Par Grégoire Loiseau, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

« Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale » dispose l’article L. 511-3-1 du Code l’éducation. Ce texte, issu de la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019, donne une identité juridique au harcèlement scolaire. Si la reconnaissance est nette, le texte, cependant, s’en tient là et a une valeur avant tout symbolique. Il ne dicte pas lui-même de mesures ayant pour objet de lutter contre le harcèlement scolaire dans une double perspective de prévention et de sanction.

Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : quelle prévention ?

Des mesures préventives propres au harcèlement scolaire existent pourtant, sans compter les campagnes de sensibilisation, qui ont une base légale ou réglementaire dans le Code de l’éducation. Celui-ci prévoit, de façon générale, que le conseil d’administration des collèges et lycées adopte un plan de prévention de la violence qui inclut un programme d’action contre toutes les formes de harcèlement (C. éduc., article R. 421-20). S’agissant plus particulièrement du cyberharcèlement, une formation à une utilisation responsable des outils et des ressources numériques doit être dispensée dans les écoles et les établissements d’enseignement. Parmi les questions abordées, il est attendu que cette formation comporte une sensibilisation sur l’interdiction du harcèlement commis dans l’espace numérique, la manière de s’en protéger et les sanctions encourues en la matière (C. éduc., article L. 312-9).

Quelles sanctions prévues contre le harcèlement à l’école ?

En ce qui concerne ces dernières, il n’existe pas toutefois de sanctions spécifiques au harcèlement scolaire. Ce sont celles du harcèlement pénalement incriminé qui sont susceptibles d’être appliquées. Générale, l’incrimination n’en est pas moins adaptée aux faits de harcèlement scolaire. Appréhendant les faits de harcèlement sous la forme qu’ils peuvent prendre en milieu scolaire (insultes, moqueries, agressions physiques, etc.), le texte s’étend au cyberharcèlement qui progresse à la faveur des réseaux sociaux et s’est encore aggravé durant la période de confinement. L’article L. 222-33-2-2 du Code pénal vise spécialement à ce propos la commission des faits par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. Le texte incrimine également les raids numériques ou harcèlement de meute lorsque les propos ou les comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas nécessairement agi de façon répétée. Le harcèlement scolaire se retrouve trop souvent dans ce type d’agissements. Il peut en outre être fait appel à d’autres infractions. L’incrimination du revenge porn, en particulier, permet de sanctionner des formes de cyberharcèlement par la publication de contenus à caractère sexuel qui ont été enregistrés avec le consentement de la personne en cause mais qui sont diffusés contre sa volonté (C. pén., article 226-2-1).

Le dispositif pénal couvre par ailleurs les faits de harcèlement quels qu’en soient l’auteur ou les auteurs. Contrairement à la présentation imparfaite qu’en donne l’article L. 511-3-1 du Code l’éducation en ne ciblant que les faits dont un élève serait victime de la part d’autres élèves, le harcèlement scolaire n’est pas réductible à cette situation. Il arrive aussi que ce soit des enseignants ou des surveillants qui se livrent par leur comportement, et notamment par leurs propos, à des faits de harcèlement. Si les dispositions pénales s’appliquent indifféremment à tous les auteurs, sous réserve de la capacité de discernement, les peines sont en revanche augmentées, concrètement doublées, lorsque les faits ont été commis sur un mineur de quinze ans. Les peines sont même triplées si au moins deux circonstances aggravantes sont réunies que seraient, en matière de harcèlement scolaire, l’âge du mineur et l’utilisation d’un mode de communication en ligne ou d’un support numérique.

Vers une nouvelle définition du harcèlement scolaire ?

Que penser de tout cela ? Le dispositif législatif est certainement, en l’état, suffisant, ce qui ne veut pas dire satisfaisant. Il est suffisant car, si l’on peut toujours faire plus et mieux en termes de prévention, il n’est pas nécessaire pour cela d’avoir l’appui de textes supplémentaires. Et sur le terrain des sanctions, le droit pénal coiffe à la fois tous les types d’agissements harcelant et toutes les personnes pouvant s’en rendre, individuellement ou collectivement, coupables tout en prenant en compte, en ce qui concerne la peine, l’âge de la victime lorsqu’il s’agit d’un mineur de moins de quinze ans. Que pourrait-on ajouter sachant que peuvent être aussi appliquées des mesures ou des sanctions éducatives, comme l’interdiction de fréquenter certaines personnes ? Suffisant n’est pas toutefois satisfaisant. Il manque dans un environnement juridique très vaste, composé de textes spéciaux et de textes généraux, de mieux identifier le harcèlement scolaire. Cela implique d’en revoir la définition étriquée de l’article L. 511-3-1 qui le réduit aux faits d’« autres élèves » et n’envisage son objet ou son effet que sous l’angle d’une « dégradation des conditions d’apprentissage » alors que son impact sur la santé physique ou psychique de la victime n’est pas forcément lié à une dégradation de la situation scolaire et peut se manifester sans que celle-ci soit affectée. Un rapport remis le 14 octobre dernier aux ministres de l’Éducation nationale et de la Justice par le député Erwan Balanant, intitulé « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », propose à cet égard de définir le harcèlement scolaire ou lié au contexte scolaire comme « l’ensemble des comportements agressifs qu’un ou plusieurs élève(s) ou personnel(s) scolaires inflige(nt) à un élève de façon réitérée et sur une certaine période, à l’intérieur d’un établissement d’enseignement ou dans un lieu où la vie de celui-ci se prolonge (notamment à ses abords, sur le chemin pour s’y rendre ou en ligne). Ces violences physiques, verbales ou psychologiques visent, intentionnellement ou non, à porter préjudice à l’élève ciblé, à le blesser ou à le mettre en difficulté et induisent une relation d’emprise psychologique ». Cette définition permettrait assurément de mieux visualiser le phénomène de harcèlement et, corrélativement, d’y ajuster les mesures de prévention. Quant aux mesures de sanction, s’il n’y a pas de nécessité d’en concevoir de nouvelles au plan pénal, il serait opportun que l’article L. 511-3-1 en fasse expressément mention ou y renvoie pour ne pas donner l’impression que le harcèlement scolaire n’en comporte pas qui lui soient associées. L’impression est d’autant plus malheureuse que l’article qui le précède, l’article L. 511-3 relatif au bizutage, reproduit les dispositions pénales qui s’y rapportent.

En somme, tout en reconnaissant que l’évolution de l’appareil normatif a connu ces dernières années une dynamique encourageante, il faut à présent la poursuivre et le droit être encore et toujours en mouvement.