Par Jean-Pierre Camby – Professeur associé à l’Université de Paris Saclay

Une plainte a été déposée contre Sandrine Rousseau, députée de la 9ème circonscription de Paris, par une de ses adversaires, évincée de l’investiture, au motif que son inscription sur la liste électorale serait irrégulière. En se fondant sur les seules informations disponibles dans la presse, il est reproché à Mme Rousseau une inscription abusive sur les listes électorales applicables à l’élection législative des 12 et 19 juin 2022. La date limite pour déposer une demande d’inscription pour cette élection est le sixième vendredi précédent le scrutin, soit le 6 mai 2022 (code électoral article L 17), tandis que la date d’ouverture des déclarations de candidature est le 16 mai (décret n°2022-648 du 25 avril 2022).

Sandrine Rousseau pouvait-elle se présenter aux élections législatives de juin 2022 ?

Juridiquement, la réponse est indiscutablement positive. Il faut souligner que, s’agissant des élections de députés, le code électoral n’exige aucune condition d’inscription sur les listes électorales de la circonscription (code électoral article LO 127 et Cons. const. 15 févr. 2013, AN Français établis hors de France, 7e circ., no 2012-4754 AN). Les dispositions statutaires actuelles du parti EELV ne comportent pas davantage une telle exigence (« Chaque candidat·e se présente sur la ou les circonscriptions sur laquelle elle ou il souhaite être candidat·e, dans une limite fixée par le Conseil fédéral avant le début du processus, et sur une liste correspondant à l’orientation politique qu’elle ou il souhaite défendre » règlement intérieur III-2-3).

Il ne s’agit pas ici d’une élection locale, où il faut faire la preuve de l’inscription sur une liste électorale de la circonscription ou de la collectivité intéressée et où, à défaut d’une telle preuve, l’intéressé est privé de candidature, ce qui fut le cas pour Jean-Marie le Pen (Conseil d’État, 16 février 2005, N° 266322, élections régionales PACA). Pour être candidat à une élection de député, il suffit d’être inscrit sur une liste électorale : une inscription dans une autre circonscription n’empêche pas la candidature.

C’est donc pour une raison politique que Mme Rousseau, candidate en 2017 dans le Nord, a décidé de se faire inscrire en 2022 dans la circonscription où elle souhaite candidater : paraître plus proche des électeurs, s’engager dans la vie de la circonscription, et éviter un procès en « parachutage », quitte à subir, sur le même registre, une accusation de « tourisme électoral ».

Mme Rousseau a indiqué dans l’émission complément d’enquête diffusée sur France 2 le 13 avril 2023 : « les listes électorales se terminant le 4 mars oui, j’ai misé sur cette sous-location pour m’installer dans le XIIIe », puis dans la même émission : « il était question que je prenne cet appartementelle (l’occupante) n’est pas partie et j’ai trouvé un autre appartement… mea-culpa ». Or, cette date butoir d’inscription du 4 mars ne vaut que pour voter à l’élection présidentielle. L’inscription, selon cette émission, est faite au vu d’une attestation d’assurance. Mme Rousseau réside dans la circonscription en vertu d’un bail signé le 14 avril, lequel ne peut donc justifier une inscription à une date antérieure. C’est à la date où elle est acceptée, au vu des documents fournis, que la régularité de l’inscription est appréciée.

Pourquoi les conditions d’inscription sur la liste électorale sont-elles juridiquement contestables ?

Les listes sont établies pour chaque bureau de vote à partir de la liste de la commune elle-même extraite du répertoire électoral unique. Les conditions d’inscription sont prévues par la loi. En particulier, « sont inscrits sur la liste électorale de la commune, sur leur demande …1o Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune… » (code électoral article L 11). Cette possibilité permet de s’inscrire sans condition de durée d’habitation, exigée en revanche lorsque l’on s’inscrit au titre de la résidence (Cass. Civ. 2e, 11 mars 1998, no 98-60.255 P). Un électeur peut ainsi se faire inscrire sitôt un déménagement opéré, à condition d’apporter des preuves suffisantes de la réalité de la domiciliation. Il ne suffit pas d’une adresse mais, en application de l’article 102 du code civil, de conditions d’établissement physiques prouvant une habitation effective et un « caractère de stabilité suffisant » (CE 27 mai 2016 n° 395414).

Il est ainsi reproché à Mme Sandrine Rousseau d’avoir conclu, mi-avril, un accord de complaisance, ne répondant pas à l’exigence d’une domiciliation réelle, irrégulièrement attestée, selon la même émission télévisée largement reprise par la presse, par un simple document d’assurance. Les preuves de la réalité de l’habitation auraient dû être apportées au moment de l’inscription. La jurisprudence en la matière est rigoureuse. En contrepartie, c’est au requérant qu’il incombe d’apporter tous les éléments nécessaires pour étayer la contestation, notamment en contestant les pièces fournies à l’appui d’une demande d’inscription. En l’espèce, l’émission télévisée comporte de tels éléments.

Quelle est la nature juridique de cette plainte ?

Il peut arriver que des maires, qui disposent d’un délai de cinq jours pour refuser une inscription irrégulière (article L 18 du code électoral), soient ainsi très peu regardants, pour se contenter de cet euphémisme, sur les inscriptions auxquelles ils sont par ailleurs politiquement favorables (R Rambaud AJDA 2019, 2265),  même si la jurisprudence administrative a été sensiblement renforcée après les élections municipales, les plus propices à des inscriptions irrégulières, voire frauduleuses (CE 27 mars 2023 n° 473736 : « la tenue de la liste électorale et des documents s’y rapportant, ainsi que leur communication, incombent au maire en sa qualité d’agent de l’Etat » ). Les contrôles contentieux sont très peu utilisés, alors que la question est particulièrement sensible. Il arrive que les litiges soient portés devant le juge judiciaire avant l’élection ou au moment de la communication obligatoire des listes, par recours dit « de tiers électeur » dans des délais et procédures strictes, ou encore par constatation d’une inscription ou radiation par l’intéressé. Le juge de l’élection ne statue sur les inscriptions qu’en cas de manœuvre ou d’erreur administrative d’inscription, ce qui n’a pas ici été le cas, et sa jurisprudence est alors des plus restrictives.

Ce ne sont pas ces voies contentieuses qui ont été choisies : la plainte ne consiste donc pas à contester l’élection. Mais, plus rare, il s’agit d’une plainte pénale. Le code électoral comporte en effet plusieurs dispositions pénales, dont l’article L 88 qui, vise « ceux qui, à l’aide de déclarations frauduleuses ou de faux certificats, se seront fait inscrire ou auront tenté de se faire inscrire indûment sur une liste électorale » et leurs complices. Ce dispositif est plus directement mobilisable par tout inscrit sur la liste électorale concernée (Cass crim.  10 mars 1987 n° 84-94.047) que d’autres dispositions, comme les articles L 86 qui vise de fausses qualités d’inscription ou l’article L 88-1 qui réprime l’acte de candidature sous de faux noms ou qualités, circonstance qui peut donner lieu à annulation d’élection (Conseil constitutionnel, 28 janvier 2022, n° 2021-5726 AN Paris 15e circ.), ce qui n’exclut pas ensuite des poursuites au pénal. En outre, le code pénal lui-même incrimine le faux et usage de faux (article 441-4) notamment à usage électoral, ce qui est de nature à nuire à la sincérité du scrutin (Cass. crim. 2 octobre 2001, n° 01-80.334, n° 6109 F-P+F).

Quels sont les peines encourues et qu’en est-il, au stade de l’instruction, de l’immunité parlementaire ?

S’agissant par exemple de l’application de l’article L. 88 du code électoral, il s’agit d’une peine de prison et une amende, mais aussi par renvoi (article L 107) l’interdiction des droits civiques mentionnés aux 1o et 2o de l’article 131-26 du code pénal, ainsi que l’inéligibilité prévue à l’article 131-26-1 du même code. La même privation des droits civiques est encourue dans le code pénal (article 441-10). Née d’un processus électoral, la plainte pénale, si elle prospère, peut donc aboutir à une sanction de type électoral. Il n’était pas possible d’obtenir le même résultat devant le juge de l’élection qui aurait certes décidé plus vite mais aurait seulement statué sur une manœuvre. Il est vrai que de plus en plus de requérants, déçus par la mansuétude du juge électoral, ont tendance à se tourner vers le juge pénal.

Dès lors que le magistrat instructeur estimerait nécessaire de recourir à une mesure restrictive de libertés, par exemple une garde à vue de la députée, il devrait demander une levée d’immunité parlementaire, qui n’est jamais refusée lorsque la demande correspond à un manquement grave relevant du droit commun et qu’elle est jugée nécessaire à l’instruction. Mais il faut ici rappeler que si la stratégie politique y conduit souvent, l’affirmation médiatique de la volonté du parlementaire concerné de voir son immunité levée ou de ne pas s’en prévaloir ne joue aucun rôle juridique dans la décision, qui relève des seules instances parlementaires. L’immunité est statutaire et sa levée ne dépend pas de la volonté de celui ou celle qu’elle protège.