Par Francesco Martucci, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Le 21 avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande a rejeté la demande de mesures provisoires introduite à l’encontre de la loi d’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil sur les ressources propres de l’Union adoptée en décembre 2020. Elle lève ainsi un obstacle au financement du Plan de relance de l’Union.

Pourquoi l’entrée en vigueur de la décision Ressources propres est-elle décisive pour le Plan de relance ?

L’Union européenne a adopté le Plan de relance NextGeneration EU pour remédier à la crise économique provoquée par la Covid-19. Ce plan prévoit un financement de 750 milliards d’euros dont la partie la plus substantielle est destinée à financer la facilité pour la reprise et la résilience destinée aux États membres. Dotée de 672,5 milliards d’euros, cette facilité permet l’octroi d’un soutien aux États membres sous la forme de prêts (360 milliards) ou de subventions (312,5 milliards) en vue de financer les plans de relance nationaux. D’un montant total de 1 074,3 milliards d’euros pour la période 2021-2027, le budget de l’Union s’avère structurellement trop faible pour financer le Plan de relance. Outre les recettes traditionnelles provenant des droits de douane, des cotisations perçues sur le secteur du sucre, des amendes infligées par les institutions et des contributions TVA, les ressources propres du budget de l’Union sont essentiellement constituées par les contributions des États membres (taux appliqué au revenu national brut). Alors que la Commission avait proposé, lors de la négociation des perspectives financières 2021-2017, la création de nouvelles ressources propres portant sur les thématiques climatique (prélèvement carbone), numérique (taxe GAFAM) et financière (taxe sur les transactions financières), n’a été retenue que la contribution sur les déchets d’emballages en plastique non recyclés. Aussi, afin de ne pas demander un effort financier supplémentaire aux États membres, le Conseil a prévu dans la décision Ressources propres du 14 décembre 2020 des « moyens supplémentaires extraordinaires et temporaires pour faire face aux conséquences de la crise de la COVID-19 ». Alors qu’en principe le budget de l’Union ne peut pas être alimenté par l’emprunt, il a été décidé d’autoriser de façon exceptionnelle et transitoire la Commission à recourir aux marchés de capitaux pour lever les sommes nécessaires au financement de NextGeneration EU.

Pourquoi la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 26 mars 2021 a-t-elle suscité des craintes pour le plan de relance ?

En vertu de l’article 311 du traité FUE, la décision Ressources propres est adoptée selon une procédure législative spéciale dans laquelle le Conseil se prononce à l’unanimité et le Parlement européen est consulté. Elle n’entre cependant en vigueur que si elle a été approuvée par tous les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Il suffit ainsi qu’un seul État membre refuse d’approuver la décision Ressources propres pour que celle-ci n’entre pas en vigueur. Cela aurait pour conséquence de priver la Commission de l’autorisation nécessaire pour emprunter les capitaux sur les marchés de sorte que le Plan de relance ne pourrait plus être financé. En France, a été adoptée la loi n° 2021-127 du 8 février 2021 autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 sans que cela suscite au demeurant un quelconque débat. En Allemagne, au contraire, la logique selon laquelle l’Union européenne emprunterait pour financer les États membres, de surcroît en partie par l’octroi de subventions, n’a guère suscité l’enthousiasme. La Cour constitutionnelle allemande a été saisie par des personnalités politiques, dont des membres de l’AFD (Alternative für Deutschland) d’un recours contre la décision Ressources propres adoptée par le Conseil. Le 26 mars, le Tribunal constitutionnel allemand s’était cantonné à ordonner de ne pas adopter la loi d’approbation de la décision Ressources propres avant qu’il se prononce sur la demande de mesures provisoires accompagnant le recours au principal. Cette première décision avait suscité un émoi expliquant peut-être que la Cour constitutionnelle ait accompagné son ordonnance du 21 avril par un communiqué de presse en anglais. Est ainsi rejetée la demande de mesures de suspension provisoire de la procédure d’adoption au terme d’une mise en balance. Pour la Cour, retarder l’entrée en vigueur de la décision Ressources propres aurait des conséquences graves sur les objectifs du Plan de relance qui, pour être efficace, doit être mis en œuvre rapidement. La décision du 21 avril ajoute en reprenant l’argument du gouvernement fédéral, qu’un tel blocage placerait l’Allemagne dans une position délicate vis-à-vis de l’Union et des autres États membres.

Le débat sur la constitutionnalité est-il clos ?

En Allemagne, au-delà du débat politique, certains se sont interrogés sur la base juridique du Plan de relance, doutant en particulier de la validité des emprunts de l’Union sur le marché pour financer des soutiens aux États membres. La Cour constitutionnelle allemande n’écarte pas d’emblée tout grief d’inconstitutionnalité européenne et nationale. Dans sa mise en balance, elle se limite à considérer que les inconvénients d’un constat ultérieur d’inconstitutionnalité seraient moindres qu’un retard dans l’approbation de la décision Ressources propres. Autrement dit, elle ne renonce pas à contrôler, au titre du recours au principal, la décision Ressources propres et annonce d’ores et déjà que se posent les questions tant de son caractère ultra vires que du respect de l’identité constitutionnelle allemande. Cela signifie que l’ordonnance du 21 avril 2021 ne clôt nullement le débat juridique. Affleure le spectre de l’affaire Weiss dont on rappelle qu’elle avait conduit, le 5 mai 2020, à propos du programme d’achats de titres publics par la BCE sur le marché, le juge constitutionnel allemand à s’écarter de la solution retenue par la Cour de justice. Il est probable que le juge allemand pose une nouvelle question préjudicielle à la Cour de justice sur la validité de la décision Ressources propres et se réserve alors la faculté de ne pas suivre la solution retenue en droit de l’Union. L’ordonnance du 21 avril 2021 s’avère décisive tant pour le plan de relance que pour le dialogue des juges dans l’Union, au moment où le Conseil d’État aurait pu céder à la tentation de l’ultra vires dans l’arrêt Quadrature du net rendu le même jour que l’ordonnance. Ainsi que The Economist l’indiquait dans un article du 17 avril 2021, l’élan Hamiltonien de l’Europe incarné par le Plan de relance s’avère quelque peu éclipsé par les relents Calhouniens exprimés par des juridictions nationales. L’intégration se nourrit de ces tensions qui rappellent le fédéralisme américain : le plan de relance aiguise tout autant la mutualisation européenne des finances publiques que la résistance constitutionnelle des juges nationaux.