Le nouveau pacte ferroviaire réformant la SNCF, qui a engendré des grèves majeures en France depuis plusieurs semaines, a été définitivement adopté par le Parlement jeudi 14 juin dernier. Décryptage par Stéphane de La Rosa, Professeur de droit public à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC).

« En même temps qu’elle redessine le paysage ferroviaire français, la loi est censée refléter une approche progressive et mesurée de la concurrence »

 Quelles ont été les principales étapes de la discussion législative sur la loi ferroviaire ?

Après la remise du rapport Spinetta, le gouvernement a présenté à la mi-mars un projet de loi conçu comme une habilitation globale, l’autorisant à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à la réforme ferroviaire, sur le fondement de l’article 38 C . La version définitive réduit sensiblement le périmètre de cette habilitation.

La forte implication du Sénat y est pour beaucoup. Depuis septembre, la Haute assemblée avait en réserve une proposition de loi sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Certaines de ses dispositions pouvaient soulever des doutes quant à leur compatibilité avec les textes européens, en ce qu’elles établissaient un système de concurrence qui imbriquait les services conventionnés (lignes couvertes par des contrats de services publics), relevant du règlement dit « OSP » (obligation de service public, n° 1370/2007), et les lignes ouvertes à l’accès libre au réseau, défini par la directive 2016/2370. Fin mars, l’adoption en première lecture de cette proposition a contraint le gouvernement à contenir son projet de réforme à grande vitesse. Il s’est résolu à amender son propre texte et à ne pas uniquement procéder par ordonnances.

En permettant des arbitrages par la discussion législative, un travail fin a été mené par les deux rapporteurs, J-B. Djebbari à l’Assemblée nationale et Gérard Cornu au Sénat. D’importantes modifications, souvent issues d’amendements sénatoriaux, ont été introduites et validées le 11 juin dernier par la commission mixte paritaire, ouvrant la voie à l’adoption définitive de la loi le 14 juin.

Au cours de la procédure, les débats ont essentiellement porté sur la nature groupe public ferroviaire ; la reprise de la dette et la trajectoire de désendettement ; l’abandon du statut du personnel et ses conséquences en cas d’attribution de lignes à de nouveaux opérateurs ; les pouvoirs du régulateur (l’ARAFER). Au centre du 4ème paquet ferroviaire européen, le principe de l’ouverture à la concurrence n’a jamais été écarté. Les modalités en seront très différentes selon que les lignes seront conventionnées et feront l’objet d’un contrat de service public (TER, trains d’équilibre, voire des liaisons TGV desservant des petites villes) ou qu’elles seront hors conventionnement et régies selon un principe de liberté d’accès au réseau, transparent et non discriminatoire (par ex, de nouveaux opérateurs sur une liaison Paris / Lyon).

La loi bouleverse-t-elle le transport ferroviaire de voyageurs en France ?

Il faudra moins de cinq ans pour que les usagers en mesurent les conséquences concrètes.

La SNCF abandonne son statut d’EPIC (établissement public industriel et commercial) et devient, à compter du 1er janvier 2020, une SA détenue exclusivement par l’État, relevant du code du commerce et structurée en deux filiales autonomes, SNCF réseau (gestionnaire de l’infrastructure) et SNCF mobilités (opérateur). Chacune d’elles, ayant aussi le statut de SA, pourra voire devra filialiser (ainsi les gares et infrastructures, gérées par une filiale spécifique de SNCF réseau). Ce changement organisationnel s’accompagne d’un abandon du statut des cheminots, avec la fin des recrutements sur son fondement à la même date. Le monopole légal de la SNCF cesse d’exister, dès lors qu’elle ne dispose plus du droit exclusif pour conventionner avec les régions ou avec l’État, agissant en qualité d’autorités organisatrices de transport (AOT). À partir du 3 décembre 2019, l’attribution de services de transport ferroviaire pourra être réalisée par des appels d’offres (sur un modèle proche des marchés publics). Cette faculté sera une obligation à compter de 2023.

En même temps qu’elle redessine le paysage ferroviaire français, la loi est censée refléter une approche progressive et mesurée de la concurrence.

Plusieurs amendements ont été conçus et présentés comme des tempéraments à l’approche libérale qui ressortait du rapport Spinetta. La SNCF est une SA avec une organisation singulière. Définie comme une « entreprise nationale » et « un groupe public unifié », son capital, incessible, est exclusivement public et elle exerce ses missions conformément aux principes du service public (dont le contenu et la portée seront à préciser). Un niveau plafond d’endettement, impératif en 2027, sera introduit dans ses statuts. En cas de transfert d’une ligne auprès d’un nouvel opérateur, ses salariés bénéficieront des mêmes garanties que celles contenues dans leur contrat, conformément au code du travail. Ils pourront également refuser le transfert et une offre de travail sur un emploi équivalent sera proposée. Pour éviter une désorganisation du réseau et des dessertes, des modulations sont aussi introduites. Ainsi, le droit d’accès des opérateurs et les demandes de sillon (essentiellement TGV) peuvent être limités par l’ARAFER si l’équilibre économique d’un contrat de service public est en cause. Également, le montant du péage (la redevance due pour utiliser le réseau) peut être modulé pour tenir compte de l’aménagement du territoire et des déséquilibres. Il pourra en résulter des tarifications différenciées selon les lignes, leur localisation et leur fréquentation.

La réforme ferroviaire est-elle achevée ?

La loi « pacte ferroviaire » n’est certainement pas une fin. Elle pose les jalons d’une transformation du transport ferroviaire de voyageurs et du droit qui lui est applicable. Sa portée concrète dépend de nombreuses clarifications juridiques, qui doivent intervenir dans les prochains mois.

Le recours aux ordonnances est prévu dans huit domaines essentiels, tels que la transposition des aspects techniques du 4e parquet ferroviaire (licence, interopérabilité, guichets communs), les modalités de transformation de la SNCF en SA, le calcul de la redevance et surtout les règles et les procédures applicables aux futurs contrats (marchés publics ou concessions) pour les liaisons conventionnées. C’est un point de vigilance particulier pour les nouveaux entrants.

Dans la mesure où la loi ne contient pas de dispositions spécifiques sur l’aménagement du territoire ni sur l’articulation du ferroviaire avec les autres modes de transports, elle doit être précisée par la future loi d’orientation sur les mobilités (LOM). Ce sera un complément indispensable si l’on veut éviter une réforme désincarnée par rapport à la réalité humaine et sociale des différentes mobilités. La discussion de la LOM devra clarifier la qualification des dessertes de services publics et le devenir des lignes régionales dites secondaires, souvent déficitaires. Pour les préserver, un système dérogatoire pour la gestion de ces réseaux sera peut-être à envisager

Le volet social est également central. Si, formellement, l’adoption d’une nouvelle convention collective ferroviaire n’est pas une conséquence directe de la loi (elle est engagée depuis la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire), sa négociation prend une autre dimension avec la fin du statut SNCF. Dans la définition d’un cadre social commun à l’ensemble des opérateurs du rail, il s’agira de voir si les acquis inhérents à celui-ci (sur les salaires, le temps de travail, la pénibilité, la médecine, l’exercice des droits collectifs) seront étendus à l’ensemble de la branche. Les oppositions risquent certainement de perdurer entre les syndicats, d’une part, et les employeurs réunis dans le cadre de l’UTP (union des transports publics et ferroviaires).

Enfin, la portée de certaines dispositions de la loi devra être précisée dans la pratique, par exemple les cas d’exclusion de la concurrence (opérateur dédié, lignes complexes), l’accès à l’information et aux données pour les nouveaux entrants ou encore le principe d’incessibilité du capital public de la SNCF.

Autant d’enjeux et de questions pendantes qui montrent que le train de la réforme ferroviaire est un train pas comme les autres.

Par Stéphane de La Rosa