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Géolocalisation

La constitutionnalité de la géolocalisation autorisée par le parquet

Par Philippe Collet, Maître de conférences à l’Université de Rennes 1

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 9 juin 2021, n° 20-86.652, au Bull. crim. ; Procédures 2021, comm. 234, obs. J. Buisson), le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux exigences constitutionnelles des articles 230-32 et 230-33 du Code de procédure pénale (Cons. const., 23 sept. 2021, n° 2021-930 QPC). Ces textes autorisent, au cours d’une enquête de flagrance, préliminaire ou de recherche (CPP, art. 74 à 74-2), le recours à la géolocalisation en temps réel d’un véhicule ou de tout autre objet, notamment le téléphone d’une personne surveillée, sur décision du procureur de la République et sans contrôle préalable d’une juridiction indépendante. Bien qu’une grande partie de ces dispositions législatives aient été déclarées conformes à la Constitution (Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC, Loi relative à la géolocalisation ; Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, § 148 à 150, au sujet de l’art. 230-32, 1°), la chambre criminelle a jugé que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 mars 2021 est susceptible de constituer un changement de circonstances (CJUE, gr. ch., 2 mars 2021, aff. C-746/18, H. K. c/ Prokuratuur ; JCP G 2021, 328, obs. D. Berlin ; Dr. pén. 2021, comm. 113, note M. Lassalle ; AJ pén. 2021, p. 267, obs. S. Lavric). Le Haut conseil a finalement admis la constitutionnalité de la première phrase du 1° de l’article 230-33 du CPP, seule disposition en réalité concernée par la QPC.

Quelle est la motivation de la décision du Conseil constitutionnel ?

À la lumière de l’arrêt rendu par la CJUE le 2 mars 2021, la chambre criminelle a estimé la QPC sérieuse pour la transmettre au Conseil constitutionnel. Ainsi, les articles 230-32 et 230-33 du CPP, « qui autorisent une autorité chargée de diriger l’enquête et d’engager les poursuites à décider une mesure de géolocalisation sans le contrôle préalable d’une autorité extérieure, sont susceptibles de porter une atteinte excessive aux droits et aux libertés protégés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (Cass. crim., 9 juin 2021, préc., § 4). Cette atteinte disproportionnée pourrait donc concerner le droit au respect de la vie privée, les droits de la défense et à un recours effectif. Énonçant que la QPC porte sur les dispositions de l’article 230-33 du CPP, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, le Conseil constitutionnel affirme ne pas les avoir déclarées conformes à la Constitution (§ 8 de la décision). Il y remédie en reconnaissant la constitutionnalité de la première phrase du 1° de ce texte. Il commence par rappeler que l’atteinte à la vie privée résultant d’une géolocalisation réside dans la surveillance par localisation continue et en temps réel de la personne, le suivi de ses déplacements dans tous lieux publics ou privés, ainsi que dans l’enregistrement et le traitement des données obtenues.

Sa décision se fonde ensuite sur plusieurs motifs. En premier lieu, cette mesure n’implique pas d’acte de contrainte sur la personne visée, ni d’atteinte à son intégrité corporelle, de saisie, d’interception de correspondance ou d’enregistrement d’image ou de son (§ 14). En deuxième lieu, le procureur de la République est un magistrat de l’ordre judiciaire qui peut, en raison de cette qualité, contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits. Il ne peut autoriser une géolocalisation, si les nécessités l’exigent, que pour des enquêtes relatives à un crime ou à un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ou bien des procédures de mort suspecte, de disparition inquiétante ou de recherche d’une personne en fuite (§ 15). En dernier lieu, la mesure intrusive ne peut être permise par ce magistrat que pour une durée n’excédant pas huit jours consécutifs. Dans le cadre d’une procédure de recherche ou d’une enquête pour une infraction liée à la criminalité organisée, la durée maximale est de quinze jours consécutifs. À l’issue de ces délais, le juge des libertés et de la détention ordonne, le cas échéant, la poursuite de la mesure (§ 16). En prévoyant ces garanties diverses, le législateur a assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée (§ 17).

Cette déclaration de constitutionnalité était-elle prévisible ?

Dans deux arrêts rendus en 2013, la Cour de cassation a estimé que la géolocalisation constitue « une ingérence grave dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge (Cass. crim., 22 oct. 2013, n° 13-81.945 et 13-81.949 : Bull. crim. n° 196 et 197 ; D. 2014, p. 115, note H. Matsopoulou). En refusant le contrôle de la mesure au procureur de la République, elle s’est démarquée de la Cour de Strasbourg. Dans l’affaire Uzun, celle-ci a admis la conventionnalité d’une mesure de surveillance par GPS ordonnée par l’autorité de poursuite. Ce procédé se distingue « d’autres méthodes de surveillance par des moyens visuels ou acoustiques qui (…) sont davantage susceptibles de porter atteinte au droit d’une personne au respect de sa vie privée car elles révèlent plus d’informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l’objet » (CEDH, 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n° 35623/05, § 52 et 66 ; D. 2011, p. 724, note H. Matsopoulou). Moins intrusif que les écoutes téléphoniques, le procédé technique ne requiert pas, contrairement à celles-ci, la délivrance « d’un mandat par un organe indépendant ». L’intervention « d’un contrôle judiciaire ultérieur » s’avère ainsi suffisante (CEDH, 2 sept. 2010, Uzun, préc., § 72). Les dispositions du CPP, insérées par loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, ont alors consacré l’autorisation du parquet pour accomplir la mesure au cours des enquêtes de police. Le juge européen n’ayant formulé aucune critique sur cette compétence (CEDH, 8 févr. 2018, Ben Faiza c/ France, n° 31446/12, § 53 à 61, même si l’examen portait sur la situation antérieure à 2014), la loi du 23 mars 2019 l’a maintenue.

À l’instar de la Cour européenne, la décision du 23 septembre 2021 invoque d’emblée le caractère non coercitif, mais également peu intrusif de la géolocalisation (§ 14, reprenant la formulation exacte de Cons. const., 25 mars 2014, préc., § 13 et de Cons. const., 21 mars 2019, préc., § 148 ; Sur les notions : Ph. Collet, L’acte coercitif en procédure pénale, éd. Panthéon-Assas, 2018, préf. D. Rebut). Puis, elle rappelle la mission confiée au procureur par l’article 39-3 du CPP et énonce le cadre limité de la mesure relative uniquement à une infraction d’une certaine gravité (un crime ou un délit puni d’au moins 3 ans d’emprisonnement, seuil abaissé par la loi du 23 mars 2019) ou des procédures spécifiques (§ 15). Ce procédé possède en outre une durée maximale restreinte, le JLD étant seul compétent pour le prolonger (§ 16). Or, il faut se souvenir que « l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet » (Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, § 98 ; Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, § 26 ; Cons. const., 21 mars 2019, préc., § 179). Eu égard à la jurisprudence constitutionnelle constante ainsi qu’à l’encadrement de la mesure, la solution dégagée était relativement prévisible. Une déclaration de non-conformité à la Constitution se serait, de toute façon, accompagnée d’un effet différé pour sauvegarder la validité des mesures de géolocalisation en cours. La décision semble néanmoins faire fi des exigences récentes posées par la CJUE.

Comment apprécier la solution au regard de l’arrêt de la CJUE du 2 mars 2021 ?

L’arrêt de la Cour de justice est important, car il se prononce sur l’encadrement des réquisitions de données personnelles dans le cadre d’une enquête pénale. Ainsi, l’accès à « un ensemble de données relatives au trafic ou de données de localisation » – notion imprécise – constitue une ingérence grave dans la vie privée de l’utilisateur des moyens de communications électroniques. Il ne peut donc être autorisé qu’en vue de lutter contre la criminalité grave ou de prévenir des menaces graves contre la sécurité publique. Il apparaît douteux que la législation actuelle soit conforme à une telle exigence. Pour mettre en œuvre une géolocalisation au cours d’une enquête policière, l’infraction visée doit constituer un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement avant la loi du 23 mars 2019, trois ans depuis cette réforme. Il ne s’agit pas, stricto sensu, d’une lutte contre « la criminalité grave » ou de « prévention de menaces graves contre la sécurité publique ». Une multitude d’infractions sont en effet concernées. Mais, sauf intervention législative, le juge national conserve le pouvoir d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence dans la vie privée de l’utilisateur par rapport à la gravité des faits en cause à travers la notion de « criminalité grave » qu’il lui revient de définir (Ph. Bonneville, C. Gänser, A. Iljic, obs. sur CJUE, gr. ch., 2 mars 2021, AJDA 2021, p. 1086). Il lui incombe encore de statuer sur la validité des preuves recueillies, le droit de l’Union n’exigeant pas d’exclure les preuves obtenues de manière illégale (Ibid.).

Selon la Cour de justice, l’accès aux données conservées des autorités compétentes doit faire l’objet d’un contrôle préalable par une juridiction ou par une entité administrative indépendante (§ 51). L’indépendance et l’impartialité de l’autorité de contrôle sont requises, ce qui exclut le ministère public qui dirige la procédure d’enquête et exerce l’action publique (§ 52, 54 et 55). Manifestement, cette conception s’oppose à celle du juge constitutionnel dans la décision commentée. Il existe une appréciation divergente des pouvoirs du parquet en matière de géolocalisation. Afin de se conformer aux exigences de l’Union, la loi française devrait instituer une requête du procureur saisissant un tiers indépendant, à savoir un juge ou une entité administrative indépendante (V. not., C. com.,L. 450-3-3, pour l’autorisation délivrée par le contrôleur des demandes de données de connexion en droit de la concurrence). On songe surtout au juge des libertés et de la détention, saisi par requête du parquet. C’est le cas en matière de perquisition coercitive menée lors d’une enquête préliminaire lorsque l’infraction constitue un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement (CPP, art. 76, al. 4). Ce juge autoriserait ou non le recours à la géolocalisation et l’accès aux données. L’arrêt de la CJUE invite clairement à envisager la juridictionnalisation de l’enquête pénale (en ce sens aussi, M. Lassalle, note préc. sous CJUE, gr. ch., 2 mars 2021). En soulignant la compétence et les fonctions du parquet, le Conseil constitutionnel refuse ce changement de système concernant la géolocalisation. Il est vrai que la Cour de Strasbourg ne l’a jamais exigé jusqu’à présent (V. supra). Même la réforme attendue sur le statut du parquet, destinée à le rendre indépendant, ne devrait suffire selon le raisonnement de la CJUE (V. N. Droin, La révision constitutionnelle maudite ou l’impossible réforme du statut du parquet. Tout vient à point à qui sait attendre ?, JCP G 2020, doctr. 1154 ; A. Botton, Le procureur européen délégué français, modèle du futur Parquet national ? À propos de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice spécialisée, JCP G 2021, doctr. 201). Le ministère public continuera de diriger la procédure d’enquête et d’exercer l’action publique en tant que partie principale au procès pénal…

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