Par Aude Rouyère, professeur de droit public, Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit

Décrets du 25 mars 2020 (n° 2020-314) et du 26 mars 2020 (n° 2020-337) complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 complété par celui du 26 mars 2020 autorise la prescription de l’hydroxychloroquine pour le traitement des personnes atteintes par le Covid-19. Édicté par le Premier ministre, ce texte s’ajoute aux dispositions contenues dans le Code de la Santé Publique (CSP) qui fixent le cadre juridique dans lequel un médicament peut être utilisé pour une indication non couverte par l’autorisation de mise sur le marché qui lui a été attribuée (AMM) (cf. notre contribution précédente).

Quelles sont les apports de ce nouveau cadre juridique de prescription de l’hydroxychloroquine ?

Ce nouveau dispositif s’inscrit dans le cadre de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 qui prévoit dans son article que « le Premier ministre peut, par décret « En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ». Il peut donc en toute légalité déroger à des dispositions législatives en vigueur (art L3131-15 9°CSP).

Les deux décrets qui viennent d’être adoptés énoncent des règles présentées comme dérogeant à l’article L. 5121-8 du CSP qui impose pour tout médicament l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Sont visées par ces règles spécifiques « l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ ritonavir ».

Une première question s’impose pour commencer : le dispositif édicté par ces deux décrets entre-t-il dans le champ d’application de l’article L. 5121-8 du CSP ? On peut fortement en douter puisque l’hydroxychloroquine est déjà commercialisée sous la forme d’un médicament le PLAQUENIL © qui dispose d’une AMM mais pour d’autres indications que le traitement du Covid-19. Or dans cette hypothèse c’est l’article L.5121-12-1 du CSP qui s’applique (Cf. notre précédente contribution).

En d’autres termes, de deux choses l‘une. Soit le Premier ministre souhaite par ces décrets, faisant référence à une disposition en réalité non applicable au cas de figure concernant la prescription de PLAQUENIL©, ménager la voie de l’article L.5121-12-1 du CSP qui demeurerait donc applicable à la démarche thérapeutique engagée avec à Marseille. Soit, c’est une erreur de référence, et on doit comprendre que ces décrets visent en réalité à déroger à cet article L.5121-12-1 du CSP, et privent donc de support légal la pratique initiée par le Professeur Didier Raoult. Il ne nous appartient pas de trancher cette interrogation préalable et majeure. Et on partira donc de l’hypothèse selon laquelle cette erreur s’inscrit dans une volonté de faire coexister les deux dispositifs. Même si cela heurte quelque peu la logique juridique.

Ces médicaments peuvent être « prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge». Ils peuvent également l’être pour la poursuite de leur traitement sur autorisation du prescripteur initial, à domicile ».

L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM) qui est en principe compétente pour délivrer l’AMM se voit ici chargée « d’élaborer un protocole d’utilisation thérapeutique à l’attention des professionnels de santé et d’établir les modalités d’une information adaptée à l’attention des patients ». Soit une sorte de recommandation temporaire d’utilisation (RTU) comme celle qui est prévue lorsqu’un médicament est utilisé hors de l’indication fixée par l’AMM dont il est doté (art. L. 5121-12-1 du CSP).

Ces règles, initialement édictées sans autre condition par le décret n° 2020-314 du 25 mars, ont ensuite été complétées par le second décret n° 2020-337 du 26 mars qui encadré et limite cette possibilité de prescription. Cette succession de textes en dit long sur les difficultés qui pèsent sur le choix que le gouvernement tente d’effectuer.

Il est ainsi précisé que ces prescriptions interviennent, « après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ». Cette adjonction au texte initial appelle deux remarques.

D’une part, il est clairement prêté aux recommandations du HCSP une capacité à peser sur les comportements des acteurs de santé. Cette influence et les effets notables qu’elle induit, consacrée juridiquement pour des autorités de régulation en application de la célèbre jurisprudence Fairvesta et ses suites (CE, ass., 21 mars 2016, n° 368082, voir également pour une recommandation de la Haute Autorité de Santé CE 21-10-2019, n° 419996 ) pourrait avoir des conséquences au plan contentieux. C’est-à-dire, à n’en pas douter, une possible mise en jeu de la responsabilité de l’instance qui produit les recommandations ou avis (CE 31 mars 2003 Bergaderm, n° 188833) mais aussi, peut-être un contrôle de légalité.

D’autre part, on doit évidemment souligner que la réserve de cette prescription à l’indication visant les patients se trouvant à un stade très avancé de la maladie est problématique. En effet, l’équipe du CHU de Marseille utilise et même préconise l’utilisation de cette molécule – associée à l’azithromycine – pour des patients porteurs d’une charge virale importante donc bien avant les complications ici mentionnées. Il s’agit donc de savoir si ce nouveau dispositif l’en exclue.

La démarche thérapeutique engagée par l’équipe de l’IHU dirigée par le professeur Didier Raoult relève-t-elle de ce nouveau dispositif ?

C’est évidemment la première question que l‘on se pose à la lecture de ce nouveau texte. S’agit-il de donner un cadre juridique au parti pris thérapeutique marseillais (qui semble être pratiqué également ailleurs) ? Et donc par là même d’en limiter les modalités en le réservant à une catégorie de patients ? Et si tel est le cas, l’objectif est-il atteint ?

Pour répondre à cette question il faut prendre en compte d’une part, le traitement visé et d’autre part ses conditions d’administration.

En ce qui concerne le traitement visé, sont mentionnés l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ ritonavir. Or le traitement utilisé à Marseille est celui associant l’hydroxychloroquine à l’antibiotique dénommée azithromycine. Et les dernières recommandations du HCSP publiées le 24 mars dernier indiquent comme traitement l’utilisation « d’une molécule à effet antiviral attendu (association fixe lopinavir ritonavir, voire le Remdesivir dans les cas les plus sévères) ou, à défaut de l’hydroxychloroquine ». L’hydroxychloroquine « à défaut » donc, et en tout état de cause non associée.

En outre, les conditions posées par le nouveau dispositif de prescription de l’hydroxychloroquine – dans le respect des recommandations du HCSP et, « en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe »- ne couvrent pas les stratégies thérapeutiques préconisées à Marseille. Il est d’abord indiqué dans les recommandations du HCSP qu’il « n’existe actuellement pas de données permettant d’envisager l’utilisation hors protocole de l’hydroxychloroquine en prophylaxie du Covid-19 ». Puis il est précisé que la prescription de celle-ci ne peut être envisagée que dans le cadre d’une hospitalisation liée à la nécessité d’un recours à l’oxygénothérapie et en présence « de signes de gravité. Situation que le second le décret reprend se référant à « l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ».

Au total, l’association de deux produits utilisée sans que soit atteint le stade d’une hospitalisation est-elle rendue impossible juridiquement ? C’est-à-dire est-elle exclue implicitement mais logiquement par ce texte ? Ou bien est-elle hors du champ d’application de ce texte qui n’en prohibe donc pas l’utilisation dans un autre cadre juridique (celui que nous évoquions dans notre précédente contribution).

Le dispositif qui résulte de ces décrets des 25 et 26 mars est décrit comme intervenant expressément par dérogation à l’article L. 5121-8 du CSP. Même si, comme on l’a indiqué plus haut, il est difficile d’admettre que les prescriptions d’hydroxychloroquine se font sans AMM puisque le médicament commercialisé en est doté. Mais si l’on s’en tient à la lettre du texte, on peut en déduire qu’il ne met pas en échec l’application de l’article L.5121-12-1 du CSP qui vise les applications du médicament dans une indication non prévue par l’AMM dont il dispose. Ce texte reste donc exploitable pour fonder une pratique thérapeutique telle que celle qui est menée à Marseille. Avec évidemment les interrogations qui l’accompagnent en particulier à propos de ces fameuses « données acquises de la science » qui en conditionnent la légalité et qui seront appréciées par le juge lors d’un éventuel futur contentieux.

Il faut toutefois remarquer que le nouveau dispositif de prescription de l’hydroxychloroquine laisse entière cette question des données de référence qui fondent ce choix thérapeutique. En effet, il est bien rappelé que les produits visés «peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin ». Il lui reviendra alors de s’appuyer au moins sur les «connaissances médicales avérées » en vertu des règles générales relatives aux droits de la personne (article L1110-5 du CSP). Le juge sera-t-il incité à appréhender cette notion de «connaissances médicales avérées » avec souplesse en cas de prescription de l’hydroxychloroquine dans le cadre de ce nouveau dispositif parce qu’il est expressément dédié au traitement du Covid-19 ?

Il reste enfin à évoquer une autre question : celle de l’exclusion d’une prescription d’hydroxychloroquine simple ou associée hors du cadre hospitalier. Le nouveau dispositif l’exclue en rappelant que le PLAQUENIL © « dans le respect des indications » de son AMM et « les préparations à base d’hydroxychloroquine » ne peuvent être dispensées par les pharmacies d’officine que dans le cadre d’une prescription initiale émanant exclusivement de médecins spécialistes ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin.

Quel est donc finalement l’apport de ce décret par rapport au cadre juridique dont disposaient déjà les médecins intervenant dans des établissements traitant des patients atteints du Covid-19 ? La reprise en main du cadre juridique de traitement du Covid -19 n’est pas celle des médecins hospitaliers. Ceux-ci demeurent juridiquement en mesure de prendre leur responsabilité de médecins et de choisir d’en répondre le cas échéant plus tard. Tout au plus pourront-ils se sentir sécurisés par ce cadre juridique propre à la situation. S’agit-il pour le gouvernement d’une manière de se prémunir contre une éventuelle mise en jeu de la responsabilité de l’Etat pour faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire ? Sans doute, mais on peut penser que les griefs ne se situeront pas principalement sur le terrain du cadre juridique des prescriptions médicales.

 

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