Le projet Montagne d’Or, porté par la société du même nom, est un projet minier situé en Guyane. Avec ses 2.5 kilomètres de longueur et ses 400 mètres de profondeurs, il fait l’objet de vives critiques en raison de sa situation géographique (en plein cœur de la forêt guyanaise). Alors que le projet est toujours en discussion, un arrêté qui autorisait la société Montagne d’Or à effectuer des travaux d’exploitation d’or alluvionnaire en marge du projet principal a été annulé par le tribunal administratif le 11 février dernier.

Décryptage par Sébastien Hourson, professeur de droit à l’Université de Clermont-Ferrand.

« Cette première décision doit être mesurée à sa juste valeur puisqu’elle offre de faibles gages pour l’avenir.»

Pour quelles raisons le tribunal administratif de Guyane a-t-il annulé l’arrêté du préfet autorisant la société Montagne d’or à ouvrir des travaux d’exploitation d’or alluvionnaire en Guyane, en marge du projet d’extraction ?

L’annulation prononcée par ce jugement, rendu le 11 février 2019, s’avère assez éloignée au fond de préoccupations environnementales. Elle repose sur deux irrégularités tenant exclusivement aux conditions procédurales de la décision publique. Cela n’est pas surprenant dans une matière si propice – en apparence du moins – aux prescriptions administratives.

Au titre du premier motif, le tribunal administratif juge que l’étude d’impact méconnaît une exigence de globalité. En effet, selon les dispositions de l’article L. 122-1 du code de l’environnement « lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble […] afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité ». Or, dans cette affaire, seules sont analysées par l’étude d’impact les conséquences attachées à l’exploitation d’or alluvionnaire, qui représente une part très réduite de l’ensemble de la concession (environ 7% du territoire). Au regard des effets environnementaux, cette entreprise n’est pourtant en rien dissociable de l’ensemble du projet d’exploitation minière : le lieu, la ressource et l’exploitant sont identiques. On pourrait objecter que les techniques et les conditions d’extraction du précieux métal diffèrent suffisamment pour justifier plusieurs analyses distinctes. Toutefois, l’argument manquerait sa cible puisque, peu importent les moyens, l’étude d’impact se borne à l’évaluation des incidences environnementales. Il est aussi tentant pour la société de prétexter l’indétermination du second projet au moment de la demande concernant le premier projet. La manœuvre paraît cependant vaine, car il revient à l’exploitant de faire valoir l’intégralité de ses intentions : à défaut, chacun aurait beau jeu d’échelonner dans le temps des travaux pour empêcher l’examen global et minimiser in fine les conséquences environnementales.

Le second motif de l’annulation réside dans l’absence d’une séparation fonctionnelle suffisante entre l’autorité compétente pour autoriser le projet (le préfet) et l’agent administratif s’étant prononcée pour avis (une directrice adjointe de pôle au sein de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DEAL) qui a instruit le projet). Il est certes possible que l’administration cumule les fonctions de consultation et d’autorisation pour un même projet environnemental. C’est néanmoins à la stricte condition d’apporter les éléments établissant, en son sein, une séparation satisfaisante pour permettre un avis objectif et autonome. Or dans l’organisation administrative française, bâtie avec le ciment de l’unité et de la hiérarchie, il s’avère concrètement malaisé de donner des gages d’autonomie réelle quand l’agent consulté se trouve subordonné à l’autorité décisionnaire… Une solution plus convaincante est désormais apportée par la Mission régionale d’autorité environnementale guyanaise (MRAE), entité étatique dont les membres sont désignés pour leurs compétences spécifiques et mieux séparés de l’autorité préfectorale (v. CE, 6 décembre 2017, Association France nature environnement, n° 400559).

À la suite du Communiqué de la société Montagne d’or, certaines associations ont dénoncé une « pratique illégale du saucissonnage de projet ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Les associations font référence à une technique particulièrement séduisante pour certains entrepreneurs. Tout est dans la manière de présenter aux autorités administratives le projet. Il s’agit simplement pour la société de diviser de manière artificielle un projet pour en donner une apparence plus acceptable au regard des conséquences environnementales. Autrement dit, l’entreprise responsable fractionne en plusieurs lots toutes les opérations projetées, espérant ainsi obtenir les autorisations administratives requises et, sans doute, moins alerter les organismes de protection de la nature. Car, considéré isolément, chaque sous-projet produit certainement moins de dégâts que le projet dans son ensemble : s’il est possible de faire avaler des couleuvres, il est tout de même plus aisé de digérer des couleuvreaux…

Cette décision aura-t-elle un effet sur le projet principal de la Montagne d’or, à savoir le projet d’extraction de la mine d’or à ciel ouvert ?

Le jugement rendu par le tribunal administratif constitue, de toute évidence, une belle victoire pour les associations de défense du site naturel. Toutefois, cette première décision doit être mesurée à sa juste valeur puisqu’elle offre de faibles gages pour l’avenir.

Le cheminement juridictionnel peut encore être long, car des voies de recours sont ouvertes pour les parties. On doit ainsi nourrir une certaine prudence quant aux futures décisions de justice. Si le jugement perçoit dans les deux irrégularités procédurales des vices substantiels, rappelons que le Conseil d’État se montre relativement peu protecteur des conditions relatives à la procédure. Sans avoir rompu avec les logiques traditionnelles, la jurisprudence Danthony offre davantage de possibilités au juge. Concernant la séparation, d’aucuns pourraient considérer que la consultation par une autorité administrative limite, en toute hypothèse, les facultés de séparation réelle ; et se contenter de cette distinction très imparfaite. Au lieu d’imposer à l’administration d’apporter les preuves matérielles de l’autonomie de l’auteur de l’avis, le Conseil d’État se bornerait alors à considérer la présence d’une différenciation institutionnelle de l’administration déconcentrée, tout en s’assurant que l’avis réponde bien aux objectifs européens. Il reste que le renforcement des garanties environnementales – par la création des Missions Régionales d’Autorités environnementales (MRAE) – suggère de confirmer le sens du jugement sur ce point. Quant à l’étude d’impact, on ne saurait difficilement contester son caractère partiel et l’influence exercée par cette irrégularité sur le sens de la décision administrative.

Au-delà de ce litige, le combat des associations environnementales demeure quasiment entier. Dans la mesure où il ne s’agit, pour l’heure, que d’irrégularités procédurales, l’administration est susceptible d’opérer des mesures de régularisation, voire de reprendre la procédure afin de mieux sécuriser l’autorisation environnementale délivrée. Au demeurant, le lien entre les différents projets d’exploitation dans cette concession mérite d’être relativisé. Cette affaire n’hypothèque pas encore toutes les perspectives pour la réalisation du projet d’extraction minière de l’or guyanais. Pour preuve, les discussions se poursuivent afin d’établir une solution satisfaisante pour l’État français et la société d’exploitation. La patiente confrontation des enjeux économiques et environnementaux risque fort d’aboutir à un compromis qui, par définition, ne satisferait pas entièrement toutes les parties. Dès lors, sauf un abandon radical du projet, la tâche des associations s’annonce des plus rudes. Mais l’expérience récente apprend que les combats environnementaux connaissent parfois des issues heureuses pour ceux qui les mènent.

Par Sébastien Hourson

 

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