Par Emmanuel Derieux, Professeur de droit des médias à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). Auteur notamment de Droit des médias. Droit français, européen et international, Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, 991 p.

Les récentes interventions de personnalités politiques à travers différents services de communication au public en ligne (Twitch, Instagram…) et l’usage, déjà plus ancien, de certains autres de ces services (sites, plateformes et autres réseaux sociaux…) conduisent, notamment à l’approche d’élections, à poser la question de l’adaptation de la réglementation de la communication politique en vigueur et de la nécessité de son renforcement ou, au contraire, du fait de la multiplication des moyens de communication désormais largement ouverts, de son allègement si ce n’est de son abrogation.

Quels sont les motifs de la réglementation de la communication politique ?

Avec la réglementation de la communication politique (expression publique des responsables politiques ou de ceux qui aspirent à le devenir, de leurs programmes et actions, de leurs soutiens et opposants), et les garanties et les limites ainsi apportées à la liberté d’expression, apparaît évidemment très nettement la nature véritable d’un régime politique.

Pour qu’il y ait une vraie démocratie, de type occidental, il faut que les acteurs de la vie publique, de la majorité comme de l’opposition, et pas seulement eux mais aussi l’ensemble des courants de pensée sinon chacun des citoyens, puissent, à tous moments, bénéficier de semblables sinon d’égales possibilités d’expression.

Une telle exigence d’égalité ou au moins de proportionnalité par rapport à la représentativité de chacun, au risque de conforter alors les situations acquises et d’empêcher tout renouvellement des forces politiques, dans les conditions d’accès aux moyens de communication est bien plus forte encore dans la perspective d’élections. Il s’agit d’accorder ainsi aux candidats les mêmes chances et aux électeurs, pleinement et équitablement informés, une réelle liberté de décision.

Il ne peut pas y avoir débat d’idées ni élection libre et véritablement fondée sans information préalable et confrontation des opinions et des points de vue.

La réglementation actuelle de la communication politique y contribue-t-elle et le garantit-elle ? Doit-elle, pour cela, être complétée ou, au contraire, allégée ?

Quels sont les principaux éléments de la réglementation de la communication politique ?

La réglementation, à cet égard, diffère selon que l’on se trouve hors période électorale ou en période électorale.

Hors période électorale, la réglementation de la communication politique, dans sa spécificité ou en dehors de ce qu’elle ajoute au droit commun, ne vise que les médias audiovisuels au sein desquels elle encadre notamment les temps d’antenne, s’agissant tant du temps parole des acteurs de la vie politique que du temps que leur consacrent les journalistes. Cela était, à l’origine, justifié par le nombre limité des canaux de diffusion et, précédemment même, par l’existence d’un régime de monopole d’Etat, au nom du respect du principe d’égalité devant le service public.

Énonçant le principe de la liberté de « communication au public par voie électronique », et particulièrement de la communication audiovisuelle, l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 pose que « l’exercice de cette liberté ne peut être limité » -et l’on pourrait plus positivement et exactement y voir une garantie à cet égard !- que par le respect notamment « du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion » et par « les exigences de service public ».

L’article 3-1 de cette même loi dispose que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) « assure l’égalité de traitement […] garantit l’indépendance et l’impartialité du secteur public de la radio et de la télévision », seul visé ici.

L’article 13 de ladite loi énonce, de manière plus générale, que le CSA « assure l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision », publics et privés, « en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». Diverses recommandations et délibérations ont ainsi été adoptées pour, à tout moment, tenter de concrétiser cette exigence ou préoccupation. En raison des possibilités d’expression désormais offertes par les services de communication au public en ligne, il n’y a aucune nécessité d’étendre la compétence du CSA à leur égard. La tutelle des médias audiovisuels paraît même, à cet égard, pouvoir être remise en cause.

Les règles et contraintes sont plus fortes et générales en période électorale. Elles visent l’organisation de la propagande électorale officielle et l’encadrement de la propagande électorale parallèle.

Par l’organisation d’une propagande électorale officielle, il est cherché à assurer l’égalité et l’équilibre de traitement dans l’accès des candidats et des formations politiques aux différents moyens de communication que sont les imprimés électoraux, les affiches, les temps d’antenne dans le cadre de la campagne radio-télévisée. Le coût en est directement pris en charge par l’Etat ou donne lieu à remboursement aux listes ou candidats qui ont obtenu un minimum de voix lors du scrutin.

En dehors de la campagne électorale officielle, se déroule, à l’initiative et sous la responsabilité des candidats et des partis, une campagne électorale que l’on peut qualifier de parallèle. Elle semble retenir davantage l’attention de tous. Elle utilise divers moyens de communication : tracts, affiches, réunions publiques, communication au public en ligne… Tous peuvent en faire usage. Pendant cette même période et les mois qui précèdent, le recours, à des fins politiques, à la publicité de type commercial est interdit. La distinction à faire, dans la nature de ces différents messages, n’est pas toujours aisée et certaine !

A l’approche d’un scrutin, la presse écrite conserve la possibilité de demeurer partisane. Les émissions (information, débats…) des radios et des télévisions, publiques et privées, demeurent, dans le souci de garantie des exigences de pluralisme et d’équité, soumises au respect de règles tatillonnes quant aux temps d’antenne, restreignant la liberté d’action des journalistes, et dont le respect est contrôlé par le CSA. Cela est-il encore justifié ?

L’encadrement de la communication politique en relation avec une élection découle enfin sinon surtout de la réglementation de son mode de financement et du montant des dépenses autorisées à cet égard. Au nom des exigences de liberté et d’égalité, cela pourrait désormais suffire, sous réserve de garanties de la régularité de l’établissement des comptes de campagne, d’un contrôle rigoureux et de l’application de véritables sanctions (perte du droit à remboursement des dépenses engagées, condamnation pénale, annulation de l’élection…) en cas de constat de violations !

Quel est le devenir de la réglementation de la communication politique ?

Par la réglementation de la communication politique, il convient, en démocratie, d’assurer, tout à la fois, un aussi juste et bien délicat équilibre entre les préoccupations de liberté d’expression et de pluralisme de l’information et des idées, les chances et les conditions des candidats et des partis dans leur accès aux médias, et la pleine information du public.

L’organisation d’une campagne électorale officielle et la réglementation, en recettes et dépenses, du financement de la campagne parallèle des candidats et des partis contribuent à assurer l’égalité des chances. Convient-il d’imposer encore d’autres règles spécifiques ?

A cet égard et plus largement même, est-il nécessaire de maintenir une réglementation spécifique et détaillée, concernant notamment les temps d’antenne, pesant sur le secteur de la communication audiovisuelle, public mais également privé, soumis au contrôle du CSA ? Ce que le caractère limité des canaux de diffusion pouvait justifier à l’époque, ne l’est plus aujourd’hui. Compte tenu de ce que sont désormais leur nombre et leur situation concurrentielle, les médias audiovisuels, privés tout au moins, pourraient voir leurs obligations, qui les distinguent largement de la presse écrite à laquelle est laissée la liberté de prendre parti, très fortement atténuées sinon supprimées.

Les services de communication au public en ligne (sites d’information, plates-formes d’échanges, réseaux sociaux) ne voient leur nombre limité par aucune contrainte technique ni presque de nature économique. En dépit du risque de formatage des contenus et des esprits, auquel la concurrence et la diversité sont les meilleurs remèdes, ils peuvent ainsi, dans ce qu’ils ont de bénéfique, largement et librement contribuer au pluralisme de l’information et des idées, constitutif et caractéristique d’un système démocratique. En situation d’abondance des moyens d’expression, il n’y a aucune justification ni nécessité de les soumettre au contrôle du CSA et de vouloir restreindre la liberté de leur utilisation. Au lieu de prétendre étendre une réglementation qui n’était justifiée que par la rareté de certains des moyens de communication, il convient, au contraire, d’envisager son assouplissement sinon sa suppression.

Compte tenu des capacités d’expression maintenant offertes, la tendance ne devrait pas être d’étendre, aux nouveaux supports de communication, les contraintes anciennes, mais, au contraire, au nom de la liberté d’expression, de remettre en cause des règles élaborées dans tout autre contexte.

L’état des techniques offre désormais un grand nombre de possibilités de diffusion. Elles constituent au moins des conditions sinon des garanties du pluralisme, maintenant considéré comme une exigence constitutionnelle. En conséquence, la communication politique, comme tout autre élément du contenu des médias, devrait, selon la formulation de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pleinement bénéficier du principe de « libre communication des pensées et des opinions […] sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». A une réglementation spécifique, complémentaire et restrictive, devrait, pour elle, être préférée l’application du seul droit commun des médias et de son régime de responsabilité.