L’ajout des questions et enjeux climatiques à la Constitution serait au programme de la prochaine réforme des institutions prévue par le Gouvernement, qui devrait être présentée le mois prochain.

Décryptage par Yann Aguila, enseignant en droit public à Sciences Po et Président de la Commission environnement du Club des juristes.

« La mention expresse du climat dans la Constitution irait dans le sens de la clarté et de la sécurité juridique »

La première question touche au principe même de la révision : le climat a-t-il sa place dans la Constitution ?

La lutte contre le réchauffement climatique est un objectif qui a toute sa place dans la Constitution. La principale raison tient au facteur temps : l’action politique, dans ce domaine plus qu’ailleurs, doit s’inscrire dans la durée. Il faut ici revenir aux fonctions de la Constitution. Celle-ci a vocation à protéger les valeurs fondamentales d’une société, celles que l’on souhaite mettre à l’abri des changements de majorité. Les normes constitutionnelles sont le reflet d’exigences de long terme, qui nous rassemblent au-delà des contingences politiques. C’est pourquoi la Constitution est un réceptacle particulièrement adapté aux questions climatiques et, plus largement, environnementales. Il s’agit ici de prendre en compte les intérêts non seulement des générations présentes, mais aussi des générations futures. Pour le dire autrement, un développement durable a besoin de normes durables.

Or, la Charte de l’environnement de 2004, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité et qui a pleine valeur juridique, ne mentionne pas le climat. On peut regretter cette lacune – alors que, par exemple, ce texte évoque explicitement la notion de biodiversité, dans son préambule. Certes, par une interprétation constructive, le Conseil constitutionnel pourrait sans doute juger que la Charte contient déjà, implicitement mais nécessairement, le climat, puisqu’elle protège, d’une façon générale, l’environnement : le climat de la planète est évidemment l’une des composantes de l’environnement. Toutefois, comme le dit l’adage, « ce qui va sans dire va mieux en le disant ». Pourquoi attendre du juge qu’il fasse un effort d’interprétation lorsque nous avons, à l’occasion de la prochaine révision constitutionnelle, la possibilité de combler cette lacune? La mention expresse du climat dans la Constitution irait dans le sens de la clarté et de la sécurité juridique. Elle renforcerait la légitimité du juge constitutionnel s’il devait un jour censurer une loi sur ce fondement.

Enfin, au-delà du débat juridique, il ne faut pas négliger la force symbolique qui s’attache aux dispositions de la Constitution. C’est ainsi que, sur la scène internationale, à l’heure où certains remettent en cause l’Accord de Paris, l’inscription du climat dans la Constitution française aurait un certain sens.

Sur le plan formel, dans quel article de la Constitution devrait figurer la mention du climat ?

A titre liminaire, il faut surtout exclure toute modification de la Charte de l’environnement de 2004 elle-même. Celle-ci est au nombre des textes historiques et symboliques qui forment l’héritage constitutionnel français. Ainsi, on n’imagine pas aujourd’hui apporter un amendement à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ou au Préambule de la Constitution de 1946. De même, il serait dangereux de s’engager dans la voie d’une révision de la Charte de 2004.

Il faut donc trouver une place dans le corps même de la Constitution. La difficulté vient alors de ce que cette dernière comporte principalement des règles formelles. Par sa structure, la Constitution de la 5ème République offre peu d’options pour énoncer un nouveau principe substantiel relatif au climat. L’article 34, semble-t-il, est envisagé. Toutefois, cet article a pour objet de définir le domaine de la loi. On pourrait donc craindre que la nouvelle disposition se borne à consacrer la compétence du législateur en matière de climat, sans véritablement énoncer de principe de fond dans ce domaine.

C’est pourquoi, si l’on souhaite que le climat soit évoqué d’une façon plus substantielle, l’article 1er paraîtrait plus approprié. Celui-ci proclame l’indivisibilité de la République et consacre des exigences de fond, telles que les principes d’égalité et de laïcité. C’est cet article qui avait été choisi pour accueillir en 2008 le principe de l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales. L’histoire de cette révision est d’ailleurs intéressante : alors que l’Assemblée nationale avait inséré ce principe de parité à l’article 34, le Sénat l’a déplacé à l’article 1er. Selon le rapporteur de la révision devant le Sénat : « L’affirmation d’un tel principe ne doit pas figurer à l’article 34 de la Constitution, mais plutôt à l’article premier. En effet, l’article 34 de la Constitution définit le domaine de la loi, alors que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale détermine un objectif ». Rien n’interdit de poursuivre cette logique, et d’ajouter à l’article 1er une disposition relative aux politiques climatiques.

Une autre solution possible pourrait consister à créer un nouvel article dans la Constitution. Cela présenterait l’avantage de ne pas surcharger l’article 1er, qui resterait circonscrit aux éléments constitutifs de la République. Il pourrait d’ailleurs être utile pour l’avenir de disposer d’un tel « article-balai », qui aurait vocation à accueillir des principes de fond.

Quelle pourrait être la formulation de la nouvelle disposition sur le climat ?

Un écueil à éviter dans la rédaction serait de se limiter à inscrire dans la Constitution un simple renvoi à une convention internationale – on pense bien évidemment à l’Accord de Paris. Ce type de renvoi entre systèmes juridiques peut prêter à confusion, en particulier quant au juge compétent pour contrôler la loi : rappelons que si le Conseil constitutionnel s’assure de la conformité de la loi à la Constitution, c’est le juge ordinaire qui vérifie que la loi respecte les traités internationaux.

Les rédacteurs pourraient se souvenir que, pour paraphraser la formule de Portalis, la Constitution permet ou ordonne. Ici, il serait souhaitable que la disposition ne prévoie pas seulement une permission, mais aussi une obligation.

Une disposition permissive consisterait en une simple habilitation du législateur à agir en matière climatique. Certes, elle présenterait déjà un grand intérêt puisqu’elle permettrait, en cas de conflit de normes, de faire prévaloir plus aisément les exigences de l’action climatique sur d’autres objectifs constitutionnels. Rappelons à ce titre que le Conseil constitutionnel s’est déjà trouvé à plusieurs reprises confronté à des situations de mise en balance entre différents principes constitutionnels. Tel a été le cas, par exemple, lors de l’examen de la contribution carbone, qu’il a censurée sur la base d’une conception rigoureuse du principe d’égalité (décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009). Plus récemment, s’agissant de l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, le juge constitutionnel a dû trancher un conflit entre la protection de l’environnement et la liberté d’entreprendre (décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013). En un mot, une disposition permissive présenterait déjà l’avantage de faciliter l’adoption de lois ambitieuses en matière climatique.

Mais, pour aller plus loin, la nouvelle disposition pourrait être conçue comme un impératif. Il s’agirait alors de fixer au législateur un objectif à atteindre. Par analogie, on peut citer l’article 6 de la Charte de l’environnement, dont les rédacteurs pourraient s’inspirer : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable ». La Constitution instituerait alors une obligation d’agir pour les pouvoirs publics, en vue de lutter contre le réchauffement climatique.