Par Marie-Anne Gallot Le Lorier, avocat honoraire – médiation, et Maud Neukirch de Maistre, médiateur conventionnel et judiciaire

Il va nous falloir à nous tous : avocats, magistrats professeurs de droit, juristes d’entreprise et médiateurs autant d’’énergie que d’inventivité pour relancer, après cette crise sanitaire sans précèdent, la vie économique de notre pays dans de bonnes conditions.

Les Tribunaux ne pourront faire face au défi immense qui va se présenter à eux seuls. Rattraper à la fois le retard considérable des dossiers en cours tout en faisant face aux nouveaux litiges qui ne manqueront pas d’être engendrés par l’interprétation, entre autres, des ordonnances du 25 mars 2020 sur les délais de procédure et de prescription face à l’urgence sanitaire.

Dans son interview du 31 mars parue sur le blog du Coronavirus du Club des juristes, le Premier président de la Cour d’appel de Paris Jean-Michel Hayat ne cache pas les difficultés énormes qui attendent les tribunaux et propose dès à présent quelques pistes pour affronter la situation : renforcer le service des référés et le pôle famille, faire en sorte que les barreaux acceptent que la plupart des affaires soit prise en juge rapporteur et relancer la médiation.

« Je veillerai à relancer la médiation. Pourquoi ? Parce que – je l’ai évoqué à l’audience solennelle de la Cour d’Appel en Janvier dernier – 33% des jugements civils font l’objet d’appel. Dans l’ensemble des services civils de la cour d’Appel de Paris lorsqu’on regarde les arrêts rendus par la Cour on dénombre a peu près 75 à 80 % de confirmation y compris des décisions du Conseil de prud’homme et du tribunal de commerce. C’est donc dire que les décisions rendues par les juges du premier degré sont dans l’écrasante majorité confirmée. Aussi l’intérêt de tout le monde, en appel, c’est bien d’envisager de se retourner vers la médiation. »

…« On va devoir trouver ensemble des modes de traitement des affaires pour essayer de rattraper autant que possible le temps perdu. Il faudra forcément accepter les uns et les autres des compromis pour nous permettre de reprendre pied dans un climat où l’on devra pouvoir se parler en confiance pour essayer d’aboutir ensemble. »

L’Université de son côté, sous la plume du professeur Soraya Amrani Mekki, professeure agrégée à l’Université Paris Nanterre, aboutit à la même conclusion dans son article intitulé « La part du droit et de la Justice dans l’angoisse contemporaine – La computation des délais. »

« Il faut cependant être réaliste ces adaptations temporelles n’empêcheront pas une rentrée difficile et la gestion du temps sera particulièrement périlleuse

« C’est la raison pour laquelle le recours à des modes amiables de résolution des différents devient une opportunité. Ils permettront de trouver une solution adaptée à une situation économique inédite qui rappelle que l’application stricte de la règle de droit n’est pas toujours la meilleure solution. On peut être juridiquement gagnant mais économiquement perdant. L’amiable permettra de créer des solutions innovantes sur mesure dans le respect des règles d’ordre public. »

Dans le Monde du Droit, Éric Guerin, Président de la Compagnie des Médiateurs de Justice, plaide de son coté, compte tenu des très lourdes répercussions sur l’économie française de la crise sanitaire, pour la création d’un ministère exceptionnel de la médiation et des médiations de type class action.

Les Barreaux, comme le relève la Présidente du Conseil National des Barreaux, vont aussi devoir saisir rapidement l’opportunité que représente la médiation pour faire face aux graves difficultés économiques provoquées par la crise sanitaire.

Nous savons tous que la médiation inter-entreprises ne se développe pas comme elle le devrait, s’agissant pourtant d’un processus parfaitement adapté au monde des affaires par ses différentes caractéristiques : liberté, sécurité, rapidité, confidentialité et maintien de la relation des parties.

Or, les avocats ne sont pas étrangers à une telle situation : pour ceux qui ne sont pas formés à ce processus la médiation est contraire à leur culture, qui est celle du combat, et conseiller cette voie à leur client marquerait une faiblesse et lui ferait penser qu’il a choisi un avocat peu combatif. Ensuite ils ont tendance, souvent par simple ignorance, à confondre les différents modes amiables de résolution des conflits (conciliation, procédure participative, médiation) et ne savent pas expliquer à leur client l’intérêt de ce mode amiable, qui serait seulement utile à leurs yeux en matière familiale ou sociale. Enfin la médiation leur fait peur économiquement alors que contenter son client s’avère bien au contraire nécessairement profitable puisqu’il le fidélise.

Aujourd’hui si les avocats veulent donc continuer à jouer un rôle de premier plan et exercer efficacement leur mission dans des différends qui trouveront de moins en moins leur dénouement en ayant recours au juge il leur appartient de se réinventer et de repenser leur rôle qu’il s’agisse de l’avocat en qualité de conseil de médié ou de l’avocat médiateur.

Il est urgent en effet maintenant qu’ils recourent (comme les magistrats pour la médiation judiciaire) à la médiation inter-entreprises conventionnelle plus rapide, moins coûteuse et plus souple qu’une procédure judiciaire. Les avocats et les juristes d’entreprise doivent impérativement se familiariser à l’utilisation de ce processus dont ils doivent faire la promotion auprès de leurs clients dirigeants d’entreprise et juristes d’entreprise.

Souhaitons qu’en cette période de confinement, et au-delà, les avocats, les juristes saisissent l’opportunité de cette crise pour recourir en masse à la médiation et aussi par visioconférence, afin de régler sans attendre les litiges dont ils sont saisis ouvrant ainsi largement la voie à ce mode de règlement des conflits.

Cela permettra de trouver une solution adaptée à une situation économique inédite qui rappelle que l’application stricte de la règle de droit n’est pas toujours la meilleure solution.

On peut être juridiquement gagnant mais économiquement perdant.

L’amiable va permettre de créer des solutions sur mesure, innovantes. Le temps judiciaire n’est pas en phase avec le temps des affaires.

La reprise de l’activité judiciaire, toutes juridictions confondues, va nécessiter du temps et les délais déjà trop longs vont devenir déraisonnables.

Décidons d’accorder ensemble largement une place raisonnable à la médiation dans la gestion de la crise.

 

 

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