La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans son arrêt du 29 avril 2019, a considéré, à l’unanimité, que le renvoi du terroriste Ali Meguimi vers l’Algérie n’entrainerait pas une violation de la Convention. Condamné, en 2015, pour « association de malfaiteurs terroristes », il recrutait des partisans du djihad et les envoyaient s’entraîner. Dans la crainte d’être torturé en Algérie, il avait saisi la CEDH pour éviter d’être expulsé vers son pays d’origine, une fois sa peine de prison purgée en France.

Décryptage par Laurence Burgorgue-Larsen, professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne

« Selon une jurisprudence constante, la Cour empêche toute mesure d’éloignement si la personne se trouvant sous le coup d’une expulsion risque d’être torturée »

Pourquoi Ali Meguimi a-t-il saisi la Cour européenne des droits de l’homme ? Quels sont les pouvoirs de cette dernière ?

La stratégie contentieuse d’Ali Meguimi – dont l’identité fut révélée par la presse après l’audience publique du 22 janvier 2019 et alors que l’anonymisation de l’affaire avait été préservée jusque-là  – consista à saisir la Cour d’une demande de mesure provisoire consistant à suspendre son expulsion vers le pays dont il est ressortissant, à savoir l’Algérie.

Après avoir purgé une peine d’emprisonnement de six ans (car il avait prévu, en tant que membre d’une cellule djihadiste, de s’attaquer à la Tour Eiffel et au Musée du Louvre), il tenta d’empêcher la mise à exécution de la peine complémentaire qui lui avait été infligée et qui consistait en une mesure d’expulsion.

Sur la base de l’article 39§1 de son règlement intérieur, la Cour est en mesure d’indiquer aux parties toute mesure provisoire jugée nécessaire, soit dans leur intérêt, soit pour le bon déroulement de la procédure. C’est dans le cadre de ce pouvoir spécifique, que la Cour indiqua au gouvernement français de ne pas expulser le requérant dans l’attente de l’examen au fond de l’affaire. Ce qu’il fit.

Selon une jurisprudence constante, la Cour empêche toute mesure d’éloignement si la personne se trouvant sous le coup d’une telle mesure risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention dans le pays de destination ; autrement dit, si elle risque d’être torturée. Pour ce faire, la Cour examine tout à la fois la situation générale du pays et la situation personnelle du requérant afin d’examiner s’il risque de subir de mauvais traitements.

Jusqu’à maintenant, la Cour bloquait les expulsions vers ce pays. Pourquoi ?

Jusqu’à l’arrêt A.M. du 29 avril 2019, la Cour avait toujours considéré que la situation générale en Algérie ne permettait pas de considérer ce pays comme un pays sûr, autrement dit comme ne pratiquant pas des actes de torture. Les multiples sources dont elle disposait démontraient notamment que la Direction du Renseignement et de la Sécurité (DRS) pratiquait régulièrement des actes attentatoires à l’article 3 de la Convention. L’état de la pratique en la matière fut régulièrement rappelé dans des arrêts antérieurs (CEDH, 3 décembre 1999, Daoudi c/ France, § 37 ; CEDH, 1er février 2018, M. A. c/ France, § 54).

En revanche, dans l’arrêt A.M., elle présenta avec moult détails le fait que depuis 2015, les sources internationales et nationales qu’elle avait l’habitude d’utiliser pour examiner la situation générale en Algérie, laissent paraître une évolution sensible (au point d’en présenter des extraits significatifs en annexe). La DRS fut supprimée et remplacée par un autre organisme – la Direction générale de la Sécurité nationale (DGSN) – qui professe à ses membres des cours de protection des droits de l’homme. La Constitution fut amendée en 2016, au profit d’un renforcement de la garantie des droits. Surtout, de multiples sources en provenance d’ONG, d’organismes comme le Comité de la Croix-Rouge, de Services d’État de certains pays (USA et RU), mais également de juridictions nationales (ainsi du tribunal administratif fédéral allemand), démontrent qu’aucun cas de torture n’a été répertorié en Algérie depuis 2015. La Cour a notamment particulièrement insisté sur le principe de subsidiarité, dévoilant que toutes les autorités juridictionnelles françaises, à l’unisson avaient, considéré qu’aucun élément ne laissait supposer que le requérant risquait d’être torturé une fois expulsé en Algérie.

Pourquoi cet arrêt est-il considéré comme une « première » ? La décision est-elle définitive ?

C’est une « première », non pas parce que la Cour a changé de jurisprudence sur le sens et le contenu de l’article 3 (qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants), mais parce qu’elle a simplement considéré, qu’aujourd’hui, les évolutions apparues en Algérie en matière de protection des droits de l’homme, permettaient de considérer que renvoyer un individu (condamné pour actes de terrorisme en France), ne l’exposerait pas à un risque de subir des actes contraires à l’article 3.

L’affaire était importante, pour ne pas dire cruciale, pour la politique juridique extérieure du Gouvernement français en matière de lutte contre le terrorisme. Ce fut une victoire contentieuse au profit de la France qui dut également la savourer comme une victoire politique. Il convient de souligner en effet que la Cour n’accorda pas d’importance significative au fait que le gouvernement algérien n’avait fourni aucune garantie diplomatique sur l’absence de torture, dans la mesure où l’examen des sources dont elle disposait lui permit de conclure que la situation en Algérie avait évolué.

En tout état de cause, et conformément à l’article 44§2 de la Convention, l’arrêt deviendra définitif si, dans les trois mois à compter du 29 avril 2019, le requérant n’active pas la procédure de renvoi prévue à l’article 43 de la Convention. Quand bien même il l’activerait, un comité de cinq juges au sein de la Cour pourrait estimer qu’il n’y a pas lieu que la Grande chambre examine à nouveau l’affaire.

Pour aller plus loin :

Laurence Burgorgue-Larsen.