvelle modifient substantiellement le périmètre de l’alerte et le statut du lanceur d’alerte. En outre, par le biais d’une loi organique du même jour, elles renforcent aussi le rôle du Défenseur des droits.

Quelles sont les modifications apportées à la protection du lanceur d’alerte ?

D’abord, la loi nouvelle élargit l’octroi du statut de lanceur d’alerte et son accompagnement. En ce sens, tendent à être corrigées des malfaçons rédactionnelles qui entretenaient une ambiguïté quant au statut de lanceur d’alerte, étroitement conçu. Désormais, le lanceur d’alerte est celui qui signale ou divulgue des informations dont il a connaissance à titre personnel ou dans le cadre de son activité professionnelle. Cette révélation doit notamment être réalisée sans contrepartie financière directe et de bonne foi. Le critère est mieux défini car le terme flou de « désintéressement » est abandonné au profit de l’absence de contrepartie financière directe. Ainsi le champ de l’alerte est mieux cerné, affiné même si la bonne foi peut conduire à une appréciation incertaine.

Ensuite, le lanceur d’alerte est mieux accompagné dans sa démarche et mieux protégé. Cette protection se traduit par l’aggravation des sanctions contre les représailles auxquelles s’expose l’auteur du signalement mais aussi par l’allongement et la généralisation de la liste des représailles interdites. Ces dernières peuvent consister en un licenciement, des mesures disciplinaires, l’intimidation, le harcèlement, les traitements injustes ou discriminatoires. De même, les structures qui accompagnent l’auteur du signalement comme les syndicats, les associations ou un « facilitateur » personne physique, tout comme les relais de l’alerte qui peuvent à leur tour s’exposer (par exemple les journalistes), sont désormais protégés par la loi : ils peuvent, eux aussi, prétendre au statut de lanceur d’alerte.

Dans la lignée d’une protection accrue du lanceur d’alerte, le champ du fait justificatif permettant d’exclure la responsabilité pénale de l’auteur est plus lisible. En effet, l’auteur d’une alerte encourt un risque pénal et s’expose à des poursuites pour diffamation, dénonciation calomnieuse ou encore violation du secret professionnel. Or, l’ensemble des bénéficiaires du statut de lanceur d’alerte peuvent désormais se prévaloir de l’irresponsabilité pénale en cas d’atteinte à un secret protégé par la loi si cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause. Cette irresponsabilité exige le respect de la procédure de signalement mais l’allègement procédural de l’alerte élargit d’autant le champ d’application de cette cause d’irresponsabilité pénale. Les mêmes personnes ne sauraient non plus être déclarées civilement responsables, dès lors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

Enfin, le cadre procédural du recueil de l’alerte est assoupli. En effet, le système précédent prévoyait que pour être protégé, l’auteur de l’alerte devait respecter une procédure graduée de signalement avant de pouvoir divulguer l’information. Le lanceur d’alerte devait d’abord signaler les faits à sa hiérarchie puis, en cas d’inertie, il devait ensuite en informer l’autorité judiciaire. Enfin, devant l’inaction respective de l’entreprise et de l’autorité judiciaire, il était autorisé à révéler publiquement les faits.

Désormais, l’alerte réalisée à l’intérieur de l’entreprise ou de l’institution est précisée et facilitée. Concrètement, les voies du signalement sont diversifiées et le passage par la procédure interne de recueil et de traitement des signalements n’est qu’une faculté à laquelle recourt l’auteur de l’alerte lorsqu’il estime possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’il ne s’expose pas à un risque de représailles. Cette voie interne est d’ailleurs substantiellement élargie, imposée par exemple aux administrations de l’État, aux collectivités territoriales et à toute entreprise d’au moins cinquante salariés.

Parallèlement, un signalement externe est consacré : cela permet à des autorités extérieures (qui doivent être définies par voie réglementaire) de recueillir l’alerte. À ce titre, le Défenseur des droits pourra jouer le rôle d’aiguilleur de l’alerte ; il pourra aussi être saisi par toute personne pour donner son avis sur la qualité de lanceur d’alerte et le respect de la procédure suivie au regard des exigences légales.

Quelles sont les interrogations ou les difficultés qui demeurent pour garantir une protection optimale au lanceur d’alerte ?

Le statut du lanceur d’alerte, tel que prévu par la loi de 2016, exposait ce dernier à un double risque juridique et financier important. Or, demeure la difficulté de la contrepartie financière. Alors que le système américain est basé sur une logique de compensation financière indexée sur le montant recouvré grâce à la révélation de la fraude, la philosophie française du lanceur d’alerte persiste à ancrer le dispositif dans une logique totalement désintéressée. Cela peut conduire le lanceur d’alerte à une forme de précarité. Si la loi de 2016 avait tenté d’instaurer une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés accordée par le Défenseur des droits, le Conseil constitutionnel avait censuré le dispositif. La législateur, remettant l’ouvrage sur le métier, a ainsi instauré une possibilité pour le juge, en début de procès, d’accorder une provision pour frais de justice. Une illustration de la mise à l’épreuve de l’efficacité de cette nouvelle protection procédurale réside dans l’articulation du signalement par le lanceur d’alerte avec la protection du secret des affaires. En effet le risque de contentieux n’est pas hypothétique en cas de révélation d’une information susceptible de rentrer dans le champ du secret des affaires et la judiciarisation du litige sera un bon indicateur de la pertinence du dispositif.

En outre, le nouveau régime devra être éprouvé pour mesurer l’efficacité de la protection face à une exposition importante sur le plan personnel et professionnel en dépit des garde fous existants, cette modification induit une forme d’imprévisibilité inhérente à tout nouveau régime.

En dernier lieu, il ne faut pas oublier au regard de ces nouvelles dispositions que les affaires emblématiques et médiatiques des dernières années restent délicates à appréhender au travers du nouveau cadre juridique des lanceurs d’alerte. Par exemple, le mécanisme français de l’alerte continue d’exclure le secret défense. Ainsi des figures telles qu’Edward Snowden ou encore Chelsea Manning demeureraient, si la question venait à se poser, exclues du champ de la protection des lanceurs d’alerte, compte tenu de la teneur et du domaine de leurs révélations.

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