Par Margaux Bouaziz – Maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne
Kevin McCarthy, candidat républicain, a été élu président de la Chambre des représentants des Etats-Unis dans la nuit du vendredi 6 janvier au samedi 7 janvier 2023. Une élection historique puisqu’il aura fallu attendre le quinzième scrutin et faire face à un blocage important des républicains radicaux, avant qu’un speaker ne soit enfin désigné.

Quel est le rôle du speaker de la Chambre des représentants des États-Unis ? Comment est-il élu ?

La fonction de Speaker de la Chambre des Représentants équivaut en France à celle de président de l’Assemblée nationale. Le Speaker a un double rôle : il est à la fois le chef partisan de la majorité parlementaire et celui qui organise le fonctionnement interne de la Chambre.

Cette fonction est prévue par la Constitution des États-Unis à l’article 1er, consacré au pouvoir législatif, section 2. alinéa 5. Il dispose que le Speaker et les autres membres du bureau sont choisis par la Chambre des Représentants. Cela garantit l’indépendance de la Chambre vis-à-vis des autres organes politiques tels que le Président et le Sénat. La Constitution ne prévoit pas qu’il doit être un membre de la Chambre, même si tous ceux qui ont été élus jusqu’à maintenant l’étaient.

L’élection du Speaker a lieu tous les deux ans après les élections fédérales, puisque la Chambre des représentants se renouvelle intégralement à cette occasion. Une élection peut également intervenir en cas de décès, de démission, ou de destitution du Speaker.

La procédure d’élection a lieu avant que les membres de la Chambre ne prêtent le serment leur permettant d’entrer en fonction. C’est donc le premier acte accompli par la Chambre réunie après les élections et tant qu’elle n’a pas eu lieu le travail du Congrès ne peut commencer.

Jusqu’en 1939, l’élection avait lieu au scrutin secret. Tel est d’ailleurs le cas en France pour l’élection des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Cependant, depuis cette date, l’élection se déroule maintenant au scrutin public, ce qui signifie que le vote de chaque membre est connu.

Pour être élu, il faut recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés. Certains membres peuvent se déclarer « présents », ce qui équivaut à une abstention et leur voix n’est alors pas décomptée dans le calcul total des voix. Il n’y a aucune limite au nombre de tours de scrutin ni de logique de restriction des candidatures. Tant qu’aucun candidat n’a recueilli la majorité des suffrages exprimés (sans compter les « présents »), un nouveau tour de scrutin est organisé.

Cette élection est très importante puisque le Speaker dispose de nombreuses prérogatives concernant l’organisation interne de la Chambre. L’élection du Speaker désigne ainsi le parti majoritaire et cela détermine notamment la répartition des présidences de commissions, la création de nouvelles commissions ou encore l’élaboration du règlement de la Chambre.

Aux États-Unis, le système de partis est bipartisan. Cela signifie que, le plus souvent, seulement deux partis sont représentés à la Chambre des Représentants : le parti républicain et le parti démocrate. Ainsi, en principe, un des deux partis a la majorité des sièges, ce qui lui garantit la majorité des voix pour élire le chef de son parti à la Chambre comme Speaker.

Chaque parti sélectionne d’ailleurs un candidat au sein de son groupe parlementaire partisan avant l’élection afin de garantir une cohérence de votes et la majorité absolue des voix. Seules deux hypothèses peuvent ainsi conduire à de multiples tours de scrutin : soit un tiers parti émerge et aucun parti n’a à lui seul la majorité des sièges, soit il n’y a pas de discipline partisane suffisante pour garantir que le candidat du parti majoritaire soit élu dès le premier tour de scrutin.

Pour quelle(s) raison(s) l’élection d’un speaker à la tête de la Chambre des représentants a-t-elle conduit à une telle crise politique aux États-Unis ? Ce scénario était-il inédit ?

Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution américaine en 1789, il y a eu 128 élections de Speakers et la très grande majorité a eu lieu dès le premier tour de scrutin. Seules quinze élections ont requis plusieurs tours de scrutin, et treize parmi ces quinze ont eu lieu avant la Guerre civile (1861-1865). Le record de nombre de tours de scrutin est l’élection du Speaker en 1855 où il aura fallu 133 tours. Depuis la fin de la Guerre civile, seules deux élections ont donc nécessité plus d’un tour : l’élection de 1923, où il aura fallu neuf tours de scrutin et l’élection de 2023, qui en a requis quinze.

En 1923, l’aile progressiste du parti républicain a refusé de voter pour le candidat du parti, et ce en vue de faire pression sur le parti afin qu’il accepte un certain nombre de réformes procédurales qui leur seraient favorables. Cette stratégie a fonctionné et le Speaker a fini par être élu.

L’histoire s’est en quelque sorte répétée en 2023, mais cette fois-ci avec l’aile droite du parti républicain. Ce parti est principalement divisé en deux groupes parlementaires : le Republican Study Committee qui réunit 156 des 222 républicains et le Freedom Caucus qui comprend 54 membres. Ce dernier compose la frange d’extrême droite populiste du parti républicain. Ce sont une partie des membres de ce groupe qui ont refusé de voter pour le candidat désigné par le groupe républicain pour le rôle de Speaker.

Des membres de ce groupe parlementaire ont ainsi récolté une vingtaine de voix lors des premiers tours de scrutin, ce qui constituait une minorité de blocage empêchant le candidat républicain, Kevin McCarthy, d’être élu. Au cours des onze premiers tours de scrutin, celui-ci ne récoltait qu’entre 200 et 203 voix, soit environ 46% des suffrages exprimés ce qui n’était pas suffisant pour être élu. En face, le candidat démocrate obtenait inlassablement les 212 voix des membres de son parti, soit 49% des suffrages exprimés, ce qui n’était donc pas non plus suffisant. Aux douzième et treizième tours de scrutin, l’opposition se réduit progressivement à sept puis six membres.  Au quatorzième tour, il n’y a plus que quatre dissidents, et deux membres ont accepté de voter « présents » ; cela signifie que le seuil de majorité est abaissé. Enfin, au quinzième tour de scrutin, six membres votent « présents » ce qui abaisse encore le seuil de majorité à 215 (au lieu de 218). Kevin McCarthy est finalement élu, à une voix près, avec 216 voix. Le scrutin fut donc très disputé et des républicains modérés ont même un temps envisagé une candidature bipartisane fondée sur une alliance avec les démocrates, mais cette option a finalement été écartée.

Cette élection n’a été acquise qu’à la suite d’âpres négociations avec le Freedom Caucus et de concessions du futur Speaker. Au début de chaque législature, le règlement de la Chambre est adopté et les commissions parlementaires sont instituées. Cette minorité dans la majorité voulait ainsi se tailler la part du lion dans les présidences des commissions et s’assurer de pouvoir, tout au long de la législature, contrôler leur majorité et la tenir en respect.

Cette élection illustre bien la polarisation de la vie politique américaine où les extrêmes prennent une place de plus en plus importante. Cependant, cela s’explique également par la courte majorité dont disposent les républicains (à peine 51% des sièges), ce qui donne un fort pouvoir de négociation à la minorité radicale.

Que contient le nouveau règlement adopté par les élus de la Chambre des représentants ?

La première modification apportée au règlement de la Chambre, qui était demandée par le Freedom Caucus, concerne la faculté pour n’importe quel membre de la chambre de demander un vote de défiance à l’encontre du Speaker (auparavant, ce vote ne pouvait intervenir qu’à la demande d’un parti). D’autres modifications sont intervenues pour rallonger le temps de parole et la durée des débats.

Le reste des nouvelles règles sont relatives, pour l’essentiel, à des questions budgétaires visant à encadrer plus strictement les dépenses. La création de plusieurs commissions spéciales a également été proposée, mais pas encore adoptée (notamment une commission sur l’instrumentalisation du gouvernement fédéral). La Chambre prévoit également de voter des lois relatives au financement de l’avortement et à l’énergie.

S’agissant du reste des engagements de McCarthy, ils n’ont pas fait l’objet d’une communication publique et l’avenir permettra sans doute de voir les concessions faites par lui au nombre desquelles figurent vraisemblablement la fin de l’aide financière à l’Ukraine ou un rôle plus important pour le Freedom Caucus dans la direction du parti au sein de la Chambre en lui donnant notamment un nombre important de sièges dans la commission relative au règlement.

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