Par Frederick T. Davis – ancien procureur fédéral à New York – Membre des Barreaux de Paris et de New York – Lecturer in Law à Columbia Law School
Dans son discours sur « l’Etat de l’Union » du mardi 1er mars, le président Biden a annoncé la création par le ministère américain de la Justice (DOJ) d’une « Klepto-capture Task Force». Le DOJ a depuis publié un communiqué de presse officiel sur cette nouvelle unité.

De quoi s’agit-il et quelle est sa mission ?

 Une « task force » de ce type, souvent décrite comme un « groupe de travail inter-agences chargé de l’application de la loi », est un ordre administratif qui permet aux parquets fédéraux et aux différents services d’enquête de travailler de manière étroitement coordonnée dans la poursuite d’objectifs immédiats et spécifiques. Dans son communiqué de presse, le DOJ indique qu’il travaillera avec les enquêteurs du Federal Bureau of Investigation (FBI), du Secret Service, du Department of Homeland Security, de l’Internal Revenue Service et de la Poste, et qu’il coordonnera leurs efforts respectifs. D’autres agences peuvent également participer. Son objectif est « d’appliquer les sanctions radicales, les restrictions à l’exportation, et les contre-mesures économiques que les États-Unis ont imposées, avec leurs alliés et leurs partenaires, en réponse à l’invasion militaire non provoquée de l’Ukraine par la Russie ». Notamment, le communiqué de presse souligne que la nouvelle unité « complétera les travaux de la task force transatlantique annoncée par le président et les dirigeants de la Commission européenne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et du Canada le 26 février dernier, qui a pour mission d’identifier et de saisir les avoirs des personnes et des entreprises sanctionnées dans le monde entier».

De quels pouvoirs disposera ce groupe de travail ?

La Task Force en tant que telle n’aura pas de nouveaux pouvoirs d’exécution, mais elle coordonnera et centralisera les pouvoirs d’enquête existants des divers organismes participants. Elle ne crée pas non plus de nouvelles sanctions juridiques ; plutôt, le DOJ utilisera les lois et procédures existantes pour engager d’éventuelles poursuites pénales contre des individus ou sociétés reconnus coupables d’avoir enfreint les lois pénales américaines. Le DOJ pourra également imposer des sanctions non pénales telles que des ordonnances de confiscation (qui priveraient des individus complices de leurs avoirs) et des ordonnances de blocage (qui limiteraient leur capacité à effectuer des transactions commerciales et financières).

Avez-vous bon espoir que ce groupe de travail obtienne des résultats satisfaisants ?

Oui, et ce, pour trois raisons. Premièrement, la création de la Task Force intervient à un moment de consensus sans précédent parmi les démocraties du monde entier sur le fait que l’invasion russe de l’Ukraine est illégale et immorale, et que les nations du monde doivent coordonner leurs efforts pour rétablir un ordre mondial pacifique. Je suis très impressionné par la rapidité et l’énergie avec lesquelles de nombreux pays ont déjà adopté des mesures pour faire face à cette crise et je suis convaincu qu’ils continueront de le faire. Le message essentiel du discours du président Biden et du communiqué de presse du DOJ est que cet effort est désormais une priorité – et ce sentiment semble être largement partagé au-delà des frontières étatsuniennes.

Deuxièmement, le DOJ (ainsi que ses homologues d’autres pays) a développé au cours des deux dernières décennies des procédures sophistiquées et robustes pour identifier, enquêter, et poursuivre les crimes transnationaux tels que le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, la fraude, et la corruption, entre autres. La Task Force pourra s’appuyer sur des procureurs et des enquêteurs ayant une expérience approfondie et sophistiquée dans ces domaines.

Troisièmement, et c’est là peut-être la raison principale de mon optimisme à l’égard de cette Task Force, les démocraties du monde occidental ont développé des protocoles de communication et des relations – souvent personnelles – entre leurs services d’enquête et de poursuite qui faciliteront la mise en œuvre rapide et coordonnée des nouvelles actions de la Task Force avec les agences étrangères. Le DOJ et le FBI, par exemple, ont d’importants bureaux dans de nombreux pays où leurs représentants travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues étrangers et comprennent les procédures locales. De cette façon, ils ont généré le respect mutuel qui s’avère nécessaire dans la poursuite d’objectifs communs, surtout lorsque les procédures pour y parvenir diffèrent. Réciproquement, le DOJ bénéficie de la présence à Washington de professionnels talentueux et expérimentés en matière d’enquêtes et de poursuites, originaires du monde entier, qui ont été spécifiquement délégués pour travailler en étroite collaboration avec ce dernier. Ces relations professionnelles existantes fournissent une structure remarquable sur laquelle cet effort extraordinaire peut être lancé.