Par Jean-Jacques Urvoas – ancien garde des Sceaux – professeur en droit public à l’Université de Brest
Le 6 février prochain, une motion référendaire déposée par le RN sera discutée en ouverture des débats sur le projet de loi réformant les retraites. L’initiative a suscité une polémique car la NUPES avait son propre texte qui fut écarté à l’issue d’un tirage au sort.

Qu’est-ce qu’une motion référendaire ?

C’est une prérogative constitutionnelle des parlementaires. L’article 11 de la Constitution dispose en effet que les deux assemblées peuvent par « une proposition conjointe » soumettre au président de la République l’organisation d’un référendum sur un objet mentionné dans son premier alinéa. Une telle initiative nécessite donc un accord préalable entre l’Assemblée nationale et le Sénat qui doivent en avoir délibérés.

La motion référendaire est le moyen matériel de constater cette volonté commune. Concrètement, les deux règlements prévoient (art. 122 pour l’Assemblée, art. 67 pour le Sénat) les modalités de dépôts, de présentation et de vote de cette motion. Au Palais Bourbon, « un dixième au moins » des députés est nécessaire quant au Palais du Luxembourg « trente membres au moins » sont requis.

Leur éventuelle adoption n’a cependant comme seule conséquence que de saisir le chef de l’Etat auquel appartient seul la décision de convoquer un référendum. Dans la Ve République, l’appel à la démocratie directe est un apanage de l’exécutif. D’ailleurs, l’architecture de la Constitution le souligne puisque l’article 11 qui en fixe le cadre est intégré dans le titre II consacré au président de la République et non dans le titre I dédié à la souveraineté.

Plusieurs motions référendaires peuvent-elles être déposées par des groupes parlementaires différents ? Que prévoit le règlement de l’Assemblée à ce sujet ?

Les trois articles que le Règlement de l’Assemblée consacre aux « propositions de référendum » (art. 122, 123 et 124) sont loin d’être aussi précis que ceux qui organisent les modalités de travaux des commissions ou la procédure de discussion des lois organiques.

Ainsi il est bien indiqué « qu’il ne peut être présenté qu’une seule motion » mais rien n’est dit sur la manière de choisir cette dernière quand plusieurs textes correspondant aux critères de recevabilités sont déposés. Et de fait, le cas ne s’était jamais produit avant que le 23 janvier dernier, André Chassaigne président du groupe communiste agissant au nom de l’intergroupe de la NUPES ne dépose une motion, suivi le lendemain d’une démarche identique du RN. Confrontée au silence du texte et privée de précédent, la présidente de l’Assemblée nationale a saisi la conférence des présidents (composée des présidents des groupes et des commissions permanentes) de la difficulté. A la suite d’un vote, le choix s’est fait par un tirage au sort au bénéfice du RN, suscitant immédiatement les protestations des groupes de gauche.

Cette polémique est logique puisqu’il s’agit d’inventer une règle face à l’événement. Elle est aussi utile puisqu’elle révèle des carences dans le règlement de l’Assemblée qu’il sera judicieux de combler quand l’occasion se présentera. Incidemment, le Sénat pourra s’en inspirer car son article 46 n’est pas plus explicite.

La conférence des présidents était-elle habilitée à décider ? C’est même sa vocation puisqu’elle est chargée de l’organisation de la discussion des textes. La décision du tirage au sort est-elle condamnable ? Évidemment pas. Cette pratique est déjà utilisée quand deux groupes déposent une motion de rejet préalable sans aucune contestation. Pourtant elle n’apparaît pas dans l’alinéa 5 de l’article 91 du règlement qui fixe le cadre des débats dans l’hémicycle.

Le groupe de La France Insoumise avance qu’il aurait été légitime de prendre exemple sur la pratique suivie en cas de dépôts de plusieurs motions de censure, c’est-à-dire que la date d’enregistrement serve de référence. La suggestion est fragilisée par le fait que le règlement n’impose pas de restriction dans la discussion de ces initiatives. Dès lors, comme chaque motion sera discutée, la date ne sert que pour définir un ordre dans les débats.

Au demeurant, d’autres zones d’ombres existent dans ces trois articles. Par exemple, qui apprécie la recevabilité matérielle de la motion ? En effet, si la Constitution ouvre la possibilité d’un référendum sur les domaines mentionnés par l’article 11, et sans en référer à la controverse de 1962 sur la définition exacte de ceux-ci, il n’est pas exclu que demain ce périmètre devienne source de tension. Ainsi lors d’un débat au Sénat sur une motion référendaire le 18 décembre 1997, le rapporteur de la commission des lois Patrice Gélard avait soutenu que « toute demande référendaire était toujours recevable, car le Président de la République restait maître de sa décision » ! En 2012, c’est le groupe socialiste qui défendit une motion contre la loi de finances rectificative, son orateur principal qui présidait aussi le groupe indiquant qu’il « utilisait une procédure exceptionnelle pour témoigner de notre volonté d’alerter les Français sur un nouveau projet d’augmentation de la TVA ». Dans les deux cas, la raison avait suffi à apporter des arguments rejetant les approches excessives mais il n’est pas exclu que cette ressource soit en voie d’extinction.

De même, le flou entoure les modalités de mise aux voix de la motion. Dans les cas les plus récents, un scrutin public fut organisé. Mais si demain, un président de séance décidait de s’en tenir à un vote à main levée ?

Cet outil parlementaire a-t-il déjà été utilisé ?

S’il est moins connu et son usage moins codifié, c’est en raison de la rareté de son emploi. Ainsi depuis 1958, seules 8 motions furent déposées et toutes rejetées par l’Assemblée. La première concernait le projet de retour à la représentation proportionnelle discutée le 24 avril 1985, puis le 6 février 2008 sur la ratification du traité de Lisbonne, le 20 mai 2008 sur un projet de loi très controversé portant sur les OGM, le 13 janvier 2009 sur une loi organique tirant les conséquences de la révision constitutionnelle conduite en 2008, le 12 janvier 2010 sur le statut de la Poste, le 14 février 2012 sur la loi de finances rectificative, le 30 janvier 2013 sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et enfin le 17 février 2020 sur le premier projet de réforme des retraites.

Parallèlement l’Assemblée fut saisie de quatre motions adoptées par le Sénat et qu’il lui appartenait donc d’étudier. Toutes furent rejetées : celle portant sur le projet « Savary » sur l’enseignement privé le 6 juillet 1984, celle sur la loi « Joxe » décidant du retour à la représentation proportionnelle pour les élections législatives le 20 juin 1985, celle sur un projet de loi portée par la garde des Sceaux Elisabeth Guigou sur la nationalité le 18 décembre 1997 et enfin celle portant sur la nouvelle délimitation des régions le 2 juillet 2014.

Au total, le Sénat a enregistré 11 motions référendaires et en a discuté 10, l’une ayant été déclarée irrecevable.

Pourquoi les oppositions utilisent-elles ces motions si elles savent par avance qu’elles n’aboutiront pas ?

Le but des oppositions est de faire pénétrer dans les hémicycles les inquiétudes, les craintes et les morosités qui minent la société française. Comme elles connaissent la crise de confiance qui noircit les relations entre les élus et les institutions, elles cherchent tous les moyens de satisfaire les demandes d’une démocratie de participation.

Dans le cas d’espèce, l’occasion est belle. D’une part, les enquêtes d’opinion ne cessent de souligner l’hostilité au projet gouvernemental et d’autre part, le chef de l’Etat interrogé durant la campagne électorale le 11 avril sur ses intentions de réforme des retraites et sur l’opportunité d’en appeler à un référendum avait répondu « je ne l’exclus pas pour quelque réforme que ce soit ». Sans doute les oppositions se disent-elles que le sort réservé par la majorité à leurs motions référendaires permettra de vérifier le proverbe « C’est au pied du mur qu’on connaît le maçon ».

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