Par Elise Letouzey – Maître de conférences en droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne
 

Les émeutes qui se sont produites à la suite du décès du jeune Nahel lors d’un contrôle routier à Nanterre ont suscité des réactions politiques radicales. L’une d’elles contient des propositions visant à marquer les esprits : Valérie Pécresse propose ainsi un certain nombre de mesures. Si certaines propositions concernent des aspects essentiellement civils ou administratifs (comme par exemple la responsabilisation des familles avec le levier des aides sociales ou encore l’expulsion par arrêté municipal des parents auteurs d’infractions contre les figures de la République), d’autres relèvent d’aspects pénaux classiques dont il est proposé d’en décrypter quelques-uns.

En quoi consisterait « un choc d’autorité » visant à sanctionner durement les auteurs d’infractions commises à l’encontre des figures d’autorité ?

L’une des propositions de la présidente de la région Île-de-France est d’imposer une peine plancher d’un an d’emprisonnement ferme pour tout auteur d’infraction contre les figures d’autorité de la République comme les professeurs, les maires, les forces de l’ordre, les pompiers. Faire le choix d’une aggravation des peines encourues lorsque les infractions sont commises contre certaines personnes est déjà inscrit dans le paysage répressif français. Ainsi, lorsque des atteintes sont commises contre des personnes dépositaires de l’autorité publique (forces de l’ordre relevant de la police, de la gendarmerie, des douanes, agents de l’administration pénitentiaire, magistrats, représentants de l’État et des collectivités territoriales, agents assermentés de la SNCF, etc.) ou des personnes chargées d’une mission de service public (enseignants, professeurs, professionnels de santé, employés des services publics), elles font le plus souvent l’objet d’une aggravation de la peine encourue. Sont également très souvent visés les sapeurs-pompiers à côté de ces catégories. Seront ainsi par exemple aggravées les violences ou l’outrage. La technique répressive consistant à aggraver une peine est donc très utilisée et bien connue en droit pénal.

En revanche, imposer une peine plancher est plus atypique car le droit français a abandonné le système des fourchettes de peines de 1810 (une peine plancher et une peine plafond) depuis le nouveau Code pénal entré en vigueur en 1994. Par exemple, cela revenait à punir une infraction d’une peine d’au moins 6 mois jusqu’à 3 ans. Depuis, nous ne connaissons que des peines avec un maximum légal encouru car prévaut un principe d’individualisation. Ce principe découle de la nécessité des peines (article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et est reconnu par le Conseil constitutionnel comme revêtant une valeur constitutionnelle. Le juge pénal doit donc toujours pouvoir être à même de modifier le quantum de la peine qu’il prononce.

Est-ce que de telles mesures peuvent facilement s’inscrire dans le système répressif actuel ?

Sur le principe, une telle mesure est envisageable sous réserve d’être assortie d’un certain nombre de conditions. En effet, le droit pénal a déjà connu un système moderne de peines planchers puisque ces dernières ont été mises en œuvre pour les récidivistes en 2007, avant d’être abrogées en 2014. L’une des conditions essentielles d’une telle modalité de peine est de laisser une part d’appréciation au juge qui doit garder un pouvoir d’individualisation de la peine. Il faut donc nécessairement une porte de sortie au juge de condamnation qui doit pouvoir contourner la peine plancher. Sur ce point, le bilan d’application des peines planchers a montré que ce régime de peines ne fonctionnait pas bien car les juges utilisaient massivement leur pouvoir d’individualisation en motivant spécialement leur décision et leur refus d’y recourir. En effet, les statistiques établies par le Ministère de la justice ont montré que ces peines planchers étaient utilisées dans 38% des cas éligibles.

En ce sens, au-delà d’une applicabilité d’un tel système de peine, c’est l’efficacité de la mesure qui interroge. En effet, l’analyse économique mobilisée de manière empirique par des chercheurs en économie a montré que l’efficacité de l’incarcération pouvait être mise en doute. Sur un plan juridique, la pertinence de l’emprisonnement ferme concerne précisément les courtes peines d’emprisonnement qui seraient ici appliquées au titre d’une peine plancher.

Cela se comprend d’abord statistiquement car la surpopulation carcérale se concentre sur ces courtes peines. Il y avait en France 73 699 détenus au 1er juin 2023 (pour 68 432 au 1er janvier 2017) et 60 562 places de prison (pour 58 681 places au 1er janvier 2017). Toutefois, il faut, pour mieux mesurer la surpopulation, bien comprendre que cette dernière se concentre exclusivement dans les maisons d’arrêt qui sont le lieu d’exécution des courtes peines d’emprisonnement mais aussi d’accueil des prévenus en détention provisoire. En maison d’arrêt il y avait un taux d’occupation de 144% au 1er juin 2023.

Cela se comprend ensuite juridiquement car le législateur a tenu compte de cette surpopulation carcérale ainsi que de la difficulté à mettre à exécution des courtes peines d’emprisonnement lorsqu’un mandat de dépôt n’est pas décerné à l’audience. Concrètement, les peines d’emprisonnement ferme égales ou supérieures à un an font aujourd’hui l’objet d’un aménagement immédiat pour éviter la détention. Cette peine ferme s’exécute par exemple sous un régime de détention à domicile, de placement à l’extérieur ou de semi-liberté. Ainsi, les courtes peines d’emprisonnement ferme vont très largement prendre une autre forme que l’incarcération, en milieu ouvert avec un suivi judiciaire. Revenir à un système de peines planchers implique de s’inscrire un peu à contre-courant des dix dernières années, lesquelles ont précisément cherché à éviter l’incarcération.

La présidente de la région Île-de-France propose également un durcissement de la répression applicable en matière de mineurs. Est-ce possible ?

La procédure pénale applicable aux mineurs délinquants fait l’objet d’une législations particulière, condensée dans le Code de la justice pénale des mineurs qui succède à l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Le principe procédural est clair et constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c’est-à-dire qu’il a une valeur constitutionnelle : il faut des procédures adaptées et des juridictions spécialisées.

En proposant une comparution immédiate applicable aux mineurs, Madame Pécresse souhaite appliquer un mécanisme relevant des majeurs aux mineurs. Si cela peut se concevoir, il faut nécessairement des adaptations à cette importation. En outre, le Code de la justice pénale des mineurs, en vigueur depuis le 30 septembre 2021, a prévu un mécanisme particulier pour juger rapidement les mineurs délinquants. Il s’agit d’une césure du procès pénale consistant à juger le mineur relativement vite au regard de sa culpabilité – est-il ou non auteur de l’infraction ? – avant de décider d’une période de mise à l’épreuve éducative, permettant dans un dernier temps une audience décidant de prononcer ou non une peine ou une mesure éducative judiciaire.

Il n’en demeure pas moins que le régime applicable aux mineurs âgés de plus de 16 ans peut déjà faire l’objet de dérogations, comme par exemple renoncer à l’excuse de minorité conduisant à ne pas réduire les peines encourues, ou encore à conduire une procédure qui se rapproche de celle des majeurs, par exemple en matière de garde à vue.