Par Sébastien Pellé, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Toulouse Capitole (Institut de Droit Privé – EA 1920)

À l’occasion de la clôture du Beauvau de la sécurité, le Président Emmanuel Macron a annoncé un ensemble de mesures visant à simplifier notre procédure pénale. De nouveaux ajustements devront intervenir afin, notamment, de renforcer le recours à l’amende forfaitaire et d’accélérer la numérisation des procédures. La perspective d’une réforme plus globale a, par ailleurs, été envisagée pour « repenser les grands équilibres de la procédure pénale » et aboutir à une « nouvelle écriture du code » (pour l’intégralité du discours v.).

Ces déclarations invitent à revenir sur la cohérence de la politique législative, dans la mesure où la plupart de ces leviers sont régulièrement actionnés, sans pour autant parvenir à interrompre le flot continu des réformes. Dans un système juridique marqué par le pluralisme des sources du droit, l’heure n’est manifestement plus à la réduction de la complexité. Au-delà du droit lui-même, le processus de réforme mériterait sans doute d’être repensé. À défaut, toute tentative de simplification de la procédure pénale risque de n’aboutir qu’à une réforme supplémentaire annonçant la suivante.

Une simplification en trompe l’œil ?

À bien des égards, l’objectif de simplification du droit, qui n’est pas propre à la matière pénale, constitue le symptôme de certains maux de notre droit, au premier rang desquels l’inflation et la complexité normatives (v. J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996 ; F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, Dalloz, 2020, n° 479s.).

Appliquée à la procédure pénale, la simplification, incarnée dans les dernières réformes, poursuit une finalité spécifique qui a été placée au cœur de la loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. L’un des objectifs de ce texte d’ampleur consistait à « faciliter le travail quotidien de tous les acteurs de la chaîne pénale » (v. rapport annexé, 1.2.1). Le chef de l’État l’a réaffirmé en dénonçant « les piles de papier » qui éloignent enquêteurs et magistrats de leurs missions essentielles. Ainsi, en ce domaine, la simplification paraît moins destinée aux usagers qu’aux acteurs du service public.

Comment comprendre un tel besoin de simplification ? Ce dernier apparaît manifestement comme l’une des conséquences de la fondamentalisation de la procédure pénale qui s’est traduite, ces dernières années, par un développement des droits de la défense lors de l’enquête policière. Il en est résulté un alourdissement considérable des formalités à la charge des enquêteurs. Dès lors, il s’agit de « renvoyer le balancier » dans l’autre sens afin de ne pas perdre de vue l’efficacité des investigations. L’exemple de la garde à vue est, à cet égard, particulièrement significatif. Après les réformes, initiées par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, en faveur de l’accroissement des droits du suspect, la loi de programmation a tenté de réintroduire une certaine souplesse dans un droit qui s’était considérablement rigidifié : suppression de la présentation obligatoire au procureur de la République en cas de prolongation de la garde à vue (art. 63 II, dern. al. CPP) ; nouveau cas de prolongation de la garde à vue (art. 63 II, al. 2 CPP) ; encadrement de l’information délivrée à l’avocat dans le cadre du droit à l’assistance (art. 63-4-3-1 CPP). L’allègement du formalisme demeure cependant limité dans la mesure où, par un effet de cliquet, la pression des droits fondamentaux ne tolère aucun retour en arrière. Un même constat s’impose à propos des mesures de simplification contenues dans le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. En matière de surveillance (ex. drones ou caméras embarquées), l’exercice consiste à s’insérer dans les zones de liberté laissées par la censure du Conseil constitutionnel (v. Cons. constit., 20 mai 2021, n° 2021-817 DC, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés).

La plus-value d’une justice pénale numérique ?

La mise en place de la procédure pénale numérique (PPN) serait-elle susceptible d’ouvrir la voie d’une simplification plus opérante ? La transformation numérique constitue un des grands enjeux de la justice du XXIe siècle dans la perspective de faciliter l’accès au juge et la gestion des procédures, tout en libérant les acteurs des tâches les plus chronophages. La loi de programmation du 23 mars 2019 est d’ores et déjà venue en poser les principaux jalons. Le principe de la dématérialisation des actes a été inscrit à l’article 801-1 du code de procédure pénale, et la plainte en ligne consacrée à l’article 15-3-1 du même code (sur ces innovations, v. not. J.-B. Thierry, « La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, loi de réforme pour la justice numérique ? », JCP éd. G., 2019, 524).

Sur le plan de la simplification, les attentes liées à la PPN sont fortes mais, une nouvelle fois, il convient de s’entendre sur le sens des mots. La disparition du support papier (ou plus raisonnablement, sa rationalisation) ne fera pas disparaître le formalisme des droits fondamentaux, particulièrement celui lié au constant développement des droits de la défense, et ce, dès les premiers stades de la procédure.

Concernant la plainte en ligne, à propos de laquelle le Président Macron s’est engagé pour une mise en œuvre en 2023, les modalités concrètes restent à établir. Cependant, il est désormais acquis que certaines infractions feront l’objet d’un traitement différencié. Tel est le cas des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles qui donneront lieu à une audition obligatoire de la victime (art. D. 8-2-2 CPP). C’est sans doute pour éviter ces difficultés qu’à l’origine la plainte en ligne était essentiellement envisagée pour des atteintes aux biens commises en ligne. En outre, certaines craintes peuvent être émises quant à la précision des déclarations réalisées sans l’encadrement d’un enquêteur, et la plainte en ligne ne pourra jamais être imposée à la victime (art. 15-3-1 al. 3 CPP). Ces interrogations soulignent, s’il en était besoin, qu’il n’est pas raisonnable de tout attendre de la numérisation.

Remonter aux origines de la complexité : combattre l’instabilité législative ?

L’instabilité chronique de la procédure pénale ne doit pas être négligée dans le débat relatif à sa simplification. À titre d’exemple, la loi de programmation Justice, proposant pourtant une anticipation jusqu’en 2022, n’est pas parvenue à endiguer le processus de fragmentation des réformes qui contribue à l’inintelligibilité et à l’insécurité de notre droit. Depuis 2019, si l’on excepte l’adoption du code de la justice pénale des mineurs qui a été initiée par la loi de programmation, trois autres réformes se sont ajoutées (sur le parquet européen et la spécialisation de la justice pénale ; l’amélioration de l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale ; la sécurité globale) et deux autres sont en cours d’examen (projets de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure).

Dans un tel contexte, une réforme d’ensemble ne peut qu’être encouragée, à la condition de s’y engager avec une pleine conscience des obstacles à surmonter. Dans un premier temps, un bilan des contraintes, aussi bien sur le plan matériel (budget, effectifs, moyens technologiques…), que sur le plan normatif (nouveaux standards imposés par les sources supralégislatives qui restreignent d’autant la liberté du législateur), permettrait d’inscrire le projet dans la réalité juridique de notre époque. Dans un second temps, plusieurs questions de principe mériteraient d’être tranchées en amont afin d’éviter une politique des petits pas, favorisant encore l’émiettement des réformes sans orientations véritables. Parmi les grands chantiers, une réflexion sur l’office du juge pénal, à l’image de celle qui a pu être menée en matière civile, permettrait d’apprécier la place des alternatives aux poursuites et au jugement, sans cesse promues par des mesures ponctuelles (encore à l’œuvre avec la cour criminelle). De même, il devient urgent de reconstruire un droit de l’enquête cohérent en phase avec les droits fondamentaux applicables. Enfin, une meilleure articulation entre un droit commun et des régimes spéciaux pourrait être dessinée, afin de définir un cadre d’enquête dérogatoire limitant les ajustements politiques en matière de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme.

Le chemin de la codification est indéniablement le plus difficile. Paradoxalement, en refusant toute forme de facilité à court terme, il porte en lui la promesse d’une simplification véritable.

Pour aller plus loin, du même auteur :

  • Pellé, Réforme de la justice pénale (procédure pénale et droit de la peine). Commentaire des dispositions pénales de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, Dalloz, coll. Les Textes, 2019.
  • Pellé (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIe siècle ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020.

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