Par Valérie-Odile Dervieux, magistrat, Cour d’appel de Paris

Lors d’une déclaration à l’Assemblée nationale le 14 janvier 2021, M. Eric DUPOND-MORETTI, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a placé la « restauration du lien entre les Français et la justice » au centre de ses préoccupations. C’est l’objet du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire ». Le texte devrait, après avis du Conseil d’Etat, être débattu par la représentation nationale dès mai 2021.

Parmi les 37 articles de l’avant-projet de loi, quelles sont les mesures qui retiennent votre attention ?

Si le projet interpelle par son ambition, j’ai d’abord été frappée par un constat : la quasi-totalité des mesures ne concerne que « le pénal » : durée de l’enquête préliminaire, secret professionnel des avocats, secret de l’enquête/instruction, droit au silence, droits de la défense, audiences criminelles, détention provisoire, exécution des peines d’emprisonnement, emploi et droits sociaux des détenus…

Or, comme l’a souligné récemment Mme Chantal ARENS Première Présidente de la Cour de cassation, la justice civile « au centre de la vie des Français », pourtant « sinistrée », parait « oubliée ».

Mon intérêt s’est porté ensuite sur deux mesures qui illustrent la médiatisation de l’époque [1] et la difficulté à l’appréhender dans le cadre de la procédure pénale.

Donner à voir les audiences est-il gage d’une meilleure compréhension de la justice et de ses procédures ?

Alors que les reportages « en immersion » sur les enquêtes pénales en cours ne sont plus possibles en raison d’une jurisprudence très (trop ?) restrictive de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass, Crim n°3348 du 9 janvier 2019 ;17-84.026), l’avant-projet autorise l’enregistrement / diffusion des audiences, notamment pénales.

Bien plus, en rendant éligibles à l’enregistrement toutes les audiences publiques, sans que le consentement des parties ne soit exigé (il l’est pour la diffusion), le projet pose le principe de cette médiatisation. Cette volonté d’ouverture concerne aussi les audiences devant le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention (modification des 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 et 11 du code de procédure pénale). La décision relèverait d’une autorisation préalable de la chancellerie sur un fondement – un « motif d’intérêt public » qui permet de tout envisager. Dans ce cadre, les restrictions liées à la présomption d’innocence, au respect de la vie privée, à la protection des plus fragiles (mineurs, majeurs protégés) et au droit à l’oubli, sont énoncées puis renvoyées, pour leur mise en œuvre, à un décret en Conseil d’Etat.

Face à cette légitime volonté de « donner à voir » pour permettre de mieux « comprendre » et de « redonner confiance », les risques doivent être évalués.

Outre le danger d’un détournement toujours possible des diffusions via les nouvelles technologies de l’information, les questions de biais et de fragilisation des procédures pénales se posent.

Une illustration : les audiences devant les juges des libertés et de la détention (et en appel devant la chambre de l’instruction), relatives aux mesures de sûreté, étant publiques, leur enregistrement ne sera donc pas soumis au consentement des parties. Or, l’évolution très récente de la jurisprudence de la Cour de cassation nécessite qu’y soient désormais abordés les faits et l’évolution des investigations[2]. Ajoutons que les décisions prises à l’issue de ces audiences deviennent définitives, sauf appel, après 10 jours (art 185 à 187-3 CPP) ce qui les rend ; selon le projet, diffusables très rapidement.

Face à cela, le pouvoir de police du juge ne porterait pas sur le principe de l’enregistrement mais sur ses « modalités ».

Dès lors un arbitrage efficient est-il possible ?

D’autres questions peuvent être envisagées dès à présent :

  • Quels sont les droits d’une partie ou d’une personne citée qui ne participe pas à l’enregistrement ?
  • Le consentement d’une partie doit-il obligatoirement être soumis à son conseil ?
  • Comment est recueilli le consentement d’un mineur ou d’un majeur protégé ?
  • Quel est le statut de l’enregistrement : peut-il devenir une pièce de la procédure ? Peut-il être utilisé lors de l’audience de jugement, dans le cadre d’une autre procédure (disciplinaire, pénale, civile), est-il couvert par le secret de l’instruction (par ailleurs renforcé par le projet pour les agents publics qui concourent à l’enquête) ? Comment et par qui est-il conservé ? Qui y a accès ?
  • Les délais prévus par le projet aux termes desquels l’identification des parties filmées n’est plus possible (10 ans maximum après le consentement ou 5 ans après la première diffusion) sont-ils compatibles avec le droit à l’oubli ?

Faut-il s’inquiéter de l’irruption des médias au cœur de la procédure pénale ?

Au sein du titre 2 du projet consacré aux « dispositions renforçant le respect du contradictoire et des droits de la défense », le nouvel article 77-2 du CPP organise l’accès d’une partie à la procédure préliminaire.

Le texte consacre, afin de pallier les atteintes médiatiques à la présomption d’innocence, un cas d’accès sans délai à une enquête préliminaire.

«  toute personne contre laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine privative de liberté peut demander au procureur de la République, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé, de consulter le dossier de la procédure afin de formuler ses observations lorsqu’elle «a été publiquement présentée dans des médias comme coupable de faits faisant l’objet de l’enquête dans des conditions portant atteinte à sa présomption d’innocence ; les dispositions du présent 3° ne sont cependant pas applicables lorsque les révélations émanent de la personne elle-même, ou que l’enquête porte sur des faits relevant de l’article 706-73 du présent code »

La question, particulièrement sensible, interpelle.

Comment et qui évalue :

  • « Les raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine privative de liberté »,
  • Si la personne requérante « a été publiquement présentée dans des médias comme coupable de faits faisant l’objet de l’enquête dans des conditions portant atteinte à sa présomption ».

Une enquête ouverte postérieurement à des « révélations médiatiques » ne peut-elle plus demeurer secrète ? Une information judiciaire devient-elle obligatoire dans un tel cas ?

Comment rapporter, et sous quel délai, que les « fuites » sont orchestrées, directement ou indirectement par la personne mise en cause alors même que le secret des sources a une valeur légale et conventionnelle et que les hébergeurs, souvent sis à l’étranger, sont peu enclins à répondre aux demandes d’identification ?

Comment et sous quels délais s’organiseront les recours contre une décision de refus d’accès immédiat ?

En conditionnant ainsi l’accès immédiat à la procédure à une médiatisation dont l’origine peut rester hermétique, l’avant-projet ne risque-t-il pas de fragiliser les enquêtes voire de mettre en danger les témoins et les victimes d’infractions graves non visées par l’article 706-73 du CPP (violences conjugales, crimes et délits sexuels au préjudice de mineurs) ?

En conclusion je dirais que le projet illustre, une fois de plus, que la procédure pénale est d’une trop grande complexité.

La volonté de la rééquilibrer en faveur des droits de la défense et montrer « comment ça marche » ne doit pas primer sur les impératifs de maintien de l’ordre public et la sécurité des victimes.

C’est aussi une question de confiance.

 

[1] « L’avant-projet pour la confiance dans l’institution judiciaire » ; Dalloz actualité 18 mars 2021

[2] Cons n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021 ; Crim, arrêt n° 2766 du 1 er décembre 2020 Cass. Crim., 14 octobre 2020, n° 20-82.961, publié au Bulletin. ; Cass. Crim., 27 janvier 2021, n° 20-85.990, publié au Bulletin,).