Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université de Paris

Le législateur a voté une loi en 2018 qui devait rééquilibrer la relation entre les agriculteurs et les centrales d’achat et garantir aux premiers des prix équitables. L’objectif n’a pas été atteint, ce qui conduit à remettre l’ouvrage sur le métier.

Pourquoi revenir sur la question du revenu des agriculteurs ?

Le revenu des agriculteurs s’est constamment dégradé. Selon une étude de l’INSEE de 2017, 19% des agriculteurs déclarent un revenu nul ou déficitaire. Même si ce n’est pas la seule explication, on dénombre 605 suicides par an parmi les assurés du régime agricole. Il faudrait être insensible pour s’en réjouir ou même ne pas s’en préoccuper. Dans un système libéral, les prix sont fixés par le jeu de l’offre et de la demande. Mais, ces règles sont faussées quand l’offre de produits est éclatée tandis que la demande des grandes surfaces est concentrée : les quatre premières centrales d’achat concentrent 92% des ventes. Entre les agriculteurs et les centrales, il y a les 15 000 entreprises de transformation. Selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, pour 100 euros dépensés par le consommateur dans l’alimentation, 6 euros seulement finissent dans la poche de l’agriculteur.

Le Parlement s’est préoccupé de la question en votant la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim). Pour renforcer la force de négociation des agriculteurs, la loi a voulu accentuer leur regroupement dans des interprofessions. Cette loi a également posé la règle selon laquelle le prix du produit agricole est calculé à partir des coûts de production présentés par l’agriculteur (ou son interprofession). Mais en 2019, une commission d’enquête constituée pour se pencher sur les pratiques de la grande distribution, a constaté que les choses n’ont pas beaucoup changé.

Quels étaient les points clés de la loi Egalim ?

Outre le renforcement des interprofessions, la loi Egalim fixe les règles de détermination du prix, rencontre de l’offre et de la demande : « la conclusion d’un contrat de vente écrit relatif à la cession à leur premier acheteur de produits agricoles (…) est précédée d’une proposition du producteur agricole » (art. L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime). Le législateur espérait qu’en se plaçant d’abord du côté de l’offre (l’agriculteur fait une proposition qui lui permet de gagner sa vie), les intérêts des agriculteurs seraient mieux garantis.

La loi a également prévu que lorsque le contrat de vente de produits agricoles est conclu par écrit, ce contrat comporte un certain nombre de clauses obligatoires relatives notamment aux prix ou aux critères et modalités de détermination et de révision du prix et à la durée du contrat ou de l’accord-cadre (art. L. 631-24). Autre apport de la loi : le prix fixé par la contrat doit prendre en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts, un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère l’acheteur et à l’évolution de ces prix ainsi qu’un ou plusieurs indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l’origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges.

Dans un rapport remis au gouvernement en mars dernier, M. Serge Papin relevait que la loi Egalim insuffisamment coercitive n’a pas atteint ses objectifs. Sans abandonner les principes inscrits dans la loi de 2018, il propose donc d’en renforcer la portée. Sa principale recommandation est de « garantir la « marche en avant du prix » dans un cadre pluriannuel : le contrat entre l’agriculteur et le premier transformateur doit devenir le fil conducteur de la négociation ».

Le député Gregory Besson-Moreau et plusieurs de ses collègues du groupe LREM ont déposé une proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (proposition n°4134). La proposition reprend l’essentiel des suggestions du rapport Papin.

Quelles sont les principales propositions pour garantir aux agriculteurs un prix équitable ?

Outre l’article relatif à la date d’entrée en vigueur des dispositions, la proposition comporte cinq articles.

Tout d’abord, le projet de loi souhaite renforcer la portée des contrats de vente de produits agricoles qui devront avoir une durée minimale de trois ans et devront être écrits. Pour l’instant, la contractualisation écrite est variable selon les filières. Cette obligation est assortie de certaines exceptions comme la vente directe aux consommateurs. Il sera également possible de déroger à ces exigences pour certains produits si un accord interprofessionnel étendu ou un décret le décident. Dans le contrat sera inséré une clause de révision automatique, à la hausse ou à la baisse selon les variations des matières premières agricoles. L’objectif est de garantir une relation contractuelle de long terme.

Dans un souci de transparence sur le coût d’achat des produits agricoles, et en vertu d’un nouvel article L. 441-1-1 du code rural, les matières premières agricoles utilisées et leur prix d’achat devront figurer dans les conditions générales de vente.

Les députés auteurs de la proposition de loi souhaitent également la création d’un comité de règlement des différends commerciaux agricoles (MRCA) qui devra être saisi lorsque la médiation devant le médiateur des relations commerciales agricoles a échoué. Ce comité serait doté du pouvoir de prononcer des injonctions, assorties d’astreintes. Il pourra prononcer des mesures conservatoires applicables jusqu’à la conclusion du contrat de vente ou lorsque des difficultés surgissent dans l’exécution d’un contrat.

Les députés souhaitent également rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour les produits agricoles et alimentaires lorsqu’il existe un lien avéré entre les propriétés du produit et son origine (art. L. 412-4 du code de la consommation). Pour l’instant, cette obligation existe pour certains produits, par exemple, la viande bovine. Le législateur subordonne l’obligation de l’indication de la provenance à la notion de lien avéré pour tenir compte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui répondait à une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat. La société Lactalis avait contesté le décret rendant obligatoire l’indication de la provenance du lait et du lait et viandes utilisés en tant qu’ingrédient dans les denrées alimentaires préemballées. Interprétant un règlement de 2011, la Cour de justice a jugé que cette indication n’était régulière que s’il y avait un « lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance » (CJUE 1er octobre 2020). Cette réponse a conduit le Conseil d’Etat à annuler le décret attaqué par Lactalis (CE 21 octobre 2019).

Enfin, la proposition de loi souhaite soumettre à autorisation administrative, la publicité hors magasin sur les opérations de dégagement. Une opération de dégagement est une opération promotionnelle visant à écouler une surproduction de produits alimentaires (art. L. 122-24 du code de la consommation).

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