Par Frédérique Chopin, Maitre de Conférences HDR en Droit privé, CDS UR 901, Aix Marseille Université, France

« L’avènement d’une société dans laquelle l’image a pris une place essentielle confronte nécessairement la Justice à la question de l’espace qu’elle doit ou peut donner aux médias audiovisuels »[1]. Cet espace aujourd’hui est octroyé notamment à la captation vidéo des audiences pénales dans une perspective mémorielle et sociétale, à savoir la constitution d’archives historiques de la justice. A l’heure où le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire envisage d’autoriser de filmer et de diffuser les procès pour un motif d’intérêt public ; cela invite à s’interroger d’abord, sur les raisons qui permettent aujourd’hui déjà de réaliser la captation vidéo des audiences pénales, ensuite, sur l’impact de celle-ci sur la procédure pénale et enfin, sur la garantie des droits de la défense dans un tel contexte.

Pourquoi filmer les procès ?

Aujourd’hui, l’enregistrement des audiences s’inscrit dans un « objectif de nature mémorielle »[2] et permet ainsi de renseigner et de conserver des traces historiques au regard de la gravité des faits jugés et de leur impact sur la société. C’est ainsi que depuis 1987, ce sont quatorze procès qui ont été intégralement filmés notamment les procès Barbie (1987), Touvier (1994), Papon (1998), AZF (2009) ou encore plus récemment le procès des attentats terroristes de janvier 2015.

Il s’agit d’une dérogation au principe posé par l’article 308 al. 1 du Code de procédure pénale qui punit d’une amende de 18 000 euros, l’emploi, dès l’ouverture de l’audience « de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma, d’appareils photographiques ». Cette captation vidéo des audiences répond à l’objectif précis de constituer des archives historiques et non de réaliser le film d’un procès. Il s’agit, en effet, de procéder à la captation d’une audience à caractère historique, tout en veillant à ne pas perturber le bon déroulement des débats, à ne pas remettre en cause l’indépendance des parties et à ne pas porter atteinte au libre exercice des droits de la défense[3]. C’est la raison pour laquelle, elle est soumise à des règles strictes posées par le code du patrimoine (Art L.221-1 à L.221-5, L.222-1 à L.222-3). Ainsi, la décision de procéder à un tel enregistrement est prise soit d’office, soit à la demande d’une des parties ou de ses représentants ou du ministère public, après recueil des observations des parties ou de leurs représentants, du président de l’audience dont l’enregistrement est envisagé et du ministère public (art L.221-3, C.patrimoine). Mais, en cas de procès pour crime contre l’humanité ou pour actes de terrorisme, l’enregistrement est de droit s’il est demandé par le ministère public. Il convient de souligner que la décision de l’autorité compétente pour décider l’enregistrement audiovisuel ou sonore d’une audience en application des articles L. 221-1 et suivants du code du patrimoine ne revêt pas le caractère d’un acte juridictionnel devant être soumis au débat contradictoire ; il suffit donc qu’aient été recueillies les observations des personnes énumérées à l’article L.  221-3 C.patrimoine. L’autorité compétente[4] peut donc simplement considérer que « l’extrême gravité des faits reprochés aux accusés et le contexte dans lequel se sont déroulés les crimes commis (…) ne présentent pas un intérêt qui justifierait que soit procédé à un enregistrement des débats de nature à enrichir les archives historiques de la justice »[5]. Enfin, comment s’approprier cette « mémoire judiciaire » lorsque la reproduction et la diffusion des enregistrements ne sont autorisés que cinquante ans après la fin du procès, sauf en cas de crime contre l’humanité ou d’infractions terroristes. Dans ce cas, l’autorisation peut être donnée à la fin de l’instance et lorsque la décision est devenue définitive.

Quels impacts sur la procédure pénale ?

La publicité de la justice est assurée de manière classique par la présence du public dans la salle d’audience ou encore par les publications dans la presse des débats judiciaires. C’est ainsi que jusqu’au milieu du XXème siècle, la liberté de la presse était la règle et permettait une médiatisation des procès. Mais, la loi du 6 décembre 1954, est venue interdire -au lendemain des affaires Marie Besnard et Gaston Dominici- l’emploi de tout appareil de captation d’images et du son lors des audiences[6]. Il faut attendre la loi du 2 février 1981 pour obtenir un premier assouplissement marqué par la modification des articles 308 et 403 du code de procédure pénale mais c’est surtout la loi Badinter du 11 juillet 1985 qui, dans une période alors marquée par le procès prochain de Klaus Barbie, donne la possibilité d’enregistrer les audiences « dans la perspective d’une utilisation différée, des procès présentant un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ».

Dans un souci de protection de l’institution judiciaire pénale chargée de parvenir à la manifestation de la vérité, la publicité des débats constitue une garantie pour le justiciable.  En effet, la publicité de la procédure pénale « protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public »[7] et contribue également « à préserver la confiance dans l’institution judiciaire »[8].  C’est ainsi que le droit à un procès public constitue l’une des garanties fondamentales du droit à un procès équitable (art 6§1, Conv.EDH). Dès lors, la captation audiovisuelle du procès pénal participe-t-elle à la publicité des débats ? La présence de caméra en vue de capter l’audience est-elle susceptible de modifier le déroulement et l’issue du procès pénal. Plus précisément, même « s’il est possible d’utiliser des dispositifs de captation et d’enregistrement qui ne perturbent pas en eux le déroulement des débats »[9], l’attitude des parties et participants au procès pénal peut être modifiée dès lors qu’ils se savent filmés. La sérénité des débats est-elle vraiment garantie notamment à l’égard des parties civiles qui, lorsqu’elles refusent d’être filmées, doivent bénéficier d’un accès aménagé à la juridiction ? Dans notre système procédural inquisitoire, le président dirige les débats (art 309 Cpp) en distribuant la parole mais aussi en posant les questions tout en veillant au respect de la présomption d’innocence de l’accusé face « à la société qui l’accuse ». Comment la captation vidéo des audiences peut-elle permettre, a posteriori, d’interpréter les silences, les expressions, les gestes de ceux qui sont au cœur du procès pénal ?

Comment garantir les droits de la défense ?

Si les règles relatives à l’encadrement de la médiatisation des procès judiciaires contribuent à la protection de la présomption d’innocence, les droits de la défense doivent être garantis. Aussi, ces captations audiovisuelles intégrales du procès sont réalisées à partir de points fixes et le président de l’audience peut, dans l’exercice de son pouvoir de police, s’opposer aux enregistrements ou les interrompre momentanément lorsque des atteintes sont portées au bon déroulement des débats ou au libre exercice des droits de la défense. Mais cela est-il suffisant ? La protection des droits de la défense et la préservation du secret professionnel interdisent également la captation de diverses communications, en particulier celles entre un avocat et son client. Les droits de la défense, cet ensemble de prérogatives qui permettent à l’accusé de se défendre devant la juridiction pénale, sont-ils à mêmes de protéger le droit à l’image, le droit à l’oubli ou même le droit à la vie privée de l’accusé lorsque cette captation audiovisuelle sera accessible dans les archives de la justice[10] ?

La captation vidéo du procès même pour l’histoire ne permet pas de partager ou de reproduire le procès pour l’histoire, les unités de paroles, de temps et de lieu constituent des garanties indispensables notamment à l’exercice des droits de la défense et celles-ci ne peuvent ressortir d’une captation vidéo. Est-il véritablement possible d’éclairer l’opinion publique et de forger une mémoire collective à partir d’archives audiovisuelles de la justice ? La question reste posée à l’heure où d’une part, l’on constate la place déjà importante des « live tweets »[11] lors des audiences et d’autre part, l’on envisage de filmer les procès en cours[12], afin d’inscrire l’œuvre de justice dans la confiance dans l’institution judiciaire et la culture commune des citoyens.

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