Par Jean-Jacques Urvoas – Ancien garde des Sceaux – Professeur de droit public à l’Université de Brest
Le Conseil constitutionnel a rendu, vendredi 14 avril, ses deux décisions dans le cadre de la réforme des retraites. Dans la première décision portant sur la loi retraites, il a écarté l’ensemble des griefs portant sur le déroulement de la procédure législative.

Pour Jean-Jacques Urvoas, “conformément à leur souci constant de sécurité juridique, les juges constitutionnels n’ont pas fait évoluer leur jurisprudence, ce que ne manqueront pas de regretter les juristes optimistes qui espéraient une grande décision innovante. De fait, l’attente inédite de la décision, le contexte politique explosif, l’accumulation sans précédent des dispositifs constitutionnels coercitifs, le permettaient. Les universitaires prudents, et il n’en manque pas non plus, seront quant à eux rassurés par cette continuité.”.

Pour quelle(s) raison(s) les arguments tenant à la procédure utilisée par le gouvernement ont-ils été rejetés par le Conseil constitutionnel ?

Au terme d’une décision concise et dans une écriture sans nuance, tous les arguments de procédure ont été étudiés pour être unanimement balayés par des motivations synthétiques.

Le recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale ? « Le choix qui a été fait à l’origine par le gouvernement (…) ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle ».

L’usage du 47-1 ? « Eu égard l’état d’avancement de l’examen du projet de loi par l’Assemblée à l’issue de ce délai, la prolongation des débats devant cette chambre n’aurait pas permis l’adoption de ce texte ».

Le 49.3 ? « L’exercice de cette prérogative (…) conférée au Premier ministre n’est soumis à aucune autre disposition que celles posées [par l’alinéa 3 de la 49] ».

Le 44.2 ? « La circonstance que ces sous-amendements n’aient pas pu être défendus par leurs auteurs est insusceptible d’avoir porté, en l’espèce, une atteinte substantielle au droit d’amendement ».

Le 44.3 ? « Le recours par le gouvernement à la procédure du vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion de chacune des dispositions du texte sur lequel il était demandé par le Sénat de se prononcer par un seul vote ».

L’application cumulative de plusieurs procédures ? « Si l’utilisation combinée des procédures (…) a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions du débat, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ».

Le raisonnement de nature déductive et la méthode de contrôle formaliste qui sont la marque du Conseil constitutionnel ont l’avantage de l’efficacité mais l’inconvénient de brièveté.

Quelles sont les conséquences de cette décision pour le gouvernement ?

Naturellement, le gouvernement peut estimer en sortir renforcé. Non seulement, son texte est déclaré globalement conforme à la Constitution, mais surtout, pour demain, il se voit doté d’un nouvel outil procédural contribuant à l’aliénation du Parlement. En effet, il est fondé à considérer qu’une loi de financement rectificative peut servir à réformer profondément le droit social. Si des parlementaires devaient s’en inquiéter, qu’ils s’attellent promptement à une modification de la loi organique concernée.

Qu’en est-il des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ?

Il n’est pas interdit aussi de regretter que le Conseil constitutionnel n’ait pas saisi l’opportunité pour exploiter véritablement les exigences de clarté et de sincérité qu’il a pourtant créées de toute pièce. Ces dernières sont dorénavant quasiment mobilisées dans toutes les saisines et logiquement, le Conseil constitutionnel y fait perpétuellement référence pour écarter les critiques. Mais sans que jamais ne soient clairement définies ces notions. « La sincérité des débats parlementaires est une notion qui s’apprécie globalement » répond-on au Conseil constitutionnel. Certes, mais on peut ne pas partager l’optimisme de Pangloss et considérer que la simple affirmation logique ne constitue pas un instrument qui suffise. Surtout quand, à trois reprises, le Conseil réfute une atteinte « substantielle », qu’il précise que l’accumulation a été « inhabituelle » et que son appréciation ne vaut « qu’en l’espèce ».

Puisque la principale qualité que l’on prête au droit tient à sa prévisibilité, quelle(s) combinaison(s) de mise en œuvre constituerai(ent) une violation du principe de clarté et d’intelligibilité du débat parlementaire et quelle(s) association(s) n’en serai(ent) pas une ?

Enfin, face au caractère elliptique de quelques motivations de la décision, on en vient à regretter que le Conseil n’autorise pas l’expression des opinions séparées. Le droit n’étant pas une science exacte, la motivation contient une vertu pédagogique. Et quand celle-ci est laconique, la publication d’interprétations concurrentes pourrait contribuer à dissiper le soupçon de l’arbitraire qui pèse toujours sur le juge.