Par Stéphanie Travade Lannoy, Avocat Associée Cabinet BWG

Dès l’annonce du confinement, les appels des parents séparés ont afflué : « Les enfants sont mieux chez moi parce que j’ai une maison avec jardin, puis-je ne pas les remettre à l’autre parent le week-end prochain comme prévu par le jugement de divorce ? » ; « La résidence alternée peut-elle continuer à s’organiser comme d’habitude alors que le père est médecin et donc particulièrement exposé au coronavirus ? » ; « Mon ex-épouse refuse que je vienne chercher les enfants le mercredi pour la journée car ma nouvelle compagne est malade, que puis-je faire ? », « Mes enfants sont plus exposés chez moi car j’ai refait ma vie, et que nous avons d’autres enfants, dois-je renoncer à les recevoir pendant toute la période du confinement ? »…

Alors que les déplacements sont le quotidien des enfants de parents séparés, l’organisation de leur vie s’est retrouvée en première ligne en cette période de confinement.

La situation est inédite, et la réponse à apporter à ces questions n’est pas facile. On oscille entre le respect de deux exigences : celle de maintenir l’accès de l’enfant à ses deux parents et celle de préserver la santé de l’enfant, et au-delà, la santé publique.

L’autorisation de principe donnée par les décrets des 16 et 23 mars 2020 et le communiqué de presse du ministère de la Justice du 2 avril 2020

Rapidement, une première réponse a été donnée par le décret du 16 mars 2020 (confirmé sur ce point par le décret du 23 mars 2020), qui fait figurer dans l’attestation de déplacement dérogatoire – et donc autorise – les « déplacements pour la garde d’enfants ». Le terme de garde, qui n’existe plus, est mal choisi, mais on comprend bien le sens du texte : les parents, munis de leur attestation et si possible également du document (jugement ou convention parentale) qui organise la vie des enfants, sont autorisés à se déplacer pour que les enfants puissent continuer à voir leurs deux parents.

Le communiqué de presse du ministère de la Justice du 2 avril 2020 le confirme : « Pendant la période de confinement, le droit de visite et d’hébergement des enfants continue de s’appliquer. Les enfants doivent donc en principe se rendre chez l’autre parent selon les modalités prévues par la décision de justice ».

C’est une réponse qui sera satisfaisante dans un certain nombre de cas : lorsque les parents ne sont pas particulièrement exposés au coronavirus de par leur profession, ou pas indisponibles pour des raisons professionnelles, lorsqu’ils ne vivent pas dans deux pays différents, ou avec un grand-parent âgé et donc particulièrement en risque, etc.

Dans tous ces cas, l’organisation qui s’appliquait jusqu’à présent doit être maintenue. Mais dans d’autres, il sera parfois justifié de ne pas faire usage de cette autorisation, ou en tout cas, pas exactement comme en temps normal.

Les nécessaires dérogations à l’organisation mise en place avant le confinement

Première dérogation, le ministère de la Justice appelle à la suspension de « tous les droits de visite à la journée, au domicile de tiers ou avec l’assistance de tiers », précisant que « Les espaces rencontre sont actuellement fermés ». Si le droit de visite implique la présence d’un tiers, il doit donc être suspendu.

Deuxième dérogation, le respect des consignes sanitaires doit pousser certaines familles à trouver, pendant la période de confinement, une solution sur-mesure, adaptée à leur cas particulier.

Le communiqué du ministère de la Justice les y incite clairement :
« Toutefois, le droit de visite et d’hébergement doit s’exercer en respectant les consignes sanitaires :

  • Limiter les déplacements de l’enfant, en particulier sur de grandes distances ;
  • Éviter que l’enfant prenne les transports en commun pour aller au domicile d’un parent à l’autre ;
  • Éviter que l’enfant soit au contact de personnes vulnérables.

Pour cela, les parents peuvent se mettre d’accord pour modifier leur organisation de façon temporaire en vue de limiter les changements de résidence de l’enfant. Par exemple, une résidence avec alternance chaque semaine peut provisoirement être remplacée par une alternance par quinzaine ».

Pour eux, ce confinement doit être l’occasion d’inventer de nouvelles règles provisoires, de mettre en place une organisation revisitée qui respecte les exigences sanitaires tout en permettant aux enfants de ne pas être coupés d’un de leurs parents :

  • Pour certains, cela pourra aller jusqu’à la suspension temporaire de tout contact physique avec l’un des parents. Il faudra alors que tous les moyens soient mis en œuvre pour que le contact téléphonique et/ou vidéo soit favorisé. Il pourra aussi s’agir de constituer un « stock » de jours à rattraper une fois que le confinement sera levé.
  • Pour d’autres, il suffira de s’accorder sur une organisation temporaire différente, avec, par exemple, une moins grande régularité dans les transferts entre le domicile de chacun de ses parents (toutes les deux semaines au lieu d’une semaine, quatre jours toutes les deux semaines plutôt que deux jours toutes les semaines, etc.).

Cela nécessite une appréciation au cas par cas, qui peut s’avérer compliquée.

Dans certains cas, il sera facile de voir où se situe l’exigence sanitaire : ainsi, si l’un des parents est un personnel soignant dans une unité spécialisée dans le Covid-19, ou a été diagnostiqué positif à ce virus, l’arbitrage devra se faire en faveur d’un éloignement de l’enfant, d’une durée à définir, pour le protéger lui-même mais aussi pour ne pas en faire un vecteur.

Dans d’autres cas, ce sera plus compliqué d’arbitrer. Ainsi, s’il s’agit simplement d’offrir à un enfant de meilleures conditions de vie (un jardin, un appartement plus grand, etc.), notamment dans une résidence secondaire, ou d’une crainte de contamination parce que l’autre parent a d’autres enfants d’une nouvelle union.

A chaque situation sa solution, faite de compromis, avec comme priorité le respect des règles de protection sanitaire, faute de quoi la finalité même du confinement serait réduite à néant.

Mais que faire alors si les parents n’analysent pas de la même manière les intérêts en présence ?

Que faire en cas de désaccord entre les parents ?

La réponse est évidemment différente selon les situations :

  • Si l’un des parents prend clairement prétexte de ce confinement, sans raison valable, pour priver l’autre parent de ses droits, et donc priver l’enfant de son autre parent, il doit être remis dans le droit chemin.
    Malheureusement, les forces de l’ordre ont mieux à faire que d’aller chercher des enfants que l’un des parents refuse de présenter à l’autre, mais la plainte pour non représentation d’enfant peut rester un argument dissuasif.
    Le ministère de la Justice l’a rappelé dans son communiqué : « Le ministère de la Justice rappelle également que le fait d’empêcher sans motif légitime l’exercice du droit de visite et d’hébergement de l’autre parent ou de refuser de restituer l’enfant peut être puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ».
    Précisons qu’il est possible de déposer des pré-plaintes en ligne (www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr). A la suite de cette pré-plainte, le parent récalcitrant pourra être appelé par le Commissariat, qui tentera de le raisonner, avec évidemment plus d’efficacité que l’autre parent.
  • Si, au regard de la situation particulière, une adaptation de l’organisation de la vie de l’enfant s’impose, mais que les parents ne sont pas d’accord sur celle-ci, se faire aider par des professionnels reste le moyen le plus adapté de trouver une solution.
    Un groupe de médiation familiale d’urgence spécialement dédié à la gestion des conflits parentaux en raison du confinement vient d’être créé par l’Ordre des avocats du Barreau de Paris (https://mediation.avocatparis.org/).
    Mais, les avocats en droit de la famille sont aussi là, et plus que jamais, pour aider les parents à sortir de cette situation complexe par le haut, dans l’intérêt de leur(s) enfants(s), notion clé, qui prend un sens tout particulier en cette période de confinement.

 

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