Par Aurélien Antoine – Professeur à la Faculté de droit de l’Université Jean Monnet et Directeur de l’Observatoire du Brexit

Alors que l’accession au trône du Prince Charles III suit les étapes d’un protocole millimétré défini par la pratique et quelques sources écrites diffuses (voir Article sur notre Blog), la question des interactions entre le nouveau monarque et les autres institutions britanniques se pose. Le Parlement a ainsi un rôle limité dans l’accession au trône de Charles III, tandis que ce dernier pourrait utiliser sa position afin de jouer un rôle discret, mais non moins réel, dans les affaires publiques britanniques.

Le Parlement a-t-il un rôle à jouer dans l’accession au trône du nouveau monarque ?

La Chambre des Communes et la Chambre des Lords se sont réunies les 9 et 10 septembre pour rendre hommage à la reine. Après ces tributes, la pratique veut que tous les membres du Parlement prêtent allégeance au roi. Si les députés peuvent refuser de le faire (et en pratique, seuls les membres des Communes les plus importants le font, comme les chefs de parti), les Lords en ont l’obligation. Une Humble Address de condoléances est ensuite adoptée par les deux chambres (motions of condolence and loyalty). Durant ces deux jours, le Speaker des Communes, le Lord Speaker de la Chambre des Lords, la Première ministre et les chefs des principaux partis politiques ont prononcé un discours. D’autres élus peuvent intervenir, ce que Boris Johnson fit dans un discours remarqué et même apprécié. Une fois ces séances d’hommage passées, le Parlement suspendra ses travaux jusqu’à deux jours après les funérailles d’État prévues le lundi 19 septembre prochain.

Ce lundi 12 septembre, Charles III s’est rendu à Westminster Hall, où se réunissent les parlementaires pour recueillir les condoléances des Chambres par la voix de leur président. Outre les parlementaires de Westminster, ceux d’Édimbourg, de Cardiff et de Belfast pouvaient être présents. Le roi leur a répondu solennellement.

Le Parlement ne joue donc pas un rôle juridique majeur et il s’agit plus d’une participation active au deuil national par une série d’hommages, puis d’échanges de messages et de serments avec le nouveau monarque. En revanche, rappelons que le Parlement adopte formellement une loi pour donner effet à une abdication, comme ce fut le cas en 1936 pour Édouard VIII (His Majesty’s Declaration of Abdication Act 1936).

Dernier point : Charles III est le premier monarque de l’ère contemporaine à se rendre aux parlements d’Écosse, d’Irlande du Nord et du pays de Galles qui ont été institués par les lois de dévolution de 1998.

À l’égard du gouvernement, faut-il s’attendre à un monarque interventionniste ?

Lorsqu’il était prince de Galles, Charles était coutumier d’intrusions directes dans plusieurs dossiers, relatifs à l’urbanisme, le patrimoine, l’environnement ou encore la médecine douce. La firm, comme la famille royale se désigne elle-même, exerce une espèce de lobbying auprès du gouvernement ou d’autres autorités publiques. Son interventionnisme avait donné lieu à un contentieux juridictionnel dans les années 2010[1]. La Cour suprême exigea, en effet, la publication des notes princières destinées au gouvernement (les « black spider memos »). Il est peu probable que Charles III poursuive cette pratique, ainsi qu’il l’a souligné lors d’une interview avant même son accession au trône. Il est conscient de l’attachement de ses sujets à la neutralité qu’a toujours respectée sa mère et, en tant que chef d’État, il se doit de protéger la Constitution. Il l’a parfaitement rappelé lors de sa première adresse à la nation et au Commonwealth le 9 septembre.

Son influence sera-t-elle dès lors nulle sur les affaires publiques, comme cela peut être parfois souligné à propos du monarque britannique ?

Le monarque et les membres seniors de la famille conservent une magistrature d’influence notable. Outre le fait que, dans le cadre d’une convention de la Constitution, le monarque doit être consulté, puis conseille, voire met en garde le gouvernement sur tel ou tel sujet, la famille royale peut intervenir sur les sujets qui l’intéressent directement (comme la fiscalité ou des projets affectant ses propriétés). Elle peut contribuer à ce que le gouvernement amende un texte en cours de discussion devant les chambres.

Le Guardian, journal à tendance républicaine, révèle régulièrement les tentatives plus ou moins couronnées de succès des Windsor auprès du Cabinet pour faire entendre leur point de vue. Tout récemment, le quotidien a dévoilé les conclusions d’un rapport interne au gouvernement écossais qui reconnaît que le consentement de feu la reine Élisabeth II pour certains projets de loi ayant des conséquences sur ses intérêts privés avait été sollicité. Cette tradition du Queen’s or King’s consent (ou Crown consent en Écosse) est admise constitutionnellement depuis fort longtemps, mais elle pose des problèmes de transparence dans une démocratie parlementaire. La question n’est donc pas tant de savoir si Charles III recourra au lobbying, mais selon quelle fréquence et par quels moyens. S’il manque de discrétion et s’il s’immisce de façon disproportionnée dans les affaires de l’État, cela ferait courir un risque à la pérennité de la monarchie. Cependant, rien n’indique qu’il souhaite s’engager dans cette voie qui serait une impasse et un bien triste tribut à la mémoire de la grande Élisabeth II.

[1] R. (on the application of Evans) v Attorney General [2015] UKSC 21 ; [2015] 2 W.L.R. 813. Depuis cette affaire, la loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Act 2000) a été amendée en 2010 pour protéger la correspondance des membres les plus importants de la famille royale.