Par Camille Aynès – Enseignante-chercheuse contractuelle en droit public à l’École Normale Supérieure PSL

Exclu pour quatre mois de La France insoumise à la suite de sa condamnation pénale pour violences sur conjoint en décembre dernier, le député Adrien Quatennens est revenu mercredi 11 janvier sur les bancs de l’Assemblée, en tant que non-inscrit. Ce retour n’est pas sans susciter un malaise au sein du Parlement, y compris dans son propre parti.

Certains parlementaires appellent à l’« exclusion définitive » d’Adrien Quatennens de l’Hémicycle. Est-ce possible ?

Le règlement de l’Assemblée nationale (art. 70 et s.) prévoit bien que la chambre puisse exclure « par assis et levé et sans débat » l’un de ses membres, sur proposition du Bureau. Le champ d’application de cette peine disciplinaire qu’est « la censure avec exclusion » est néanmoins restreint. D’une part, elle ne peut être que temporaire. D’autre part – et de façon plus déterminante ici –, elle ne peut sanctionner que des actes ou des propos tenus par les parlementaires dans l’enceinte de l’Assemblée et liés à l’exercice de leur mandat.

Lorsque, comme dans l’affaire commentée, les faits reprochés ont été commis par un député dans la sphère privée, il se peut tout au plus que son groupe parlementaire le radie de ses rangs. Qu’elle soit de quatre mois ou définitive, qu’on la nomme suspension ou expulsion, l’exclusion, par un groupe, de l’un de ses membres ne prive pas toutefois la personne du droit de siéger à l’Assemblée ni a fortiori de son mandat : celle-ci reste député, non-inscrit. L’on a affaire à une simple mise au ban politique de son parti.

Une exclusion définitive de l’Hémicycle à proprement parler ne peut résulter que de la perte du mandat de député. En droit, seul le Conseil constitutionnel a le pouvoir de déchoir un député de sa qualité de membre de l’Assemblée nationale – à la requête, selon les cas, du bureau de l’Assemblée nationale, du garde des sceaux ou du ministère public. Ce « pouvoir » est cependant fortement limité. L’art. L.O.136 c. élect. prévoit i) que la déchéance ne puisse être prononcée par le Conseil constitutionnel qu’à l’encontre d’un député qui se trouve dans un cas d’inéligibilité prévu par la loi et ii) que toute inéligibilité (toute perte du droit d’éligibilité) entraîne « de plein droit » la perte de ce sans quoi le parlementaire n’aurait pu initialement être investi de sa fonction. Le Conseil constitutionnel se limite donc en toute hypothèse à « constater » simplement la déchéance qui résulte ipso facto de la survenance d’une cause d’inéligibilité. Sachant que ces causes, en cours de mandat, se réduisent essentiellement au prononcé d’une peine d’interdiction du droit d’éligibilité (art. 131-26 c. pén.), c’est en définitive le juge pénal qui décide indirectement de la dignité ou de l’indignité des représentants – dans le respect, cela s’entend, des immunités parlementaires. La seule marge de manœuvre dont dispose le Conseil constitutionnel consiste à ne pas constater la déchéance tant que la condamnation pénale n’est pas devenue définitive.

Le système actuel empêche ainsi de pouvoir mettre fin au mandat d’un élu (à l’exception des maires ou adjoints au maire) i) dont le comportement, qui constitue une infraction pénale, n’aurait pas été assorti comme en l’espèce d’une peine d’inéligibilité par le juge ; ii) dont le comportement, sans constituer une infraction, ne respecterait pas les règles inhérentes à l’exercice de responsabilités publiques.

Le juge aurait-il pu, dans l’affaire Quatennens, prononcer une peine d’inéligibilité ?

Oui, le juge avait ici la faculté d’assortir la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis qu’il a prononcée d’une peine complémentaire d’inéligibilité qui eût pu aller jusqu’à dix ans (art. 131-26 al. 1 c. pén.). Si les violences sur conjoint commises par le député avaient entraîné une incapacité de travail d’une durée égale ou supérieure à huit jours, le juge y aurait été obligé (art. 131-26 al. 2 c. pén.). Face à la réticence des magistrats à appliquer ce type de sanctions, le législateur, en 2016, a fait en effet de l’inéligibilité une sanction que le juge a l’obligation de prononcer pour une liste déterminée d’infractions. Depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, cette liste ne se réduit plus aux seuls manquements au devoir de probité (concussion, prise illégale d’intérêts, corruption passive, etc.). Elle a été élargie à l’ensemble des infractions graves (d’où l’exigence d’ITT) qui trahissent une violation des valeurs fondamentales de la société (parmi lesquelles les discriminations, les agressions sexuelles, le harcèlement, etc.). Il est à noter que dans toutes ces hypothèses où l’inéligibilité est obligatoire, le juge conserve la possibilité de ne pas la prononcer, par une décision dûment motivée.

En réaction à l’affaire Quatennens, certains demandent qu’un casier judiciaire vierge soit exigé pour les élus. Qu’en pensez-vous ?

L’idée avait été proposée à l’Assemblée nationale en 2016 et 2017. Elle a toutefois été écartée au motif suivant : prévoir que l’inscription de certaines condamnations au casier judiciaire entraîne en vertu de la loi l’interdiction d’exercer une fonction publique élective reviendrait à rétablir une peine automatique qui encourrait la censure du Conseil constitutionnel. « En interdisant automatiquement, sans qu’une juridiction ne se prononce, à ceux qui ne disposent pas d’un casier judiciaire vierge – le fameux B2 – de se présenter aux élections, on porte[rait] atteinte au principe de nécessité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe d’individualisation des peines qui en découle ». Ce motif ne nous paraît guère convaincant. Si l’interdiction d’exercer une fonction publique élective serait bien dans ce cas-là automatique, on a démontré, ailleurs, qu’elle ne devrait pas être interprétée comme une mesure « qui a le caractère d’une punition » – comme une peine au sens de l’article 8 de la Déclaration – mais comme une mesure de sûreté destinée à garantir la moralité des élus. Ne relevant pas du champ d’application ratione materiae de l’article 8, elle ne saurait lui être contraire et être censurée, en particulier, en raison de son automaticité.

On ajoutera qu’une mesure de ce type nous paraît conforme également aux dispositions de la Constitution relatives au droit d’éligibilité (art. 3 Const. et art. 6 DDHC). Sur le terrain du droit, conditionner le droit d’exercer une fonction publique élective à un casier judiciaire vierge de certaines condamnations paraît donc possible. La question véritable est celle de son opportunité.

Pourrait-on également envisager que la déchéance d’un mandat électif puisse (aussi) être décidée par le peuple ou ses représentants ?

Ce sont là des dispositifs qui existent dans certains pays. Au Danemark ou en Finlande par exemple, il n’existe pas de peine d’inéligibilité – qu’elle soit prononcée par le juge ou qu’elle découle de l’application de la loi. C’est le Parlement qui peut considérer qu’un élu condamné n’est plus digne de confiance (après avis d’une commission constitutionnelle, en Finlande, ou bien si la condamnation porte sur « un acte qui, pour l’opinion publique », le rend indigne, au Danemark). D’autres États encore ont instauré des procédures juridiques qui permettent au corps électoral de se prononcer lui-même, par un scrutin révocatoire, sur la destitution des élus. Selon les systèmes juridiques, l’initiative de la procédure peut appartenir à des institutions publiques ou aux citoyens directement.

En France, le parti d’Adrien Quatennens a inscrit depuis plusieurs années dans son programme un mécanisme de révocation populaire par la méthode du référendum d’initiative citoyenne : tous les élus pourraient être soumis à un « référendum révocatoire », à partir de la moitié de leur mandat, si une pétition référendaire réunit 5 % du corps électoral d’origine. En décembre 2021, Adrien Quatennens déposait lui-même, avec d’autres députés de La France insoumise, une proposition de loi constitutionnelle visant à instituer ce droit. Dans un régime politique attaché à l’indépendance des élus à l’égard des électeurs comme l’est le régime français, la création d’un tel dispositif impliquerait toutefois un changement majeur : de la Constitution, certes, mais aussi et plus généralement de paradigme démocratique.

Quelles que soient les voies juridiques envisagées, il est probable que ce soient d’autres facteurs que le droit (l’opinion publique et la pression politico-médiatique) qui continueront le plus souvent à déterminer l’issue d’un mandat, l’élu démissionnant volontairement.

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