Par Eric Senna, ancien Maître de conférences associé, Chargé d’enseignement des Universités de Montpellier et d’Aix-Marseille, Président de chambre à la cour d’appel de Montpellier

Le projet de loi n°4091 pour la confiance dans l’institution judiciaire déposé le 14 avril 2021 à l’Assemblée nationale sera certainement le dernier texte d’ampleur présenté par le gouvernement en matière de justice pénale avant la fin du quinquennat.

Ce texte pour lequel le gouvernement a engagé la procédure d’examen accélérée constitue un marqueur des priorités actuelles pour l’exécution des peines et le droit pénitentiaire.

Par leur aspect disruptif, les dispositions relatives à la suppression du crédit de réduction de peine et à l’unification du régime des réductions de peine ont suscité des débats controversés, alors que d’autres  s’inscrivent dans une perspective de long terme et pourraient être enrichies au cours de leur examen par les parlementaires qui a commencé dès cette semaine à l’Assemblée nationale.

Quelles sont les orientations du projet de loi relatives à l’exécution des peines et au droit pénitentiaire ?

Tout d’abord, deux grands sujets pénitentiaires majeurs que sont d’une part, l’élaboration d’un code pénitentiaire et d’autre part, la redéfinition de la relation de travail en détention sont enfin au menu du législateur, ce qui constitue un indice de progrès indéniable.

Sur le premier point, le rapport de la commission COTTE du 18 décembre 2015 recommandait la création d’un code pénitentiaire afin d’y réunir les dispositions éparses de l’ensemble des règles s’appliquant en détention et avait proposé un avant-projet divisé en quatre livres. Ce travail indispensable permettra d’assurer une meilleure accessibilité et lisibilité des normes pénitentiaires à l’égard des usagers contraints de ce service public particulier et de ses acteurs. Le texte prévoit une adoption par voie d’ordonnance dans un délai de dix mois, c’est-à-dire que le travail de codification devrait être réalisé d’ici la fin du quinquennat.

Sur le second point, la décision du Conseil constitutionnel du 25 septembre 2015 saisi d’une QPC relative à l’article 33 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui déclarait conforme à la Constitution la participation des personnes détenues aux activités professionnelles dans les prisons par un acte d’engagement unilatéral de l’administration pénitentiaire, laissait entière la question centrale de la nature juridique du lien avec la personne détenue. Un an plus tard, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) relevait (avis du 22 déc. 2016) que quelle que serait la forme juridique retenue pour qualifier ce lien avec l’administration pénitentiaire, le travail en détention devait être régi par un véritable droit social pénitentiaire permettant une protection de l’activité professionnelle. Finalement, il est proposé un contrat « d’emploi pénitentiaire » qui se rapproche de la solution adoptée en Espagne fondée sur un contrat « sui generis ».

Ensuite, pour les dispositions relatives aux peines, l’article 9-5° du projet revient sur la libération sous contrainte dont le régime avait déjà adapté par la loi du 23 décembre 2019. L’article 720 du CPP créé par la loi du 15 août 2014 organise un examen systématique des condamnés exécutant une peine inférieure ou égale à cinq ans au 2/3 de peine pour déterminer si le dernier tiers peut être exécuté hors la prison sous une forme aménagée sur décision du juge de l’application des peines (JAP) après avis de la commission de l’application des peines (CAP).

Sur le plan criminologique, c’est une mesure pertinente qui vise à éviter les sorties sèches en visant notamment ceux qui ne demandent rien et dont le risque de récidive après incarcération peut être ainsi amoindri. Elle a trouvé un écho favorable du côté des JAP et des services pénitentiaires (environ 500 mesures prononcées par mois).

La nouveauté ici, c’est que celle-ci s’appliquera de plein droit pour les reliquats de peine de trois mois des peines inférieures ou égales à deux ans sauf impossibilité matérielle tenant à l’absence d’hébergement.

L’idée est intéressante si elle ne se limite pas à une simple mesure de gestion pour libérer par anticipation des places de prison. Ainsi, l’automaticité qui semble aujourd’hui suspecte pour le crédit de réduction de peine (CRP) ne fait pas bon ménage avec le principe d’individualisation de la peine. Le juge qui connaît la personnalité du condamné, doit pouvoir s’opposer à une sortie qui présenterait un risque de récidive trop élevé, ce qui n’est pas prévu. Par ailleurs, pour qu’un suivi post-incarcération puisse être effectif, le reliquat de peine éligible devrait être porté à six mois au moins.

Le projet de loi ne remet-il pas en cause l’équilibre du système des réductions de peine ?

Ce mécanisme incitatif comporte un double objectif : il a vocation à promouvoir les efforts pour adopter un comportement conforme aux règles de la collectivité pénitentiaire et il récompense les efforts de réadaptation sociale.

Il est certain que ces remises n’ont pas bonne presse dans l’opinion publique en ce qu’elles conduisent à une érosion de la peine (jusqu’à six mois/an), la peine prononcée étant rarement effectuée en totalité sauf exceptions légales. La mise en place du CRP a accentué cette perception puisqu’en fonction de la durée de la peine à subir, il est retranché immédiatement au premier jour d’écrou dès que la peine est définitive.

Cela reste néanmoins une mesure nécessaire, ne serait-ce que pour maintenir la paix en prison, il faut savoir doser les récompenses et les pénalités pour mobiliser la personne détenue.

A cet égard, le projet comporte deux modifications. D’abord, il abandonne le système du CRP et revient au dispositif antérieur à 2004 où les réductions de peine pour bonne conduite étaient appréciées chaque année par le JAP à terme échu. Ensuite, jusqu’alors il existait deux catégories autonomes de réductions de peine soumises à deux régimes distincts. Ainsi, un condamné peut écoper d’un retrait de CRP parce que par exemple,il est découvert en possession d’un téléphone portable ou de stupéfiants et obtenir des réductions supplémentaires de peine (RPS) dès lors qu’il travaille en détention et indemnise ses victimes avec ses revenus. Inversement, un condamné ne faisant l’objet d’aucun sanction disciplinaire conserve le bénéfice du CRP mais n’obtient pas de RPS lorsqu’il ne fait aucun effort en détention sur le plan de sa réinsertion. Le projet vise à unifier les deux catégories et à soumettre l’ensemble à l’appréciation du JAP.

J’ai connu, comme ancien JAP en établissement pour peine, l’examen systématique en CAP pour l’ensemble des réductions de peine qui était un exercice très lourd et fastidieux et dispersait le travail des acteurs de la CAP. Après l’entrée en vigueur de la réforme en 2005, tout le monde s’accordait à dire qu’il s’agissait d’une mesure de simplification bienvenue alors que son caractère automatique était tempéré par la possibilité d’un retrait en cas de mauvaise conduite.

Dans son avis du 8 avril 2021, le Conseil d’État a relevé aussi une perte de visibilité sur la date prévisionnelle de fin de peine. L’Association nationale des JAP a fait savoir qu’elle n’y était pas favorable notamment pour les courtes peines et la conférence nationale des premiers présidents s’y est déclarée opposée en constatant que les motifs de cette réforme n’étaient pas suffisamment explicités.

J’ajouterai que par ce décloisonnement, j’y vois aussi un déplafonnement des causes de non-octroi pour des motifs tenant au mauvais comportement réitéré du condamné à qui, il sera possible de ne plus accorder aucune réduction de peine, soit jusqu’à six mois par an alors que le régime actuel limite dans ce cas le retrait à trois mois.

Enfin, il faut être conscient que ce retour en arrière provoquera mécaniquement l’allongement des durées de détention. Cette hypothèse est envisagée par l’étude d’impact et ne s’inscrit pas dans le sens d’une réduction de la surpopulation carcérale au sein de nos 87 maisons d’arrêt pour laquelle, faut-il le rappeler, la France est sous la surveillance du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre du suivi de l’arrêt CEDH JMB du 30 janvier 2020. Il faut souhaiter que tous ces paramètres soient pris en compte par le législateur.

Dans quelle mesure les condamnés pourront-ils bénéficier de l’élargissement des réductions de peine exceptionnelles ?

Sur ce point,l’article 9-10° du projet étend le régime des réductions de peine exceptionnelles prévues par l’article 721-3 du CPP créé par la loi du 9 mars 2004 au bénéfice des repentis. A l’évidence, celles-ci sont destinées à encourager les actes de dévouement et de bravoure en détention à l’égard du personnel pénitentiaire victime de violences. Elles s’inscrivent dans une pratique éprouvée des chefs d’établissement d’informer le JAP de ces actes positifs au moment de l’examen des RPS ou de statuer sur une demande d’aménagement de peine.

La réduction pouvant atteindre le tiers de peine, il est difficile de comprendre pourquoi, son champ d’application n’englobe pas la protection de l’ensemble des personnes intervenant en détention. De plus, si une recrudescence des actes de violence à l’encontre du personnel pénitentiaire est effectivement observée depuis plusieurs années, il en va de même des violences entre co-détenus. Peut-être que celui qui porte secours à un co-détenu devrait-il être aussi encouragé ?

Cet article étend aussi le dispositif des repentis à l’univers carcéral aux actions ayant permis « d’éviter ou de mettre fin à toute action individuelle ou collective de nature à perturber gravement le maintien du bon ordre et la sécurité de l’établissement ».

Cette définition couvre un champ assez large qui inclut autant les déclarations que les actes. Aussi, des précisions pourraient-elles être apportées comme le fait que l’action en cause devra avoir été déterminante et que l’autorité judiciaire doit en avoir été informée au moment où la situation se produit afin d’en objectiver les circonstances.

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