Par Pascal Bine, avocat associé, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP and Affiliates

Dans une communication du 25 mars dernier, la Commission européenne a alerté les États membres sur la nécessité de renforcer le contrôle des investissements étrangers afin de protéger les actifs stratégiques européens dans le contexte de la crise sanitaire actuelle.

L’enjeu est double : il s’agit de préserver les infrastructures et équipements en matière de santé ainsi que la recherche et les technologies médicales, mais également de se protéger contre des « acquisitions prédatrices » d’actifs stratégiques par des investisseurs de pays tiers profitant de la chute des valeurs boursières.

Les recommandations de la Commission s’inscrivent dans la perspective de l’application, à compter du 11 octobre 2020, du règlement européen 2019/452 sur le filtrage des investissements directs étrangers au sein de l’Union (le « Règlement »).

Quelle est la nature du dispositif institué par le règlement européen sur le filtrage des investissements étrangers ?

La Commission rappelle que le Règlement permet aux États membres de prendre des mesures restrictives vis-à-vis des investissements étrangers sur le fondement de la sécurité ou de l’ordre public.

Elle confirme que l’impact sur les infrastructures critiques et les approvisionnements essentiels en matière sanitaire font partie des critères à prendre en compte pour déterminer si un investissement étranger est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public.

La Commission rappelle également que, dans le cadre du dispositif européen, la responsabilité du contrôle des investissements étrangers incombe aux États membres.

D’une part : le Règlement ne met pas en place un contrôle centralisé à l’échelon européen, à l’image du CFIUS aux États-Unis. Il se limite à un mécanisme d’échange d’informations et de coopération entre les États membres et la Commission pour le filtrage des investissements étrangers au sein de l’Union.

D’autre part : le Règlement ne donne aucun pouvoir de veto à la Commission. C’est aux États membres de prendre les mesures destinées à empêcher, restreindre ou encadrer un investissement pour des raisons de sécurité ou d’ordre public.

En quoi la position de la Commission s’assimile à un déclenchement d’alarme ?

D’abord, parce que la Commission appelle les États membres à faire pleinement usage de leurs mécanismes de contrôle des investissements étrangers et pour ceux qui n’en disposent pas, à mettre en place un mécanisme de contrôle complet et, dans l’intervalle, à utiliser tous les autres outils disponibles (du type golden shares).

La Commission s’affranchit ainsi de la logique de neutralité du Règlement qui consiste à laisser aux États membres le choix de mettre en place ou non un contrôle des investissements étrangers et, le cas échéant, d’en fixer les modalités.

Ensuite, parce que la Commission confirme qu’elle entend jouer un rôle actif au sein du dispositif européen : en utilisant sa capacité à émettre des avis à l’attention des États membres concernés et en centralisant les échanges d’informations entre États membres pour la revue des investissements étrangers.

La Commission rappelle à ce titre :

  • qu’elle entend veiller à la protection des intérêts stratégiques européens, au-delà des intérêts nationaux de chaque État membre ;
  • que les investissements étrangers susceptibles d’affecter des projets ou des programmes d’intérêt européen font l’objet d’un examen plus approfondi de sa part et que les États membres doivent tenir « le plus grand compte » de ses avis ;
  • qu’elle accordera une attention toute particulière aux projets relevant du programme Horizon 2020 liés au secteur de la santé, y compris les projets à venir en réponse à l’épidémie du COVID-19 et ;
  • qu’un investissement étranger réalisé aujourd’hui dans un État membre ne disposant pas d’un mécanisme de filtrage peut faire l’objet d’observations ex-post de la part des autres États membres ou d’un avis de la Commission à compter de l’entrée en application du Règlement et jusqu’à l’issue d’un délai de 15 mois suivant la réalisation de l’investissement.

Enfin, parce que la Commission invitent les États membres à aller au-delà du Règlement en :

  • contrôlant les investissements de portefeuille pouvant avoir une incidence sur la sécurité ou l’ordre public sur la base des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et ;
  • en utilisant les autres mesures de restriction disponibles, afin de garantir notamment la sécurité des approvisionnements et la stabilité financière, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité du droit de l’Union.

Ces recommandations confirment, s’il en était besoin, que le Règlement relève d’un équilibre subtil, susceptible d’évoluer dans le temps, et que la Commission entend bien jouer un rôle de premier plan en matière de contrôle des investissements étrangers et de protection des intérêts stratégiques européens.

 

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