Par Sébastien Mabile, Avocat au Barreau de Paris (Seattle Avocats), docteur en droit, chargé d’enseignement à Sciences Po, membre de la commission environnement du Club des Juristes

La réforme de la justice environnementale, engagée par la loi du 24 décembre 2020 qui a créé des « pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement », sera-t-elle gâchée par le manque d’ambition du titre VI du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique ?

Pourquoi créer de nouvelles incriminations environnementales ?

La création d’un délit général d’atteinte à l’environnement et d’un délit de mise en danger de l’environnement figuraient parmi les recommandations de la mission d’inspection conjointe IGJ/CGEDD au sein du rapport « une justice pour l’environnement » d’octobre 2019. Leurs auteurs soulignaient que « le droit pénal de l’environnement se caractérise par un faible nombre d’incriminations généralistes et autonomes tandis que les infractions spéciales par renvoi sont nombreuses », justifiant la création d’un délit général de pollution, également appelée de ses vœux par la Conférence nationale des procureurs de la République. La mission recommandait également de créer un délit de mise en danger de l’environnement qui « permettrait ainsi d’assurer une forme de prévention pour éviter que des dommages écologiques irréversibles ne se produisent ».

Quels sont les éléments constitutifs du projet de délit de mise en danger de l’environnement ?

En premier lieu, le texte soumis à l’Assemblée adopté par la Commission spéciale crée un délit de mise en danger de l’environnement dans les situations de non-respect des missions et des obligations de l’administration. La sanction du non-respect de ces obligations est actuellement déjà aggravée à l’article L.173-3 du code de l’environnement lorsque les faits « ont porté gravement atteinte à la santé ou la sécurité des personnes ou provoqué une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ». Elle le sera davantage lorsqu’ils « exposent directement la faune, la flore, ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable ». Les atteintes « graves et durables » sont entendues comme celles « susceptibles de durer au moins dix ans ».

Le champ d’application de ce délit de mise en danger de l’environnement sera donc subordonné à ce que les faits poursuivis soient soumis à un régime de déclaration, d’autorisation ou de dérogation, ainsi qu’à la caractérisation d’un non-respect d’une mesure individuelle de l’administration (fermeture, suspension, remise en état, interdiction, mise en demeure, etc.). Son efficacité sera donc conditionnée au renforcement des effectifs et des contrôles administratifs, inspection des installations classées ou police de l’eau, seules susceptibles de caractériser le non-respect de telles prescriptions. Or, la mission d’information sur l’incendie de Lubrizol avait révélé qu’ « au cours des dix dernières années, les contrôles de sites classés effectués par l’inspection sont tombés de 25 000 à 18 000 par an ». Mais, surtout, l’infraction pourra être caractérisée seulement si les atteintes à l’environnement que le comportement délictueux aurait pu provoquer sont « susceptibles de durer au moins dix ans ». Sont ici visées les seules atteintes aux milieux aquatiques, à la faune et à la flore, dont les effets prévisibles dans le temps seront extrêmement difficiles à caractériser, d’autant plus que le dommage ne se sera pas produit. Les sols n’étant pas visés parmi la catégorie des intérêts protégés, il sera nécessaire, en matière de stockage irrégulier de déchets, de caractériser une atteinte supplémentaire à l’eau, à la faune ou à la flore, compliquant encore le travail des enquêteurs.

Cette rédaction est à la fois juridiquement contestable, car possiblement contraire à l’objectif à valeur constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pénale, et scientifiquement inadaptée. En raison du fort pouvoir de dilution des milieux aquatiques, il sera extrêmement difficile de démontrer que les effets d’une pollution, qui n’est pas survenue, auront été susceptibles de produire leurs effets sur une durée « d’au moins 10 ans ». Cette exigence fera naître des débats sans fin et aboutira nécessairement à de nombreuses relaxes, faute pour les parquets d’être en mesure de démontrer la persistance d’un dommage qui n’est pas survenu… Il aurait été à la fois plus simple et plus cohérent de reprendre le terme de « dégradation substantielle » figurant déjà à l’article L.173-3 du code de l’environnement et de renoncer à tout seuil temporel.

La reconnaissance d’un délit d’écocide constitue-t-elle une avancée ?

Le délit général d’atteinte à l’environnement, rehaussé au rang « d’écocide » lorsque les faits sont commis intentionnellement, rate tout autant sa cible. Alors que cette réforme aurait permis de remplacer de nombreuses infractions spéciales par un délit général, dont la gradation du quantum des peines serait en cohérence avec celle de l’élément moral de l’infraction, le gouvernement a fait le choix de la complexité : trois nouvelles incriminations sont créées sans qu’aucune ne soit remplacée.

En premier lieu, le texte rehausse le quantum de l’amende encourue en cas de non-respect des obligations de l’administration selon que le prévenu aura provoqué une « dégradation substantielle de l’environnement » (L.173-3 I.) ou une « atteinte grave et durable » (nouveau L.173-3 II). La nuance ne sera pas toujours facile à déterminer.

En second lieu, le texte crée un délit général d’atteintes aux milieux physiques (nouveau L.231-1) qui consiste en réalité à aggraver les peines du délit non intentionnel de pollution des eaux (délit déjà prévu à l’article L.216-6 et à l’article L.432-2 lorsque la faune piscicole est affectée) lorsque l’atteinte est « grave et durable » et à créer un délit de pollution de l’air obéissant aux mêmes conditions. L’atmosphère et les milieux aquatiques étant deux environnements au fort pouvoir de dilution, il sera matériellement impossible de démontrer que les effets d’une atteinte aux eaux ou à l’air sont « graves et durables », c’est-à-dire qu’elle « perdurent au moins 10 ans » comme l’exige pourtant le projet de loi. Enfin, sa caractérisation nécessitera d’apporter la preuve d’une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité, excluant les fautes d’imprudence et de négligences, pourtant les plus nombreuses. En matière de pollution des eaux, gageons que les procureurs continueront de poursuivre les rejets au visa des délits prévus aux article L.216-6 et L.432-2 du code de l’environnement qui visent les fautes d’imprudence et de négligence et exigent uniquement la démonstration d’un « effet nuisible » sur la faune, la flore ou les poissons, sans seuil temporel des atteintes. Resteront les rejets atmosphériques qui ne pourront que très exceptionnellement être considérés comme perdurant « au moins 10 ans ». Autant dire que ce « délit général », tel qu’il est rédigé, ne servira strictement à rien. Quant au « délit d’écocide », supposant de démontrer l’intentionnalité du prévenu, c’est-à-dire sa volonté délibérée de porter atteinte à l’environnement, il ne devrait jamais pouvoir être caractérisé.

Enfin, le texte crée un délit supplémentaire en matière de déchets. En réalité, il ne fait qu’aggraver le quantum de la peine encourue pour le délit prévu à l’article L.541-46-I du code de l’environnement lorsque les atteintes à l’environnement issues de l’abandon ou du stockage de déchets « sont susceptibles de durer au moins 10 ans ».

Si l’intention du gouvernement était de « renforcer la protection judiciaire de l’environnement », comme le suppose la rédaction du titre VI du projet de loi, force est de constater que cette affirmation est bien prétentieuse : en réalité, les modifications proposées ne font que complexifier davantage un édifice pénal que peu de spécialistes parviennent à maîtriser. En multipliant jusqu’à l’absurde les éléments constitutifs des infractions, le gouvernement a rédigé une loi quasi inapplicable et parfaitement inadaptée pour répondre à une délinquance environnementale massive, protéiforme et en plein développement. Malgré les avertissements du rapporteur du titre VI du projet de loi, Erwan Balanant, la Commission spéciale n’a pas suivi les recommandations des nombreux juristes qui critiquent une loi « bavarde » sans beaucoup d’effets juridiques. Le Conseil d’État a été particulièrement sévère sur la rédaction du titre VI dans son avis du 4 février 2021, attirant « l’attention du Gouvernement sur la nécessité de rechercher, pour atteindre les objectifs poursuivis, d’autres choix de politique pénale s’inscrivant dans le respect des principes constitutionnels ».

Ceci est d’autant plus regrettable que les rédactions initialement présentées en novembre 2020 par le garde des Sceaux et la ministre de la Transition écologique allaient plutôt dans le bon sens. Depuis, et sous la pression des lobbys industriels, le titre VI du projet de loi a été totalement vidé de sa substance. Les maigres modifications du projet de loi issues de son examen par la Commission spéciale n’ont pas permis de relever son ambition.

Encore une occasion manquée pour la majorité de porter un texte ambitieux qui protège effectivement l’environnement. Une de plus.

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]En savoir plus…[/vcex_button]