L’exécutif travaille actuellement sur une redevance visant notamment les camions étrangers « qui ne font que traverser la France », a indiqué dimanche 23 septembre François de Rugy, Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. Ce projet de redevance est-il envisageable au regard du droit de l’Union européenne ?

« Une réponse nationale aux problèmes soulevés par la saturation des réseaux routiers ne serait pas pertinente »

Décryptage par Stéphane de la Rosa, professeur de droit à l’Université Paris-Est Créteil.

Dans quelle mesure le législateur français dispose-t-il d’une marge de manœuvre pour prendre des mesures visant spécifiquement des véhicules étrangers ?

La marge de manœuvre du législateur français est extrêmement réduite pour adopter des mesures générales, de surcroît à caractère fiscal et à l’égard des poids lourds immatriculés dans d’autres Etats membres. Cette limitation résulte du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) dont l’article 110 prévoit qu’«aucun état membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres états membres d’imposition intérieure de quelque nature qu’elle soit, supérieure à celle qui frappe directement ou indirectement les produits nationaux similaires ».

Combiné au principe général de non-discrimination à raison de la nationalité (art. 18 TFUE), il en résulte que l’institution d’une redevance ne peut introduire une discrimination fiscale en raison de l’origine du véhicule. Si elle venait à être adoptée, une telle mesure rappellerait le contentieux (déjà ancien) de la « supervignette », dans le cadre duquel la Cour de justice avait considéré qu’une vignette automobile en France taxant spécifiquement des véhicules étrangers (de certaine puissance) constituait une imposition intérieure discriminatoire (CJCE, 9 mai 1985, Humblot, aff. 112/84).

Cette mesure voulue par le Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie ne poserait-elle pas des problèmes de mise en oeuvre ? Quelle serait son effectivité ?

En France, les enjeux de la redevance payée par les poids lourds se posent essentiellement pour l’utilisation des routes dont la gestion n’est pas concédée. A la différence de plusieurs Etats voisins, la majeure partie du réseau autoroutier est concédée et son usage repose sur le paiement de péages. Ceux-ci sont censés financer les infrastructures autoroutières et amortir les investissements engagés par les sociétés concessionnaires. Les recettes d’une éventuelle redevance seraient donc principalement destinées aux autoroutes gratuites (souvent en milieu urbain) et aux routes nationales. Cette situation soulève des difficultés particulières et ne permet pas d’envisager une redevance uniforme, à la différence de ce qui peut s’observer en Belgique ou aux Pays-Bas. Dans tous les cas, cela nécessite d’envisager un système de redevance qui prenne en compte le paiement des péages et qui intègre la répartition des coûts d’entretien entre l’Etat, les collectivités et les sociétés concessionnaires.

Le projet de redevance serait-il conforme au droit de l’Union ? Existe-t-il déjà des textes en la matière ?

Le projet de redevance est indissociable d’un texte souvent peu connu : la directive  1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures. En France, ce texte n’a pas conduit à un régime général de redevance mais à une modification, par voie d’avenant, des conventions conclues avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes (Décret du 1er mars 2002).

Cette directive fait actuellement l’objet d’une importante refonte : dans le cadre du paquet « mobilité », la Commission européenne a présenté une proposition de révision, examinée en juin dernier par le Parlement européen. Il faut également noter que l’Assemblée nationale a adopté, en mars dernier, dans le cadre de l’examen de subsidiarité, une résolution sur cette proposition de révision, émettant notamment des réserves sur l’abandon du régime de vignettes.

Le texte que le Parlement européen devrait adopter, en première lecture, le 22 octobre prochain introduit l’obligation pour les Etats, à partir de 2023, de soumettre les poids lourds, bus et autocars à une redevance d’utilisation du réseau, calculée selon la distance parcourue. Cette redevance serait applicable aux véhicules légers à partir de 2026 et elle serait complétée par une redevance dite de coûts externes qui compenseraient l’impact environnemental des activités de transports.

Le calcul de la redevance sera nécessairement fondé sur le principe d’égalité de traitement (une distinction selon l’immatriculation du véhicule est exclue) et sur le principe de proportionnalité. La Cour de justice a d’ailleurs récemment souligné que les sanctions, sous forme d’amendes, pour non-paiement d’une redevance d’infrastructure doivent être proportionnelles au trajet réellement effectué (CJUE, 22 mars 2017, Euro Team Kft, aff. C-497/15). Les recettes issues de la redevance devront être affectées à l’entretien et la maintenance du réseau et être utilisées pour financer les transports collectifs et durables et des infrastructures de carburants alternatifs.

Le contexte de négociation de la nouvelle directive (qui ne sera formellement adoptée que dans plusieurs mois, après le vote du Parlement puis du Conseil) rend incertain, voire périlleux, l’adoption précipitée d’un mécanisme de redevance propre à la France. En tout état cause, une réponse strictement nationale aux problèmes soulevés par la saturation des réseaux routiers n’est pas totalement pertinente.

Par Stéphane de La Rosa