Par Thomas Herran, maître de conférences à l’Université de Bordeaux

Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, va comparaître devant la justice britannique qui devra décider de l’extrader ou non vers les États-Unis. Il est inculpé pour espionnage par la justice américaine et risque, s’il est condamné là-bas, jusqu’à 175 ans de prison.

Que risque Julian Assange s’il est extradé aux États-Unis ?

Julian Assange est poursuivi aux États-Unis pour avoir obtenu et publié des milliers de documents classifiés concernant la Défense nationale américaine. Un acte d’accusation du 23 mai 2019 détaille les charges à l’encontre du créateur de Wikileaks et retient 18 chefs d’accusation à son encontre pour avoir été complice de Chelsea Manning, ancien agent du renseignement de l’armée américaine. Plus précisément, il lui est reproché d’avoir conspiré avec cette dernière, de l’avoir encouragée et aidée à obtenir des informations classifiées, d’avoir reçu et tenté de recevoir des informations classifiées et d’avoir communiqué les documents contenant de telles informations.

Un nouvel acte d’accusation a été pris, en remplacement du précédent, le 24 juin dernier. Celui-ci ne prévoit pas de nouveau chef d’accusation mais étend les poursuites à d’autres faits. Le complot dont il était déjà accusé a un périmètre élargi puisqu’ont été ajoutés des faits de recrutement de pirates pour commettre les intrusions informatiques. Pour autant, cet élargissement ne devrait avoir aucune incidence sur la peine encourue. Celle-ci devrait toujours être de 175 ans de réclusion, ce qui correspond au cumul des peines prévues pour chacune des infractions pour lesquelles il est poursuivi.

Que va examiner la justice britannique ?

La justice américaine a transmis aux autorités britanniques une demande d’extradition afin que Julian Assange soit remis en vue de son procès. Bien évidemment, l’intéressé conteste cette remise et invoque que son extradition entraînerait des violations à ses droits de l’Homme. Il estime notamment être poursuivi pour des raisons politiques. Cet argument, qui va être examiné par le juge britannique, s’appuie sur le fait que le droit extraditionnel exclut classiquement la remise d’une personne soit lorsqu’elle est poursuivie pour la commission d’une infraction politique, soit lorsque la demande d’extradition a des motivations politiques. Ce motif de refus est d’ailleurs prévu à l’article 4 du traité d’extradition conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis du 31 mars 2003.

Toutefois, l’appréciation du caractère politique de l’infraction est périlleuse, et ce pour deux raisons : d’une part, la notion d’infraction politique n’est pas universelle et n’est pas toujours clairement définie ; d’autre part, l’extradition n’est pas une procédure judiciaire comme les autres et revêt en quelque sorte une fonction diplomatique. La juridiction britannique est donc confrontée à une situation délicate. Quoiqu’il en soit, les faits reprochés à Julian Assange et les qualifications juridiques retenues par l’acte d’accusation laissent peu de place au doute. En effet, il existe un consensus pour dire qu’une infraction politique est une infraction contre la sécurité de l’État. L’exemple idoine est celui de l’espionnage. Or, les chefs d’accusation contre le créateur de Wikileaks relèvent justement du Espionage Act de 1917. Par conséquent, la juridiction anglaise devrait refuser l’extradition.

Quand bien même la qualification d’infraction politique serait rejetée, le juge britannique devra également vérifier que l’extradition n’est pas motivée par des motifs politiques. Ce motif de refus permet, par exemple, de faire obstacle à la remise d’un opposant politique visé par une demande d’extradition mensongère, dans le seul dessein de représailles politiques. Encore plus délicat que le précédent en raison de ses incidences diplomatiques, ce motif de refus a peu de chances de prospérer dans l’affaire Assange.

Le rédacteur en chef de Wikileaks a déclaré : « L’avenir du journalisme est en jeu ». Avec cette affaire, quels sont les enjeux en matière de protection des sources ?

L’affaire Assange présente des enjeux majeurs car elle illustre la difficile conciliation entre deux impératifs : d’un côté, la sécurité nationale ; de l’autre, la liberté d’expression et le droit à l’information. Le premier implique la protection de nombreuses informations, couvertes par le secret défense et dont la divulgation est pénalement sanctionnée. Le second est un droit fondamental protégé dans toute société démocratique. En sa qualité de « chien de garde de la démocratie », pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l’Homme, le journaliste doit avoir les moyens d’assurer sa mission sans être menacé de sanction.

Ces dernières années, les affaires illustrant le fragile équilibre entre ces deux enjeux ne manquent pas. L’un des derniers exemples en France est la convocation de plusieurs journalistes par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2019 alors qu’ils travaillaient sur l’affaire Benalla ou encore celle des armes françaises utilisées au Yémen.
Julian Assange est devenu le symbole de cette délicate conciliation et du combat des journalistes pour défendre leur liberté d’expression et le droit à l’information du public.

Cela étant, ce débat ne devrait pas interférer dans la décision du juge britannique, ces considérations étant étrangères à la décision sur l’extradition.